INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Sur le MLF des années 70

Notes et pistes



 

 

Le texte qui suit n’est pas une histoire du MLF mais une approche pointilliste du mouvement des femmes en France dans les années 1970, centrée sur le MLF. C’est une prise croissante de notes qui a conduit à cette forme. On s’aperçoit que les questions dont nous discutions étaient largement débattues à l’époque au sein du MLF (le rapport genres/classes, la question de l’auto-organisation des femmes, le rapport à la médecine, etc.) et particulièrement au sein d’une tendance méconnue, les féministes Lutte de classes. Mais il est vrai que l’on réduit souvent le mouvement des femmes des années 1970 au MLF et ce dernier à la tendance dont on se sent le plus proche…

Il s’agit donc avant tout d’un ensemble de notes, de réflexions ou pistes de réflexion. Elles peuvent au final paraître assez critiques car l’accent est surtout mis sur les écueils et limites du MLF, mais c’est bien parce qu’il fut très riche et important qu’il mérite une telle attention…

et puis les laudateurs plus ou moins honnêtes du MLF ne manquent pas.

 

 

« Le caractère particulier de la prédominance de l’homme sur la femme dans la famille moderne, ainsi que la nécessité comme la manière d’établir une véritable égalité sociale entre les deux ne se montreront en pleine lumière qu’une fois que l’homme et la femme auront juridiquement des droits absolument égaux »

Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, 1884.

 

 

 

La seconde moitié du XXe siècle a vu en France une important et rapide modification de la « condition féminine » : entrée massive dans le monde du travail salarié, acquisition de droits politiques et familiaux, du droit à la contraception et à l’avortement, etc. Cette évolution, similaire dans la plupart des pays industrialisés, est aujourd’hui généralement présentée comme un « progrès » et parfois, spécialement en ce qui concerne la libéralisation de la contraception et de l’avortement, comme une « victoire ». Des « conquêtes » qui auraient été arrachées par la lutte des femmes, voire par le Mouvement de libération des femmes (MLF). Pourtant, un simple coup d’œil à la chronologie montre que, trois ans avant la naissance de ce groupe, c’est un gouvernement de droite qui légalise la pilule… Expliquer cette évolution comme le simple résultat d’une lutte ayant opposé des femmes* à un Etat réactionnaire et patriarcal n’est pas satisfaisant. Il convient donc, avant d’aborder le MLF, de revenir sur le contexte très particulier dans lequel il apparaît et qui l’explique.

 

LES TRENTE GLORIEUSES

 

La France, pays jusque-là « en retard » d’un point de vue capitaliste (structures de l’économie et des entreprises, part de la population rurale agricole), bénéficie après la Seconde Guerre mondiale, et pour une trentaine d’années, d’un spectaculaire développement économique qui touche d’ailleurs l’ensemble des pays industrialisés occidentaux et qui, couplé aux innovations technologiques, permet un accroissement considérable de la productivité 1. Le besoin de main-d’œuvre croissant est en partie satisfait par un important exode rural2 qui entraîne une urbanisation galopante. Le régime que met en place le général de Gaulle après son coup d’Etat de 1958 va bouleverser et moderniser de fond en comble la société (investissement, concentration du capital, structuration de la société).

Sous l’effet de ce climat économique et social, mais aussi d’une politique familiale incitative, l’Hexagone connaît également un bouleversement démographique. Pour la première fois, après des années de régression, le taux de natalité est en nette progression (en fait depuis 1942) : c’est le fameux baby-boom 3.

L’arrivée sur la marché du travail de cette pléthorique génération, et en particulier des femmes, permet, à partir des années 1960, de satisfaire le besoin toujours croissant de main-d’œuvre 4. Le taux d’activité des femmes dans cette période, relativement similaire à celui de la première moitié du siècle, cache une modification sociologique profonde : les nombreux emplois agricoles ou de domestiques laissent la place à des emplois salariés dans l’industrie ou le secteur tertiaire (alors en plein développement).

Jusqu’alors, les grossesses à répétition et l’élevage des enfants, occupant une large partie de la vie des femmes, ont été un obstacle à leur salarisation (interruption à chaque grossesse, impossibilité de bosser avec cinq, six ou dix gosses). Elles cessaient généralement de travailler une fois mariées ou bien à l’arrivée du premier enfant. Le capitalisme, ayant besoin de cette main-d’œuvre, se trouve face à un problème. L’arrivée à l’âge adulte de la génération du baby-boom, semble le résoudre puisqu’on assiste, à partir de 1964, à un renversement et notamment à la baisse de la fécondité 5, à celle du nombre d’enfants par couple (comme il ne s’agit pas d’une politique gouvernementale, cela indique une diffusion clandestine des techniques de contraception et d’avortement).

La période de leur vie où les femmes ont des enfants diminue ; les femmes mariées peuvent donc travailler (avec un maximum de trois enfants cela devient possible).

De plus, l’époque où les enfants étaient envoyés à l’usine dès six ans et devenaient une source de revenus supplémentaires pour le foyer est révolue depuis longtemps ; les enfant commencent à coûter de l’argent (la durée des études augmente car une main-d’œuvre plus qualifiée devient nécessaire)…

On assiste aussi à une hausse relative du salaire moyen qui est compensé par (et qui permet) le développement de la société de consommation souvent présenté comme une élévation du niveau de vie 6… La consommation des ménages s’accroît avec la généralisation de la voiture mais surtout l’apparition et la diffusion massive d’appareils d’électroménager (au coût élevé)7. En fait, c’est le coût de la reproduction de la force de travail* qui augmente. Au salaire de l’homme* s’ajoute celui d’appoint (car inférieur) de sa femme, ce qui permet d’une part d’augmenter la consommation du foyer et d’autre part de maintenir le niveau des salaires à un niveau raisonnable 8.

L’évolution du droit et de la législation accompagne cette évolution. Les femmes, qui ont obtenu le droit de vote en 1944, accèdent à la quasi-égalité avec les hommes en droit, dans les sphères publique* mais aussi privée* 9.

En fait, c’est la société française qui est en pleine mutation. Le milieu des années 1960 est une vraie charnière dans la modernisation du pays, des rapports sociaux et du capital 10. Mais, comme dans la plupart des pays industrialisés, les premiers signes d’un retournement de conjoncture se font jour et annoncent la crise de 1973.

« L’accélération de l’accumulation du capital entraîne […] une diminution relative des besoins à long terme de main-d’œuvre. De plus, l’allongement de la vie moyenne des hommes, grâce aux progrès de la science, permet d’exploiter plus longtemps (15 à 20 ans de plus) le même prolétaire ! 11 ». Un contrôle raisonnable et moderne de la reproduction de la force de travail devient nécessaire et de nouvelles techniques le rendent possibles.

 

VERS LA CONTRACEPTION LÉGALE

 

Contraception et avortement sont des pratiques courantes, mais très incertaines, couramment utilisées depuis des siècles 12. Alors qu’un mouvement de birth-control se développe dans certains pays dès les années 1920 (URSS, USA, Grande-Bretagne) et 1930 (Allemagne, Pologne) et progresse dans les pays anglo-saxons et d’Europe du nord après la Seconde Guerre mondiale, la France reste arc-boutée sur la loi de 1920 13 qui interdit toute pratique anticonceptionnelle ou publicité en sa faveur. Promulguée après la saignée de la Grande Guerre, cette loi visait aussi le néo-malthusianisme, mouvement né au XIXe siècle qui, dans une optique révolutionnaire, pacifiste et féministe, prônait le contrôle et la réduction des naissances 14.

C’est en mars 1955 que la question de la contraception fait publiquement son apparition en France. La gynécologue catholique Marie-Andrée Weil-Hallé présente un rapport sur la « maternité volontaire » à l’Académie des Sciences morales et politiques et y reçoit un écho favorable. Les médias s’emparent alors du sujet. Elle fonde en mars 1956 une association de mères de famille, «Maternité heureuse » (tout un programme !) qui, en 1960, prend le nom de Mouvement français pour le planning familial (MFPF). Son objectif est d’informer des techniques contraceptives, d’éviter les avortements et de développer la notion d’« enfant désiré ». Il s’agit de planifier la maternité mais surtout pas de la refuser ou de prôner la liberté sexuelle ! Ce militantisme au nom des libertés individuelles, du progrès social et de l’équilibre des familles, explique le soutien de personnalités respectables, de grands médecins philanthropes et autres bourgeois mais aussi le fait que, bien que contrevenant à la loi de 1920, l’association ne soit pas poursuivie par la justice (les temps changent) 15. Mais il est vrai que, bien que reprenant les revendications et méthodes du néo-malthusianisme, les nouveaux partisans du birth-control se gardent de toute référence à ce mouvement. La militante néo-malthusianiste Jeanne Humbert, considère d’ailleurs « avec dédain ceux qui, ne semblant pas se préoccuper de l’avenir de l’humanité, limitent leur réflexion et leur ambition à la solution de problèmes individuels », de problèmes de confort personnel, en particulier pour la classe moyenne en expansion 16.

Alors que les principales méthodes de contraception jusqu’alors utilisées sont le retrait et la pitoyable méthode Ogino, l’invention de la pilule contraceptive en 1951 et sa commercialisation aux Etats-Unis au début des années 1960, commence à passionner l’opinion française. Emissions de radio et même de télé y sont consacrées. A l’initiative de députés de gauche, l’abrogation partielle ou totale de la loi de 1920 est à plusieurs reprises proposée. La question devient un fait de société que l’on ne peut plus éluder 17 et qui correspond aux évolutions économiques et sociales en cours. La question de l’avortement, massivement pratiqué dans la clandestinité, mais aussi de la morale et des rapports entre hommes et femmes, est sous-jacente.

Le MFPF connaît une expansion rapide et passe entre 1962 à 1966 de 10 000 à 100 000 adhérents. Il ouvre un premier centre d’accueil et d’information à Grenoble en 1961 (dix ans plus tard, 180 centres fonctionnent) puis évolue progressivement vers un mouvement d’éducation et d’information sur la sexualité, la contraception et l’avortement. Weil-Hallé réprouve cette transformation et se rapproche du député gaulliste Lucien Neuwirth 18. Celui-ci dépose en 1966 un projet de modification de la loi de 1920 autorisant la contraception.

Le 1er juillet 1967, le débat s’ouvre à l’Assemblée nationale où la droite catholique réactionnaire affronte une droite moderniste soutenue par la gauche. Un député regrette qu’avec la pilule les femmes aient « le pouvoir absolu d’avoir ou non des enfants, tandis que les hommes perdraient la fierté de leur virilité féconde et l’amour sa noblesse et son mysticisme »… Le ministre des Affaires sociales déclare lui que cette loi « est bonne parce qu’elle met fin à un divorce entre le droit et le fait et parce qu’elle donnera au gouvernement les moyens d’action qui lui font défaut car on ne peut réglementer ce qui est légalement interdit et que tout le monde tolère » 19. La loi Neuwirth est votée le 19 décembre 1967 (grâce aux voix de la gauche) mais il faudra plusieurs années pour en voir les décrets d’application. De nombreuses mesures devant décourager les candidates à la contraception ne seront finalement pas mises en pratique, « l’air du temps n’était plus à la répression et les barrières sautèrent rapidement » 20.

 

VERS UN MOUVEMENT DES FEMMES

 

La situation des femmes a donc considérablement évolué depuis 1945, mais la contradiction entre les droits obtenus et l’oppression quotidienne qui demeure est flagrante dans les années 1960. Les inégalités (dans le monde du travail), les mythes et rôles traditionnels persistent : bien que travaillant de plus en plus souvent à l’extérieur du foyer, les femmes restent définies par leurs qualités d’épouses et de mères. L’obtention de l’égalité juridique la plus complète n’affranchit pas les femmes mais, comme l’avait écrit Engels, leur dévoile que la cause de leur oppression est ailleurs… Cette « injustice » est d’autant plus sensible pour la génération du baby-boom qui n’a pas connu la période précédente et particulièrement pour les jeunes diplômées issues de la bourgeoisie 21. La question des femmes émerge à cette époque et la « condition féminine » devient l’objet d’études, de débats et de nombreuses publications (revues, livres de sociologues, etc.).

Mais les femmes ne sont pas les seules à ne pas trouver leur compte dans le triomphe de la société de consommation, car les fruits de la croissance économique ne sont pas si bien partagés qu’on le croit… le compromis fordiste a des limites et le ciel s’obscurcit. Les grèves se multiplient et les ouvriers, surtout les jeunes, se montrent de plus en plus rebelles, violents et incontrôlables 22. De plus, depuis la guerre d’Algérie, et alors que celle du Vietnam commence, l’université qui se massifie est en ébullition et les groupuscules gauchistes (trotskistes et maoïstes) y ont le vent en poupe.

L’orage n’éclate donc pas pour rien. Si l’on en trouve l’étincelle dans les facs 23, Mai 68 est surtout la plus grande grève sauvage de l’histoire du mouvement ouvrier. Les femmes, étudiantes ou prolétaires*, participent à la grève mais la « direction » du mouvement et la parole (que l’on dit pourtant libérée) restent monopolisées par les hommes. Lors des multiples débats et discussions, tous les sujets sont abordés, tous les angles d’attaque sont imaginés pour en finir avec le vieux monde (notamment la libération sexuelle ou le déchaînement des désirs, « jouir sans entraves »)… mais pas la « libération » des femmes. Presque pas, puisque deux débats sont organisés à la Sorbonne sur ce thème par le petit groupe Féminin masculin avenir (FMA) 24. Cette problématique est jugée « petite-bourgeoise » par nombre d’orgas gauchistes qui y voient une tentative de division de la classe ouvrière ou, au mieux, une lutte secondaire : la libération des femmes, qui selon Engels commence avec leur entrée dans la production, sera l’un des fruits de la révolution socialiste. Mais ces jeunes gauchistes-là ont déjà l’air de vieilles badernes.

En effet, depuis la fin des années 1960, et encore plus après Mai 68, les théories marxistes et anarchistes s’enrichissent d’une critique de la vie quotidienne en particulier avec la mode situationniste : la révolution doit être totale et, pour certains, commencer à se vivre tout de suite. Révolution et révolution sexuelle semblent pour beaucoup indissociables. On redécouvre alors Wilhelm Reich, on dénonce la morale, la famille, l’autorité, les tabous, les interdits, toutes les institutions, etc. 25. Tout devient politique 26. Les organisations et le militantisme eux-mêmes deviennent la cible des critiques les plus radicales 27.

Dans ce contexte, où un changement radical de la société est considéré comme prochain, il n’est pas étonnant que des jeunes femmes, souvent issues de groupes gauchistes et empreintes de culture marxiste 28, s’emparent de ces thèmes pour en dénoncer les limites. Alors que les premières pilules permettent de dissocier sexualité et reproduction* 29, beaucoup remarquent que la libération sexuelle profite avant tout aux hommes et qu’« un certain terrorisme du coït a remplacé celui de la continence » 30. « Si tu couches pas, t’es pas libérée. » Certaines commencent à le dire haut et fort : « Ce que nous voulons ? Tout mais pas ça ! », « votre révolution sexuelle n’est pas la nôtre » 31, « prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » ou bien encore « le steak d’un militant est aussi long à cuire que celui d’un bourgeois ». Elles dénoncent pêle-mêle les contradictions entre les grands principes révolutionnaires et les pratiques quotidiennes effectives des limitants, leur reproduction de la division sexuée des tâches, leur machisme, leur virilisme, le travail domestique qui empêche les femmes de militer, le fait que la transformation des rapports soit reportée après la révolution, etc. 32. Elles veulent mettre en avant l’oppression spécifique qu’elles subissent, en particulier dans la sphère privée (contre le statut et le rôle des femmes dans la société, la famille, le couple) et forgent leurs armes théoriques chez Simone de Beauvoir (Le Deuxième sexe), Betty Friedan (La Femme mystifiée), Margaret Mead, Herbert Marcuse mais aussi Karl Marx, Friedrich Engels et August Bebel. De la progressive découverte du mouvement des femmes et des Noirs aux Etats-Unis 33, elles déduisent ce qui pour elles va devenir une évidence : la nécessité d’une lutte autonome des femmes.

De tout petits groupes de femmes se constituent alors que d’autres rompent avec leurs orgas. Début 1970, la rencontre entre le FMA (Anne Zelensky 34 et Christine Delphy 35) et un groupe informel autour de Monique Wittig et Antoinette Fouque, puis la publication de textes dans les journaux gauchistes (L’Idiot international et Partisans) permet de rassembler les isolées 36.

Le 26 août 1970, l’action de l’Arc de Triomphe donne un premier écho médiatique et le MLF va se constituer comme la frange la plus active, la plus radicale et la plus visible d’un mouvement des femmes des années 1970 multiforme : grèves de travailleuses 37, de mères célibataires 38, lutte des prostituées, groupes réformistes et égalitaristes indépendants (Choisir 39) ou au sein de partis de gauche et de syndicats, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), etc. De nombreux groupes se forment, rejoignent le MLF ou restent en marge : groupes de femmes de quartier, groupes locaux, groupes d’entreprises, de lycées, groupes de province, etc.

L’émergence du mouvement des femmes ne peut donc être comprise indépendamment du climat global de contestation rampante qui touche l’ensemble de la société dans l’immédiat après-68 avec un net regain de la combativité ouvrière (OS) et la multiplication des luttes spécifiques (lycéens, paysans, travailleurs immigrés, taulards, etc.).

 

LE MLF

 

Les militantes refusent de former une organisation, une avant-garde ou de parler au nom des femmes (ce qui reviendrait à leur imposer le silence) ; le MLF « c’est toutes les femmes » mais il reste néanmoins tiraillé entre deux visions : un mouvement spécifique autonome et radical ou son implication dans un mouvement plus large, celui des femmes qui luttent. En rupture avec les modèles d’organisation d’extrême gauche, il se veut un mouvement informel rassemblant des groupes autonomes : pas de structure permanente, de chef, de responsable ou de porte-parole, pas d’adhésion… L’utilisation du sigle (dont l’existence est critiquée au début) ne peut se faire sans mention d’un groupe. « Que les mouvements fleurissent et la révolution sera. Que les organisations vivent et la révolution crèvera » 40. La question de l’organisation est presque un sujet tabou et la dénonciation du fait même de s’organiser est parfois sous-jacente.

Pour les militantes, il s’agit tout d’abord de « désigner le terrain commun à toutes les luttes des femmes, plutôt que d’isoler des catégories d’opprimées : avortées, mères célibataires, femmes battues, prostituées, bourgeoises, prolétaires, divorcées, homosexuelles, hétérosexuelles, violées, etc. » 41.

Au-delà de ces catégories, il s’agit donc de saisir la domination masculine*, de la démasquer, pour construire les femmes comme des sujets, individuellement et collectivement. De montrer qu’elles forment un groupe social soumis à une même oppression, et qu’elles ont donc, théoriquement, les mêmes intérêts.

« Un des premiers enjeux de la lutte des femmes était donc d’inciter celles-ci à sortir du ghetto où la société les enfermait : la demeure privée, la maison du père-mari, la famille, l’usine du patron. De leur permettre de se retrouver entre elles et de prendre ainsi mesure du caractère non individuel de leur exploitation, de leur « malheur ». De les amener à parler, à se parler, à s’écrire, et à se découvrir ainsi un corps, une sexualité, un langage communs. Soit à commencer à avoir une vie sociale, culturelle, sexuelle, qui soit la leur, et non seulement celle que prescrivaient les nécessités ou les revers de la société des hommes »42.

Le mouvement ne peut se cantonner à un seul aspect de l’oppression des femmes qui, de toute manière, est présente dans tous les domaines de la vie, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. C’est un système, le patriarcat*, dont il s’agit d’exposer et exploser les rouages, et non de corriger les « défauts » ou « les « injustices ». La priorité va bien au-delà de la quête de l’égalité qui mobilisait jusqu’alors les féministes. Les thèmes abordés sont donc très variés : sexualité (contre les théories de Freud, le mythe de la frigidité ou de l’orgasme vaginal, etc.) ; viol et violence ; avortement et maternité ; travail domestique 43 ; mariage ; rapports interpersonnels entre les hommes et les femmes, etc. S’il ne peut alors la nommer ainsi, le MLF remet en question la distinction de genres*44 et il devient possible de dénaturaliser cette question.

 

Entre elles

La non-mixité est l’une des bases politiques du MLF. Il s’agit évidemment d’une nécessité pratique pour les femmes qui s’expriment plus librement en dehors de la présence des hommes (y compris/surtout de leurs compagnons) 45 et qui doit éviter que ne s’instaurent à nouveau les rapports de domination genrés. Mais c’est aussi une position politique : déterminées par une oppression spécifique commune, elles doivent s’organiser de manière autonome, sans les hommes qui sont les oppresseurs, voire les ennemis.

« La libération concernait les hommes et les femmes : pourquoi se séparer dans la lutte pour se retrouver ? Parce que nous étions “ séparés ”. En tant que groupe politique, les femmes, exploitées par un autre groupe politique, les hommes, devaient se séparer de leurs oppresseurs objectifs : pour mieux analyser cette exploitation et trouver, entre elles, les moyens de lutter contre, en dehors de la présence de ceux qui en étaient responsables. Les hommes n’avaient pas intérêt, dans l’immédiat, à notre libération qui allait contre leurs (faux) privilèges. Il suffisait de quelques hommes dans une réunion pour qu’ils monopolisent la parole » 46.

Les militantes vont devoir imposer cette non-mixité aux gauchistes mâles, physiquement, à Vincennes en mai 1970 lorsque le groupe de Wittig y organise un débat 47. Elles vont aussi devoir en convaincre certaines militantes et, sans cesse, celles qui rejoignent le mouvement en cours de route.

 

Fonctionnement

Les AG bimensuelles qui débutent en octobre 1970 à l’école des Beaux-Arts de Paris sont la base du mouvement. Théoriquement non décisionnelles et non démocratiques (ce qui est fort positif), elles sont le lieu privilégié des débats. Les groupes y exposent leurs projets (par exemple une action), qui sont discutés, mais pas soumis au vote ; celles qui le souhaitent participent au projet et l’on en rediscute après. Mais nombre de militantes le reconnaissent, ce sont le plus souvent des engueulades et un bordel innommable qui l’emportent.

Pourtant, ni le refus du formalisme, ni l’absence des hommes (qui pour certaines devrait préserver le mouvement des problèmes de pouvoir, d’autoritarisme, etc.) ne vont empêcher l’émergence au sein du MLF de « structures non avouées de pouvoir » 48. Des cheftaines, ou même des gourous, existent, de même que des tendances ou de quasi-scissions : « En vérité, malgré le refus de l’organisation, il n’y avait pas au sein du MLF de vraie démocratie. C’étaient les femmes qui avaient la voix la plus forte, ou la parole la plus facile qui dominaient les AG. Surtout, les plus motivées, les plus engagées, assumaient un maximum de responsabilité et par là elles se trouvaient posséder le pouvoir d’un chef. […] Il fallait non seulement se battre contre le monde masculin hostile mais contre les diverses factions qui tout en poursuivant un même but différaient radicalement quant aux moyens de l’atteindre » 49. Les caractéristiques organisationnelles du MLF sont parfois présentées comme une particularité féminine mais, pour certaines, elles devaient surtout limiter les dérives autoritaires. Les déboires du MLF, surtout dans ces dernières années, montrent que les questions de pouvoir ne sont pas spécifiquement masculines et ne peuvent être évacuées en les considérant comme telles. Notre copine Louise avait prévenu : « C’est le pouvoir qui est maudit » 50.

 

Les groupes

Les AG étant considérées comme trop bordéliques pour organiser le mouvement, les militantes se rassemblent en dehors en une profusion de commissions ou de groupes. « Il y a les thèmes qui marchent et ceux qui se transforment. Il y a des groupes qui continuent à fonctionner pour savoir pourquoi ils ne fonctionnent pas. Il est rare qu’un thème survive à une année. […] Quand un groupe marche bien, il éclate en sous-groupes qui se repolarisent différemment. Le groupe “ femmes mariées ”, rassurant par son étiquette, a attiré, surtout après la Mutualité 51, un grand nombre de femmes qui se sont très vite réunies indépendamment sur le travail ménager ou l’accouchement, ou autres. Celles qui avaient participé à ce groupe au début ont d’autres projets : un groupe de femmes séparées ou divorcées ! 52. »

Au début très centré sur le Quartier latin, le MLF va évoluer et perdre son image petite-bourgeoise et étudiante, en particulier avec l’apparition des groupes de quartier : « Les groupes de quartier, bien que de structure apparemment conventionnelle, n’ont rien de commun avec les “ cercles ” ou “ cellules ” des organisations patentées. Ils ne sont pas l’exécutif d’un pouvoir central, chacun inventant sa pratique dans le lieu où il est, selon ce qu’il est. La réunion où ils se coordonnent est simplement une occasion de plus de confronter des expériences. Les prises de contact, si elles sont parfois de l’ordre de la distribution de tracts, prennent plus souvent la forme de sketches ou d’interviews – prétextes qui amènent la discussion » 53. Il sont davantage tournés vers l’extérieur : contacts sur les marchés, luttes pour les crèches, le logement, etc. En juin 1974, une rencontre nationale de groupes femmes de quartier à Bièvres (à l’initiative de la tendance Lutte de classe) aurait rassemblé un millier de femmes de trois cent groupes différents.

Les groupes-femmes d’entreprises ras- semblent, eux, des travailleuses d’une même boîte : ils se développent, surtout dans le tertiaire, notamment à l’occasion de mouvements de grève, comme dans les banques en 1974-1975. A cette époque, une quarantaine de groupes de ce type existent en région parisienne et se réunissent chaque mois pour mettre en commun leur expérience. S’y ajoutent à partir de 1973 la création de groupes dans les lycées.

On compte aussi des groupes dits de province, quarante-quatre recensés en novembre 1972. Ils sont moins soumis aux convulsions internes et aux divisions en tendances que leurs homologues franciliens.

 

Parole et vécu

Une formule de l’époque, devenue célèbre, proclame que « le personnel est aussi politique 54 » ce qui, dans l’après Mai 68 où « tout » est devenu politique, peut ne pas sembler particulièrement extraordinaire. C’est pourtant l’un des principes fondateurs du MLF : « Il n’y a pas d’autre savoir sur l’oppression des femmes que l’expérience personnelle, le vécu » 55. Ce personnel que connaissent toutes les femmes doit les caractériser comme groupe social spécifique et doit être la base de la théorie et de la pratique de leur libération. Le MLF donne donc une place centrale au vécu, pris en compte collectivement, pour libérer la subjectivité. D’où l’importance de la parole, du témoignage, de l’expression écrite ou orale, et la création de « groupes de conscience » où l’on parle librement, en petit nombre : oppression quotidienne, sexualité, désirs, histoires personnelles, contradictions, faiblesses, etc. Un exercice pas toujours aisé, surtout lorsqu’on ne correspond pas au modèle de la femme libérée. De plus, « passé le temps de la découverte, passé cette extraordinaire libération de la parole, la spontanéité devenait une obligation, parler de soi un impératif. Et un enfermement. » La communication devient difficile et peut conduire à de douloureuses déchirures 56. Cette exigence de rendre compte devant les autres de sa vie privée a pu être perçue comme une « coveillance ou surveillance dans le cadre de la sororité qui a pu parfois prendre la forme d’un “ terrorisme individuel ” » 57.

Le personnel, qui est lui aussi politique, tend avec les années à prendre beaucoup de place chez une partie des militantes. Pour certaines le politique tend à s’y résumer 58 et elles perdent de vue le caractère collectif de la lutte. Durant cette période et devant l’apparent échec du mouvement social, les féministes ne sont pas les seules à transférer la priorité à la subjectivité, au niveau personnel 59. L’expression de cette subjectivité passe aussi par des ateliers de peinture, de couture, de musique, etc., et donc par le développement d’une contre-culture (alors très à la mode) qui se transformera logiquement en une sous-culture plus ou moins subventionnée dans les années 1980.

 

Sororité60 et mode de vie

Le discours veut que, unies par une commune oppression, convergent au MLF toutes les femmes, quelle que soit leur classe, leur situation sociale ou leurs préférences sexuelles. Mais, dans la pratique, l’intégration des femmes qui, dans toutes leurs diversités, rejoignent l’organisation en nombre grandissant, montre que cette unité n’est pas si évidente. Alors que le discours dominant chez les « anciennes » dénonce la maternité, la famille et le mariage comme sources d’oppression (et elles le mettent en pratique), les nouvelles arrivantes, qui peuvent être d’accord théoriquement, ont bien souvent une vie différente : elles ont un mec ou sont mariées, elles ont des enfants ou veulent en avoir, etc. Et puis il y a les prolétaires dont le mode de vie (la double journée de travail) ne leur permet pas (comme à certaines étudiantes, artistes ou bourgeoises) de militer à temps plein. D’autres enfin peuvent n’être que partiellement d’accord politiquement (et ne vouloir qu’une amélioration de la condition des femmes) ou parfois militer dans une autre organisation 61.

Aussi, malgré l’oppression commune, les militantes se rassemblent souvent en groupes plus étroits et spécifiques (femmes mariées, lesbiennes, etc., catégories que le MLF aurait souhaité dépasser) 62. Ce décalage entre discours et pratiques est aussi un risque qui se fait jour, celui de l’apparition d’une hiérarchie implicite fondée sur des comportements individuels : la femme mariée avec des gosses celle en instance de divorce la divorcée l’hétéro célibataire la lesbienne monogame et enfin, « tout en haut de l’échelle MLF des valeurs » 63, la lesbienne libérée. Par la promotion d’une révolution de la vie quotidienne, l’anti-normes arrive à promouvoir de nouvelles normes. Une démarche dans laquelle on veut changer la vie (abolir la domination masculine et le capitalisme) tout en se débrouillant pour vivre le moins mal possible en accord avec ses idées, bascule vers une démarche où l’on veut changer sa vie tout de suite dans le cadre de l’actuelle société, en en faisant une stratégie politique (l’exemplarité). Individualisme, élitisme 64, abandon du combat collectif se profilent. Privilégier cette seconde vision, en faire un but en soi, ne peut que contenter les militantes bourgeoises et blaser les femmes prolétaires.

Le glissement d’une partie des militantes de la dénonciation d’un système à celle des individus qui y sont socialement construits va aussi contribuer à la division. La question est alors récurrente dans les mouvements féministes occidentaux : faut-il combattre le système (qui fait des hommes des oppresseurs) ou bien les hommes eux-mêmes ? Le risque d’un sexisme* à l’envers ou d’un nouvel essentialisme* (l’homme est « par nature* » mauvais puisqu’il a un pénis) est évident chez Psychépo et sous-jacent chez les FR. Cela débouche sur un mépris et une certaine culpabilisation des femmes qui couchent avec l’ennemi (les hommes) ou ont des enfants (en opposition aux lesbiennes qui représentent ou s’autoproclament l’avant-garde du mouvement). Une propension qui s’accentuera lorsque la campagne contre le viol s’engagera et que certaines déclareront que « tout homme est un violeur en puissance » ou que « tous les hommes sont des violeurs ».

L’un des points forts du MLF est que toutes les critiques que l’on peut faire de son fonctionnement, l’ont été à l’époque par les militantes elles-mêmes dans les AG, les groupes et les journaux 65. Malgré les divisions et les affrontements, elles ont refusé de voir éclater un mouvement dont la diversité faisait la richesse, et les groupes ont continué, longtemps, à se côtoyer, se confronter et débattre.

 

TENDANCES

 

Au sein du mouvement, les analyses de l’oppression des femmes et les propositions pour la faire disparaître sont multiples. Les militantes se rapprochent et se regroupent par affinités politiques, les divisions se cristallisent puis, progressivement, se formalisent en tendances 66. Leurs limites restent néanmoins assez floues et perméables et sont bien moins sensibles dans les groupes de province. Les trois principales tendances qui se dégagent s’expriment tout d’abord dans le journal Le Torchon brûle (tiré à 35  000 exemplaires de 1971 à 1973) mais, à partir de 1974, les publications spécifiques se multiplient. L’acharnée démarche unitaire masque des fissures de plus en plus profondes qui s’achèvent en ruptures.

 

1 / Les féministes révolutionnaires ou féministes radicales (FR)

C’est la tendance la moins formelle mais peut-être la plus cohérente du point de vue théorique. Présentes dès les débuts du MLF, ses militantes se présentent à la rentrée 1973 dans le n° 5 du Torchon brûle. Elles se disent « féministes » car elles revendiquent une filiation historique avec celles qui ont lutté par le passé sur des thèmes réformistes, et « révolutionnaires » car elles veulent la destruction du patriarcat.

En octobre 1970, dans le numéro 54-55 de Partisans, Christine Delphy, qui va devenir la principale théoricienne de ce courant, publie « L’Ennemi principal », son article fondateur 67. Pour elle, deux modes de production coexistent : capitaliste et domestique (ou patriarcal) 68. Ce dernier a pour base le travail domestique qui est une exploitation économique touchant toutes les femmes. En raison de cette place spécifique dans ce mode de production spécifique, Delphy peut qualifier le groupe social des femmes de classe (qui transcende donc les classes du capitalisme) 69. La société et le capitalisme ne fonctionnent qu’en s’appuyant sur cette exploitation 70. L’exploitation patriarcale étant « principale », la lutte des classes* devient secondaire. L’orthodoxe vision marxiste se trouve renversée. Cette autonomie du mode de production patriarcal justifie l’autonomie du mouvement des femmes ; « toute alliance avec des mouvements sociaux mixtes est jugée inopportune, voire dangereuse » 71.

Cette analyse va être poussée à son terme avec la constitution progressive, au sein de cette tendance, d’une sous-tendance lesbienne radicale. Monique Wittig va y prôner un séparatisme complet d’avec les hommes. Vecteurs, représentants et bénéficiaires du patriarcat, ils deviennent eux-mêmes l’ennemi principal ; une vision qui frôle parfois l’essentialisme. Au sein du mouvement le climat est tendu, on parle même d’un « terrorisme homosexuel ». Le conflit éclate tardivement, en janvier 1980, avec la publication d’un article de Monique Wittig dans la revue de la tendance, Questions féministes. Pour elle, l’hétéro- sexualité n’étant pas un choix mais une contrainte sociale (voire un régime politique), il faut choisir de la rejeter. En cessant ainsi de collaborer avec les hommes (« la classe ennemie »), les lesbiennes cessent aussi d’être des femmes 72. Le lesbianisme est donc la position politique indispensable au féminisme* et toute autre stratégie n’est que réformiste 73. Ces questionnements existaient auparavant mais se trouvent théorisés et formalisés en une période où le MLF est au plus mal. Le débat est vif car, avec le temps, les contradictions se sont aiguisées. Les jeunes lesbiennes, qui dénoncent leur « double oppression », ne trouvent pas de réponses dans un mouvement devenu majoritairement hétéro et sur une pente réformiste. Le collectif de rédaction des Questions féministes se dissout. La rupture (sur une opposition doctrinale qui ne recoupe pas les pratiques sexuelles des participantes) ne se fait pas en douceur74.

 

2 / Psychanalyse et politique (Psychépo)

Les membres de ce groupe souhaitent au départ privilégier une analyse critique du marxisme (pour elles il s’agit de Marx, Lénine et Mao) et de la psychanalyse (Freud et Lacan) et lutter, au sein du mouvement, contre le féminisme 75. En fait elles vont se mettre à valoriser le corps des femmes et leur capacité reproductrice qui est vue comme une richesse dont il faut s’assurer le contrôle. Lors de la manif du 6 octobre 1979, les banderoles de Psychépo proclament : « L’usine est aux ouvriers, l’utérus est aux femmes, la production du vivant nous appartient » 76 ou bien encore : « De tout temps ce qui fait la force, la jouissance des femmes : produire de la vie. » Le groupe touche ici du doigt, contrairement aux FR, une question majeure, celle du contrôle des naissances et de l’appropriation des enfants (base de la domination masculine).

La spécificité corporelle des femmes fait leur bonheur, explique leur supériorité (par exemple du point de vue artistique) et le fait qu’elles soient porteuses de valeurs positives de vie, de douceur, de paix, etc. Les supposées caractéristiques féminines qui en découlent, comme l’intuition ou l’irrationalité, sont revendiquées et valorisées. Une prétendue identité féminine occultée et refoulée, la « féminitude » 77, doit être trouvée (retrouvée ?) en s’émancipant, c’est-à-dire en chassant « le phallus de sa tête » (en particulier grâce à la psychanalyse). Dans cette démarche, l’homme est évidemment une menace (spécialement par le viol qui, pour certaines, qualifie tout les rapports hétérosexuels) 78.

Ces positions essentialistes et différentialistes, qui confortent les mythes et préjugés patriarcaux sont évidemment loin de faire l’unanimité dans un mouvement où la maternité est bien souvent rejetée.

Mais, au-delà de ses élucubrations, ce sont aussi les méthodes de Psychépo qui rebutent les autres militantes : fonctionnement interne autoritaire et sectaire 79, magouilles publicitaires et commerciales 80, volonté de récupération et d’hégémonie sur le MLF, etc. Ce type de pratiques, une richissime mécène, mais aussi le fait que in fine ces théories replacent les femmes dans un rôle de mère, peuvent expliquer que cette tendance bénéficie a posteriori d’une large reconnaissance nationale et internationale 81. Ses agissement vont progressivement entraîner le rapprochement des deux autres tendances. A partir de 1977, la rupture est consommée et Psychépo abandonne toute référence au MLF… mais revient magouiller deux ans plus tard pour s’en approprier le sigle 82.

 

3 / Les féministes « Lutte de classes » (LDC)

C’est la tendance qui a peut-être le moins de cohérence théorique, sans doute du fait que ses militantes sont très souvent membres (ou anciennes membres) de multiples et rivales organisations d’extrême gauche 83. Celles-ci cherchent, et c’est ce qui fait tout leur intérêt, à articuler théoriquement et pratiquement lutte de classes et lutte des femmes : « Pas de féminisme à l’écart des combats sociaux ! Pas de combat sociaux qui fassent le silence sur nos luttes ! » 84. Ce qui n’est pas simple… « Nous sommes les filles du féminisme et du mouvement ouvrier, c’est-à-dire d’un couple qui s’est toujours combattu et nié. Et nous tanguons de l’un à l’autre, à la recherche d’une cohérence » 85.

Les féministes LDC, s’appuyant sur le marxisme (en particulier Engels), considèrent généralement que l’oppression des femmes découle de l’apparition de la propriété privée et des sociétés de classes 86 dont le capitalisme est le stade ultime. Ce qui est certain, c’est que la domination masculine sert les intérêts du mode de production capitaliste et de la classe dominante (division des prolétaires, famille comme lieu de reproduction de la force de travail et d’apprentissage des valeurs dominantes, etc.). Le capitalisme s’est servi des structures sociales patriarcales préexistantes 87 pour asseoir et conserver sa domination. Le rôle de la bourgeoisie dans l’oppression des femmes est primordial, et non celui des individus mâles qui en bénéficient néanmoins. Certaines évoquent « l’oppression de l’homme par l’homme » et « l’oppression de la femme pour l’homme » 88. Contrairement aux FR, elles pensent que les femmes subissent une domination mais non une exploitation spécifique. La question des bourgeoises et de leur place dans la lutte n’est pas non plus clairement résolue : si toutes les femmes sont dominées, elles le sont de manières différentes et n’ont pas forcément les mêmes intérêts.

Les féministes LDC se questionnent, échafaudent des hypothèses sur les liens entre capitalisme et domination masculine mais n’arrivent pas à bâtir une explication théorique aussi solide que les FR.

Des positions divergentes quant aux choix stratégiques en découlent :

la lutte de classes reste primordiale et la lutte des femmes doit s’y joindre ;

la lutte des femmes est en soi anticapitaliste ;

les luttes distinctes des femmes contre le patriarcat et des prolétaires (femmes et hommes) contre le capital doivent se rejoindre dans un affrontement principal contre le « système ».

Pour le groupe les Pétroleuses, « l’ennemi principal » reste le capitalisme 89. « Ni corporatisme féministe, qui isolerait la lutte des femmes de toutes celles ébranlant un système où l’oppression d’un sexe par l’autre et l’exploitation d’une classe par l’autre sont étroitement imbriquées ; ni socialisme étatiste qui renverrait aux lendemains qui chantent notre libération miraculeusement octroyée » 90.

Quelles que soient les analyses des féministes LDC, la convergence du mouvement des femmes et du mouvement ouvrier est pour elles une évidence et une nécessité. « L’exploitation de classe traditionnelle (opposant capital/travail) interférant avec l’oppression patriarcale. Pour les féministes de ce courant, il faut donc combiner l’action autonome du mouvement féministe avec l’action unitaire d’autres mouvements sociaux , avec celle du mouvement ouvrier » 91.

Bien que favorables à un mouvement autonome non mixte, elles s’opposent à une séparation d’avec les prolétaires hommes qu’elles appellent à se remettre en cause et à soutenir la lutte des femmes. La question des rapports avec le mouvement ouvrier est pour elles prépondérante, mais pour nombre d’entre elles il s’agit des rapports avec sa représentation, les syndicats. Les militantes portent donc un plus grand intérêt aux grèves félinines où, dans bien des cas, les travailleuses prennent conscience de leur oppression (Lip, Cerisay, banques, etc.). Pour les militantes de cette tendance, le MLF doit cibler en priorité les ouvrières et employées, les questions de travail, de vie familiale, d’éducation, en impulsant la création de groupes de quartier ou d’entreprises (pour sortir du Quartier  latin).

En raison de la formation de ses militantes, cette tendance porte une grande attention aux questions politiques, d’organisation ou de stratégie. Elles militent en particulier pour une coordination plus efficace des différents groupes de femmes (celle d’une partie des groupes parisiens est à l’origine de la constitution des Pétroleuses).

Cette tendance est principalement animée par deux groupes :

 

Le Cercle Elisabeth Dimitriev 92 (CED)

Constitué en mai 1971 par des militantes de l’Alliance marxiste révolutionnaire 93 qui participent au MLF depuis 1970, il publie le manifeste Sortir de l’ombre dont une phrase sera souvent reprise par la suite : « Pas de socialisme sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans socialisme ». Ses conceptions organisationnelles, teintées de bolchevisme et d’autogestion (alors très à la mode), lui font rêver le MLF en une avant-garde du mouvement des femmes. Le cercle en fait un bilan critique très lucide, entre autres des actions spectaculaires, du travail exclusivement idéologique ou du repli puriste et identitaire 94.

 

Le groupe/journal les Pétroleuses

Issu d’une coordination de groupes femmes de quartiers parisiens, et se formalisant en 1974, il est sans doute le groupe le plus dynamique de la tendance LDC. Il n’élabore néanmoins pas de plate-forme revendicative ou de positions politiques/théoriques claires. « Nous devons nous battre contre les hommes, tous les hommes qui oppriment à des degrés divers, mais le système qui permet cette oppression, qui la reproduit et qui s’en nourrit, voilà notre ennemi principal. C’est parce que le combat de la classe ouvrière vise à détruire ce système que nous en sommes partie prenante 95. ». L’influence de la LCR y est très forte.

La position de ces militantes LDC est loin d’être confortable puisqu’elles sont accusées par les autres féministes, notamment les FR, d’être sous l’influence ou aux ordres de « leurs mecs » et de leurs orgas… alors que dans ces dernières elles se voient reprocher de privilégier la lutte des femmes à celles des classes. De fait, leur présence au sein du MLF les transforme, leur ouvre d’autres perspectives 96, ce qui entraîne des clash avec leurs orgas d’origine (LCR, OCT, etc.). La tendance n’échappe pas aux dérives bureaucratiques et aux oppositions entre chapelles gauchistes qui y pèsent de tout leur poids et en font un lieu d’affrontement.

 

LA RÉVOLUTION ?

 

Pour le MLF la lutte des classes, telle qu’elle a lieu au quotidien, et la révolution qui doit en découler, ne prennent pas en compte les femmes et ne permettent pas leur émancipation. Celle-ci ne peut donc être que l’œuvre des femmes elles-mêmes, en une lutte distincte.

« Toutes les oppressions doivent être posées en même temps et sur le même plan. L’histoire démontre que les révolutions seront des échecs tant qu’elles subordonneront la solution de l’exploitation au seul changement des rapports économiques. Les déviations de la révolution russe s’expliquent en grande partie par l’échec de la révolution sexuelle et culturelle. Voir Reich. Le renversement du capitalisme ne solutionne pas le problème de l’oppression en général. Elle a ses racines ailleurs, bien plus profond, dans notre civilisation patriarcale, dont les bases sont l’exploitation de la femme par l’homme 97. » Pour les FR, « l’abolition des rapports de production capitalistes en soi ne suffit pas » comme le prouverait la persistance de l’oppression des femmes « là où le capitalisme en tant que tel a disparu »98… c’est-à-dire en URSS, en Chine, au Vietnam ou à Cuba !

Une vision qui permet à Delphy d’asseoir sa théorie : si le capitalisme a disparu (sic) en URSS mais que l’oppression des femmes y demeure, cela ne peut pas s’expliquer par une survivance idéologique qui impliquerait « une définition non marxiste et idéaliste de l’idéologie comme un facteur pouvant subsister en l’absence d’une oppression matérielle qu’elle sert à rationaliser99. » L’explication résiderait donc dans la persistance du mode de production domestique que n’a pas détruit la révolution (les féministes LDC expliquent ce fait par un trop faible développement des rapports de production, l’isolement international de l’URSS, l’apparition d’une caste bureaucratique parasitaire, gnagnagna, etc.).

Cette analyse s’appuie sur l’idée assez farfelue que les dictatures dites communistes couvrant à l’époque la planète étaient le fruit de révolutions ayant aboli le capitalisme… C’est prendre l’écrasement d’une révolution pour son aboutissement : une forme de contre-révolution qui a mis au pas une réelle révolte prolétarienne et instauré un capitalisme d’Etat 100. La dictature bolchevique sur le prolétariat ne risquait assurément pas de libérer les femmes puisqu’elle opprimait et exploitait l’ensemble de la population. La plupart des tendances du MLF basent donc leurs analyses sur des schémas léninistes périmés. Si, pour certaines, la révolution est une nécessité, elle est synonyme de « prise du pouvoir politique » (par les femmes en lutte), et il convient donc d’envisager les « alliances politiques et tactiques du mouvement avec d’autres groupes, mouvements ou partis révolutionnaires » 101… On ne se débarrasse pas si facilement du gauchisme et de toute la pourriture du vieux système qui lui colle après.

Ce que n’ont pas fait les féministes, c’est d’essayer de déceler dans les périodes dites révolutionnaires les germes et prémisses (écrasés) de ce que pourrait être la révolution et la société qui pourrait en découler, particulièrement du point de vue de la modification des rapports de genres… Il est tout de même assez surprenant que les analyses féministes, parfois si novatrices, aient été si imprégnées par cette vision léniniste de la révolution (certes dominante à l’époque), alors qu’au même moment des réflexions théoriques s’attachaient à sa critique, et avaient alors une certaine influence sur des franges de l’extrême gauche, comme par exemple le situationnisme ou des groupes d’ultragauche* 102(chez qui apparaît le concept de « communisation* »).

 

EN ATTENDANT…


« Si la révolution est la condition sine qua non de la libération des femmes, elle n’est donc pas la condition suffisante ». Un mouvement autonome spécifique semble nécessaire « avant, pendant et après la révolution socialiste 103. »

Le MLF, devant la dimension démesurée de ses propres buts (abolir la société patriarcale), semble un peu désarmé, sans réelle stratégie pour les atteindre. Que faire ? Préparer la révolution qui mettra à bas ce système ? Faire la révolution immédiatement ? Un changement de mode de vie est-il une étape nécessaire vers la révolution ? La question des moyens se pose (on l’a vu pour l’organisation) mais, si les débats entre les tendances sont continuels, les réflexions sur les modalités pratiques du renversement du patriarcat ne sont pas centrales. Les femmes doivent lutter, naviguant à vue entre l’intérêt pour le subjectif ou l’idée de faire pression sur l’Etat… Dans tous les cas, il s’agit de faire évoluer les consciences (sans dire pour autant qu’il faut l’apporter) et les mentalités 104. Dans cette optique, la première étape est de mettre en lumière l’oppression, d’un point de vue théorique et par le travail des groupes, pour mieux la combattre 105.

Ensuite vient l’action. Pour les FR, elle doit être spectaculaire, symbolique, médiatique et si possible empreinte d’humour. Elle doit faire éclater le scandale, s’imposer à l’attention publique (manifestes, marches, meetings) et ainsi faire « changer » l’« état d’esprit des femmes » 106… à cet effet, elles ne reculent pas devant l’utilisation de célébrités (Catherine Deneuve !) ou de la presse bourgeoise (prévenir les journalistes, publier, etc.). Les FR sont également très attachées à la spontanéité, à la libre expression, et au fait de prendre du plaisir. Ce type d’action caractérise les débuts du MLF (et c’est ce que l’on retient généralement de lui) mais tend à laisser la place à des manifs plus traditionnelles.

De plus, l’action spectaculaire a des limites : les militantes du MLF s’interrogent par exemple sur la manière d’atteindre et de mobiliser les femmes au foyer qui sont divisées et physiquement isolées… sans trouver de réponse. Les FR, qui considèrent cette question comme primordiale, lancent, sans grande conviction, un projet de grève des femmes (du travail domestique et salarié, du devoir conjugal, etc.) que ne va suivre qu’une partie des militantes (déjà en rupture avec les hommes). Bien qu’il s’agisse à nouveau de créer un scandale plutôt que d’instaurer un rapport de force, peu réaliste, au sein de chaque foyer, cette initiative est considérée comme un échec 107.

Pour les féministes LDC, qui participent parfois aux actions spectaculaires, le MLF doit s’appuyer sur un militantisme au quotidien dans les comités de quartier, d’entreprises, de fac, afin d’entrer en contact avec des femmes d’autres milieux. La coordination de ces groupes doit permettre au MLF de devenir un réel mouvement de masse.

« Un des traits dominants de ce mouvement a été ce que l’on pourrait appeler le “ populisme ” ; formé au départ par des militantes venues du maoïsme, le mouvement des femmes a reproduit en son sein les contradictions propres à cette idéologie : c’est-à-dire un mélange d’actions, de prises de positions apparemment radicales (c’est-à-dire violentes et spectaculaires), et une série de revendications larges, intéressant “ toutes les femmes ” (du droit à la contraception, à la demande de salaire pour la femme au foyer) utilisant pour ce faire, et d’une manière non négligeable le légalisme 108. »

Si dans un premier temps la stratégie de la prise de conscience et de la dénonciation domine, et fait la réputation du MLF, une certaine désillusion se fait jour chez certaines qui militent depuis des années. L’idée de faire pression sur les institutions (pourtant « masculines ») fait son chemin alors qu’elle était dénoncée jusqu’alors (les pratiques de Choisir par exemple). Une loi autorisant l’avortement ne serait-elle pas bien pratique et ne favoriserait-elle pas également cette prise de conscience ? Un peu plus de sérieux et d’organisation ne serait-il pas nécessaire alors que le mouvement est en crise ? Désormais, pour certaines, la question des moyens ne doit plus se poser (les hommes, eux, les utilisent tous !).

Début 1974, certaines militantes des FR (dont Anne Zelensky) fondent la Ligue du droit des femmes (LDF). Présidée par Simone de Beauvoir, elle doit permettre d’entreprendre des actions légales comme par exemple devant les tribunaux : « Il faut commencer à s’organiser, […] la coupure entre nous et les autres femmes ira en s’élargissant si nous ne réussissons pas à les convaincre du pourquoi du féminisme en dénonçant des cas concrets de discrimination » 109. Bien que désignant les droits conquis jusqu’alors comme « un leurre de libération [qui] ne peuvent profiter qu’aux exploiteurs », la LDF veut les défendre, en informer les femmes et promouvoir un « Droit nouveau des femmes »110. Il s’agit aussi de dénoncer les formes de discrimination sexistes et en premier lieu la publicité 111. Cette démarche ne fait évidemment pas l’unanimité au MLF ni même chez les FR qui, outre le caractère réformiste de la démarche, mettent en avant « les effets en retour de la création d’un tel instrument sur l’ensemble de la lutte des femmes » (structuration, spécialistes, cheftaines, etc.) 112. C’est la rupture.

Avec la croissance numérique et médiatique du mouvement puis sa crise, le problème du rapport aux institutions et notamment à la justice (celle des hommes) se pose : les affronter ? les ignorer ? les utiliser ? Chercher à améliorer « la condition des femmes » dans le cadre existant montre surtout que l’espoir de mettre à bas la société et les rapports entre hommes et femmes s’est évanoui.

L’accent mis progressivement sur la sphère privée, le mode de vie, est également un signe de la crise du MLF et y contribue. Le centrage, stratégiquement risqué, sur la campagne pour le droit à l’avortement, va mettre au jour bien des contradictions.

 

LA BATAILLE DE L’AVORTEMENT

 

L’avortement est une pratique courante qui rythme la vie des femmes, tout comme l’accouchement, depuis au moins le XIXe siècle et ce malgré la sévérité de la législation française en la matière. « Des millions de femmes ont pris le « droit » de disposer de leur corps bien avant qu’un juriste mâle ou femelle songe à le leur octroyer. Mon corps est à moi ! C’est une évidence, et les femmes se sont toujours ri des lois et de religions qui prétendent qu’un fœtus est déjà un citoyen » 113. On estime qu’entre 400 000 et un million d’avortements clandestins annuels ont lieu au début des années 1970. Mais si les bourgeoises se font opérer dans des cliniques privées en banlieue parisienne ou à l’étranger, les autres doivent se débrouiller avec des méthodes plus artisanales auprès d’« avorteuses » rétribuées, de voisines ou parfois de militantes, plus ou moins compétentes. Les conséquences sanitaires de la clandestinité provoqueraient 5 000 décès par an, la stérilité de 10 à 15 000 femmes et des maladies infectieuses chez 200 000 autres 114. Inégalité également devant la répression, car les femmes de bourgeois ne sont que très rarement poursuivies par les tribunaux 115. L’apparition et la diffusion de la méthode Karman (avortement rapide par aspiration et sans anesthésie) à la rentrée 1972 peut-elle modifier la situation ?

 

Un angle d’attaque

La revendication du droit à l’avortement n’est, au départ, qu’un des thèmes parmi d’autres qu’aborde le MLF : « On est des femmes en colère qui nous battons sur les problèmes que nous rencontrons autour de nous : loyers, contraception, avortement, etc. Bien sûr, on sait bien que, par notre seule pratique, on ne va pas résoudre l’avortement dans la région. Mais c’est comme une lutte d’usine : t’attends pas des discussions nationales ou une convention collective. Tu te bagarres dans ton atelier, eh bien, là, on se bagarre dans sa ville, dans son quartier, dans sa vie quotidienne. L’important, c’est que notre pratique n’est pas uniquement tournée vers les avortements ; on a d’autres liens avec les gens 116. »

La revendication du droit à l’avortement ou de la liberté de disposer de son corps n’est d’ailleurs pas aussi simple : s’agit-il de demander l‘abrogation de la loi de 1920 ? l’adoption d’une nouvelle loi qui encadrerait cette pratique ? demander la légalisation, faire évoluer la loi, faire pression sur le gouvernement, etc. ?

Mais, pour quelques féministes révolutionnaires, cette question est perçue comme un angle d’attaque particulièrement stratégique pour mettre à bas le patriarcat 117. « L’interdit sur l’avortement et la contraception me paraissait être l’aspect le plus scandaleux de notre condition. Toutes les femmes vivaient ou pouvaient vivre le drame de l’avortement clandestin, toutes seraient concernées. Pour moi, notre “ oppression ” – c’était le mot que nous employions désormais – se présentait comme une immense bobine, dont il fallait montrer le fil apparent, pour la dévider tout entière » 118 (Anne Zelensky). Le droit à l’avortement n’est pas une finalité, « pour nous c’est un thème d’intervention, de sensibilisation et d’articulation […] inséparable de tous les aspects de l’oppression des femmes » 119.

L’idée des FR est de publier dans la presse bourgeoise un manifeste signé par des centaines de femmes reconnaissant avoir déjà avorté. Cette proclamation publique doit provoquer le scandale, servir de détonateur et susciter des prises de consciences. La présence de célébrités (Catherine Deneuve par exemple) doit y contribuer et limiter les risques de poursuites. Ce projet ne fait pas l’unanimité et, si certaines militantes du MLF répugnent à l’usage de tels procédés, d’autres s’opposent à ce que l’avortement devienne une priorité et que le mouvement s’identifie à ce seul objectif. Le retentissement médiatique du Manifeste des 343, en avril 1971, permet au petit groupe initiateur de faire adopter cette stratégie par l’ensemble du MLF. La lutte pour la libéralisation de l’avortement et la libre disposition de leur corps par les femmes devient le cheval de bataille du mouvement. Celui-ci connaît son apogée en 1972 lors du procès de Bobigny 120 qui provoque un afflux de nouvelles militantes. Mais cela ne va pas sans poser de problèmes car il faut « désormais organiser un mouvement » 121.

Ce n’est pourtant que deux ans plus tard que la lutte pour le droit à l’avortement prend une toute autre ampleur et déborde le MLF. En février 1973, Le Nouvel Observateur publie un nouveau manifeste, celui de 331 médecins du Groupe information santé (GIS) 122 déclarant avoir pratiqué l’avortement. Le scandale médiatique rebondit. Une « véritable lutte de masse » 123 s’enclenche : elle regroupe celles et ceux qui luttent pour un « droit fondamental » et celles et ceux qui n’y voient qu’une étape pour en finir avec le système… un mouvement de masse qui va se structurer.

 

LE MOUVEMENT POUR LA LIBERTÉ DE L’AVORTEMENT

ET DE LA CONTRACEPTION (MLAC)

 

Le MLAC est créé en février 1973 à la suite du Manifeste des 331 médecins, en particulier afin d’assurer leur défense. Cette organisation lutte pour la liberté et la gratuité de l’avortement et de la contraception et en particulier pour l’abrogation de la loi de 1920. Deux affirmations fortes sont inscrites dans sa « Charte » : la décision appartient aux femmes elles-mêmes ; l’avortement est un « acte médical comme les autres ».

Le MLAC est une structure légale (déclarée en préfecture, avec un bureau, etc.) composée d’organisations (MFPF, GIS, PS, PSU, CFDT, MNEF, LC, LO, AMR, etc.), d’individus et de groupes locaux autonomes (en accord avec la Charte). Ce qui lui donne des facettes très diverses selon les lieux et circonstances.

Une partie de la tendance LDC, et particulièrement le Cercle Elisabeth Dimitriev, souhaite que le MLF y intervienne en tant qu’organisation 124. Cette option est repoussée par « une partie significative » du mouvement qui, outre le rejet des organisations ou de la mixité 125, refuse de concevoir une lutte sur un objectif limité, partiel, intégrable par le système et donc considéré comme réformiste 126. Cela n’empêche pas certaines militantes ou groupes d’y prendre part.

Le MLAC se développe rapidement dans les grandes villes et, en quelques mois, plusieurs centaines de comités couvrent le pays (il comptera jusqu’à 15 000 membres, mais l’adhésion est obligatoire pour « bénéficier » des « services »). Si par ce biais des militantes d’extrême gauche, de plus en plus nombreuses, découvrent et rejoignent le MLF, les groupes locaux des deux organisations se font parfois de la « concurrence ».

Ces groupes réalisent un travail d’information, ouvrent des locaux et y tiennent des permanences mais l’organisation, légale, s’engage ouvertement dans un illégalisme de masse : pratique et promotion de la méthode Karman, organisation de départs collectifs et publics pour aller avorter à l’étranger 127. On ne peut dire qu’il instaure un état de fait, mais il donne une visibilité et une couverture juridique à des pratiques existantes et met la pression sur le gouvernement.

 

CRITIQUES du MLAC

 

Les campagnes du MLAC et du MLF pour le droit à l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps suscitent à l’époque bien des questionnements et critiques à l’intérieur ou à l’extérieur du mouvement.

Selon un vieux proverbe, « toute contestation partielle rejoint la fonction répressive du vieux monde », et des militants, d’extrême gauche ou du MLF, pointent le risque de centrer politiquement et médiatiquement la lutte sur ce thème, certes fédérateur, mais pouvant facilement prendre une tournure réformiste. De plus, si un tel combat paraît cibler clairement la domination masculine, il n’est pas certain que le capitalisme puisse y laisser des plumes.

Pour certains, en effet, « l’avortement n’est pas en contradiction avec une politique de répression de la sexualité : bien au contraire, il peut en être la soupape de sécurité » 128.

Au sein du MLF, la critique (en particulier de Psychépo) est parfois sévère : « L’objectif du droit à l’avortement comme secteur séparé et “ prioritaire ” permettait dès le départ la récupération réformiste vérifiée aujourd’hui : accélérer des réformes que le capital finit toujours par opérer lui-même pour satisfaire ses propres nécessités (le contrôle des naissances par exemple) en lui indiquant aimablement les points sur lesquels il peut par ses réformes anticiper sur la lutte ». Le droit à l’avortement est considéré comme « l’expression mystifiée de notre lutte pour disposer de nous-mêmes et décider de la maternité, que le système désamorce et récupère en instaurant la liberté d’avorter » 129.

 

Béquille de la santé publique et bureaucratisation

Le risque de voir le MLAC prendre en charge les carences de l’Etat est souvent avancé : « Pourquoi aider l’Etat à assurer la Santé publique ? 130 ». Une dérive possible qui inquiète les militantes six mois à peine après la création du mouvement (notre lutte doit « être politique et non charitable » 131) et qui est discutée lors des premières assises du mouvement en novembre 1973 132. L’année suivante, le MLAC constate que « les voyages ont perdu tout caractère subversif vis-à-vis du gouvernement et semblent très bien intégrés par les médecins et les services sociaux. […] Le MLAC fonctionne de fait comme une sorte d’institution, un service social parallèle » 133. La situation de fait imposée par le MLAC est si impressionnante que, à partir de 1974, beaucoup considèrent que l’avortement est désormais libre en France et la mobilisation faiblit 134. En octobre, des militantes du MLAC, se plaignant de « gérer la pénurie », manifestent devant le ministère de la Santé 135… de quoi expliquer la tolérance policière et judiciaire devant ces pratiques ou le fait que des députés ne voient pas l’intérêt d’une nouvelle loi alors que celle de 1920 est caduque.

« L’originalité du MLAC vient du fait que les militantes n’entendent pas pratiquer d’avortement sans une préparation idéologique des femmes, qui devrait les amener à se faire militantes à leur tour » 136. Mais cette ambition, devant le nombre croissant d’avortements à réaliser, est souvent déçue. Tout n’est donc pas rose comme la diversité des participants pouvait le laisser présager… Si, théoriquement, la pratique de l’avortement doit amener les femmes à prendre en charge leur corps et leur sexualité et à lutter contre l’oppression elles-mêmes, la majorité de celles qui s’adressent au MLAC n’a pas l’intention d’y militer 137. L’ambition des militantes « fut souvent déçue, à cause de l’impossibilité dans laquelle se trouvait le mouvement de “ préparer ” un nombre de plus en plus important de femmes qui se présentaient à lui. Il fallut choisir : ou avorter à tour de bras, sans préparation, ou ne prendre en considération que les cas les plus “ urgents ”, et se donner les moyens d’amplifier la lutte des femmes. Beaucoup de groupes locaux ont vécu cette contradiction »138. Dans certains groupes, face à la demande grandissante, la structuration devient nécessaire, les spécialistes et militantes professionnelles font leur apparition tout comme les dérives : avortement en échange d’un engagement « tu veux avorter ? deviens militante… », pressions en ce sens ou pour accepter de publiciser son avortement (en étant filmée par exemple), « commissions de sélection » en fonction de « critères sociaux » pour savoir qui pourra utiliser la méthode Karman ou qui devra aller à l’étranger, vérification du lieu de résidence ou des revenus (fiche de paie) des futures avortées, piston et dérogations, etc. Des pratiques que certains rapprochent du classique « racket » gauchiste 139.

 

Le rapport à la médecine

Déjà, au sein du MFPF, après l’adoption de la loi Neuwirth, les militantes de base avaient pris conscience que la contraception n’était pas uniquement un problème de législation et d’information mais qu’il fallait apprendre à connaître son corps, sa sexualité, à en parler… et elles supportaient donc de plus en plus mal la prédominance des médecins dans le mouvement.

Dès lors, le débat sur les avantages et inconvénients de la médicalisation de l’avortement se pose (et encore plus vivement après la loi Veil), d’autant plus que la critique de la médecine et/ou de son pouvoir est dans l’air du temps (vers une démédicalisation de la santé ou une médecine populaire !). Les « progrès » de la médecine et de l’hygiène durant les Trente Glorieuses 140, leur emprise sociale (médicalisation des accouchements) contrastent avec les conditions sanitaires dans lesquelles sont réalisés les avortements avant 1972. Le bon sens y voit un scandale auquel la société doit mettre un terme par la médicalisation. Le ver est dans le fruit dès le Manifeste des 343 qui présente l’avortement comme une « opération [qui] pratiquée sous contrôle médical est des plus simples » 141. Pour le MLAC, il s’agit d’un « acte médical comme les autres » (d’où la revendication de gratuité, c’est-à-dire de remboursement par la Sécu). Pourtant certaines de ses militantes rejettent un acte médical froid et des groupes entament une critique du pouvoir médical, majoritairement masculin et conservateur. Pour certaines, il faut mettre en pratique cette démédicalisation 142, privilégier le travail de groupe et la complicité : « Ici, autour de Claude et de ses camarades, on accorde autant d’importance à l’ambiance qui entoure l’acte qu’à l’acte lui-même. Depuis plusieurs jours la fille qui désire avorter a eu le temps de faire connaissance avec le groupe. Ce soir elle dînera sur place, parlera tranquillement de sa décision d’avorter, de ses problèmes, de son travail. Demain elle rencontrera les filles de la permanence dans l’escalier, au marché, redécouvrira des voisines. Son appartement servira à d’autres avortements, elle parlera à son tour à une future avortée, la conseillera, la rassurera » 143 (mais on a bien vu qu’il ne s’agit ici que d’un cas d’école). Des groupes locaux du MLAC axent leurs pratiques sur l’apprentissage de la méthode Karman, d’autres commencent à apprendre à pratiquer des auto-examens gynécologiques, des accouchements, à faire des piqûres, etc. Ces pratiques vont susciter des dissensions entre des militantes venues d’horizons divers, parfois jusqu’à la rupture (le groupe de Saint-Etienne scissionne sur cette question) 144.

Les médecins du MLAC ou du GIS sont eux partagés quant à l’apprentissage de techniques par des non-médecins ; les plus radicaux pensent qu’ « il faut démédicaliser la santé, dissocier le savoir technique du pouvoir et pour cela ne pas réserver le savoir à une caste » 145.

 

Sur le choix et la réappropriation

La Charte du MLAC indique que « la liberté de l’avortement et de la contraception implique […] la réalisation des conditions et des moyens matériels nécessaires au libre choix : augmentation du niveau de vie, développement des équipements sociaux (logements, crèches, etc.). » Autant dire que la « liberté » et le « choix » sont loin d’être une évidence dans cette société ! Néanmoins, la question du choix, de la liberté du choix est sans cesse présente : avoir des enfants ou pas, personne ne peut décider à ma place. Certains groupes d’ultragauche (Négation par exemple) vont dénoncer cette vision démocratiste et individualiste qui occulte la réalité des rapports sociaux, camoufle les contraintes économiques et sociales et prétend que la liberté est possible dans ce système… L’égalitarisme bourgeois est d’ailleurs la base de l’idéologie capitaliste (le libre prolétaire ayant remplacé le serf) : « Ainsi l’infecte fiction démocratique, qui a tiré sa forme générale du parlementarisme, tente, avec le stade de domination réelle du Capital, de faire du corps humain lui-même un “ parlement ” où la femme voterait ; “ choisirait ” en toute conscience (grâce à l’information !) son type de mutilation actuelle (les trois solutions : avortement, procréation et contraception étant de toute façon, dans cette société aussi inhumaine, purement réponses du Capital) » 146.

Un autre groupe refuse « l’idée que la suppression de la contrainte légale conduira au paradis de la liberté, où chaque femme […] déciderait “ librement ” quand, où et pourquoi elle mettra au monde un enfant. Au contraire, c’est seulement alors que la contrainte économique et sociale de la société capitaliste pourra jouer librement pour empêcher ou inciter la femme à enfanter, pour la pousser à faire des gosses, ou lui interdire ce “ luxe ” » 147.

Autre question, toujours actuelle : peut-on, dans cette société, se réapproprier quelque chose (reprendre la propriété) ? Libérer un territoire de la domination (ici le corps) ? Le faire individuellement ? En faire une stratégie pour que recule le système ? Certains 148 ont également critiqué le renouvellement de la revendication bourgeoise du droit de propriété qui pourrait découler de slogans tels que « mon ventre m’appartient ! », « mon corps est à moi » ou « elle s’appartient elle-même et non à l’Etat ». A cette époque, les femmes ne disposent en fait pas pleinement de la liberté « capitaliste » car toujours appropriées individuellement par des hommes. Elles doivent donc faire face à la domination patriarcale qui, contrairement au capitalisme, ne repose pas sur un principe égalitaire.

 

LE DÉBAT DEVIENT PUBLIC

 

Les coups médiatiques se succédant, le débat force la porte des émissions de télé ou de radio et des journaux féminins (Marie-Claire, Elle, etc.). En mai 1973, à Grenoble, une imposante mobilisation a lieu pour soutenir une anesthésiste, membre du MLAC, jugée pour avoir pratiqué un avortement et qui revendique son acte. L’année suivante, le MFPF ouvre publiquement dans cette ville un centre de contrôle des naissances. La justice reste globalement sans réaction alors que cette pratique publique de l’illégalité embarrasse bien plus l’Etat que l’avortement lui-même. Après la publication du Manifeste des 331 (pas de sanction), en février 1973, le ministre de la Justice fait savoir que la législation doit évoluer 149 et, à partir de juin, le débat s’engage au Parlement. Le retour à l’ordre et à la légalité est crucial pour le nouveau président Valéry Giscard d’Estaing 150 mais la question de l’avortement est un « élément de tout premier plan de sa politique de modernisation de la France » 151. Dès mai 1974, il charge la ministre de la Santé Simone Veil d’élaborer un projet de loi. La majorité de droite est déchirée entre députés cathos réacs et libéraux modernistes, ces derniers insistant sur le drame sanitaire et moral que provoque la clandestinité. Le député centriste Jacques Soustelle déclare lucidement que la question est tout autre : « On ne nous propose pas d’être pour ou contre l’avortement, mais pour ou contre l’avortement clandestin » 152. Pour Veil et beaucoup d’autres, « lorsque l’écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu’il n’y a plus à proprement parler de répression, c’est le respect des citoyens pour la loi, et donc l’autorité de l’Etat qui est en cause » 153. Cette loi, votée grâce aux voix de la gauche et promulguée en janvier 1975, a officiellement quatre objectifs : adapter la loi française à son temps ; supprimer les injustices sociales (femmes pauvres face à l’avortement) ; éviter les séquelles des avortements clandestins ; réduire le nombre d’avortements (développement des pratiques contraceptives).

Le combat est-il terminé ? La question agite les féministes. Alors que le groupe fondateur du MLAC approuve la loi et démissionne en février 1975, des membres du MLF ne voient dans cette réforme qu’un leurre : « La civilisation mâle nous a accordé, contre son gré, un droit qu’elle s’arrange pour rendre inapplicable, comme tous les autres » 154. Certaines, plus perspicaces, pensent que l’Etat s’assure le contrôle du corps des femmes via la médicalisation. Alors que des groupes décident de lutter pour améliorer les conditions de l’IVG (non remboursement de cet acte médical, nécessaire délivrance d’un certificat par un médecin, délais de dix semaines, caractère provisoire pendant cinq ans) 155, quelques-uns continuent de pratiquer l’avortement (en janvier 1976 le MLAC d’Aix-en-Provence est poursuivi pour exercice illégal de la médecine 156). De plus en plus isolés, ils finissent par disparaître.

La médicalisation a pour conséquence la disparition de la mortalité et des séquelles physiques lourdes de l’avortement clandestin (l’utilisation de la méthode Karman n’en était qu’à ses débuts), ce qui explique que l’Ordre des médecins, farouche opposant à la loi Veil en 1974, est favorable à son maintien cinq ans plus tard.

Comme une minorité le craignait, la satisfaction de cette revendication formelle est considérée comme une « victoire » pour de nombreuses femmes (notamment celles des classes moyennes) et nombre de militantes se satisfont de cette « avancée » 157. Le MLF se trouve privé du puissant cheval de bataille auquel il s’était bien trop identifié et qui, jusque-là, permettait la cohésion du mouvement. Le reflux s’accentue.

 

L’IVG, amère victoire du féminisme ?

 

Est-ce une victoire ? Contre le patriarcat ? Et par rapport au capitalisme ? Pourquoi légaliser une pratique devenue courante ? Pour mieux la contrôler ? Pour contrôler le corps des femmes ? Pour des raisons de santé publique (coût sanitaire et financier des avortements clandestins) ? Pour offrir un nouveau marché à l’industrie médicale ? Tant de questions, et bien d’autres, posées à l’époque, y compris au sein du MLF.

La loi de 1920, entraînant de très concrètes et cruelles réalités, était aussi perçue comme un symbole de l’oppression des femmes, voire comme la dernière loi instituant la domination patriarcale ; s’y attaquer semblait une évidence. Or, on l’a vu, la légalisation de la contraception et de l’avortement apparaissent dans un contexte précis ; on retrouve, à la même période, le même schéma dans la plupart des pays occidentaux, quelle qu’ait été l’ampleur des mouvements féministes. En France, l’obtention de la pilule (grâce notamment au travail de lobbying du MFPF) et de l’IVG sont le fait de gouvernements de droite qui, du moins en 1967, ne faisaient pas face à un vaste mouvement de contestation les mettant réellement en danger (c’est un peu plus compliqué, on l’a vu, en 1974). S’il s’agit indubitablement de coups fatals portés au patriarcat, il n’en est pas de même pour le mode de production capitaliste qui y trouve son compte.

Pour les Etats, sociétés et modes de production, il est nécessaire d’assurer le contrôle (direct ou indirect) de la reproduction de la force de travail, donc des naissances ; pilule et avortement en permettent la rationalisation. Dès 1967, le MFPF expliquait que « le nombre d’avortements provoqués a diminué […] dans les pays qui ont légalisé la régulation des naissances ; par ailleurs, une contraception bien conduite doit augmenter la natalité, en libérant le couple de la peur » 158. Quelques années après la loi Veil, une féministe se demande : « Qui sait même si la possibilité de programmer les naissances en fonction de la situation économique […] n’est pas un moyen de renforcer la famille, qui, échappant aux aléas du hasard et de l’anarchie, peut enfin entrer dans le domaine d’une production rationalisée et moderne ? 159 » L’Etat aurait peut-être pu s’accommoder de la diffusion clandestine de la méthode Karman, ce qui aurait permis, d’une manière auto- gérée, de limiter les conséquences sanitaires mais surtout les frais en découlant 160. Mais il ne pouvait laisser se développer une pratique publique de l’illégalité et une remise en cause de la médecine. Il devait réagir et, puisque la répression était inopportune, user du Droit et de la liberté, récupérant au passage la lutte des femmes pour redorer l’image défraîchie du pays des Droits de l’homme.

La loi Veil restaure l’autorité de l’Etat et de la justice et favorise la médicalisation combattue par une partie du mouvement. Si l’avortement échappe au contrôle de l’autorité judiciaire, il passe sous celui de l’autorité médicale, le pouvoir perdu par la religion sur la reproduction, les normes et les mœurs lui échoit. « A la place de la morale sexuelle, pour laquelle l’interdiction de l’avortement était une garantie de chasteté, c’est maintenant la responsabilité procréatrice qui est prônée » et la fonction de mère s’en trouve d’une certaine manière revalorisée. La libéralisation de la contraception et de l’avortement s’inscrit dans un processus de médicalisation de la vie qui débute réellement au XIXe siècle, de contrôle de tous les aspects de la vie par le capitalisme. C’est un tournant « où se préfigurent deux éléments fondamentaux qui organisent ultérieurement la gestion du privé et du corps des femmes : le triomphe du droit et de la loi et la figure de l’expert, ici les médecins 161. »

On voit ici que le problème fondamental de la régulation des naissances peut se passer de la médiation autoritaire du mari (qui jusque-là en assurait le contrôle principalement par le retrait) pour incomber directement aux femmes. Elles sont progressivement libérées de l’appropriation* individuelle (celle de leur mari) mais restent soumises à l’appropriation collective (et l’hétérosexualité et la monogamie restent la norme). L’Etat remplace le mari, et on assiste en quelque sorte à une « nationalisation » 162 des femmes/mères 163.

Contrairement au patriarcat (qui implique autorité, hiérarchie et domination), l’un des principes capitalistes est, on le répète, celui de la « liberté ». Les intérêts du capitalisme* vont donc parfois à l’encontre de ceux du patriarcat (intérêts de ce système et intérêts particuliers de chaque homme/dominant). C’est l’un des piliers structurant la domination masculine qui se trouve ici abattu. Si certaines peuvent aujourd’hui considérer la pilule ou l’IVG comme une charge pour les femmes ou un avantage pour les hommes (sexualité), elles sont néanmoins considérées aujourd’hui comme de grandes conquêtes du mouvement des femmes et leur défense comme une priorité pour les groupes féministes actuels (réformistes ou radicaux).

On peut avancer, sans remettre en cause l’honnêteté des militantes, que le mouvement des femmes était, de fait, inclus dans un vaste processus de modernisation du capitalisme, accompagnant et participant à la lutte contre les fractions réactionnaires et passéistes du pouvoir (vieux bougons cathos de droite, staliniens, etc.) 164, d’extension de la domination capitaliste sur l’ensemble des domaines de la vie, sur tout ce qui lui était encore extérieur. « L’histoire suit le même cours dans la plupart des pays occidentaux. Quand la situation est mûre, l’aspiration des femmes à plus de justice se cristallise autour d’enjeux collectifs. Le féminisme devient un mouvement social qui tend à intervenir dans l’évolution, pour l’accélérer 165. » Seule une minorité a tenté de dépasser cette situation en un combat révolutionnaire, mais le mouvement se trouve récupéré par l’Etat notamment parce qu’il se focalise sur un patriarcat anhistorique dont certains éléments emblématiques ne sont que de gênants vestiges pour le capitalisme. Une évolution que l’on retrouve dans beaucoup de pays occidentaux dans la même période 166.

 

ÉPILOGUE : crépuscule du MLF et du mouvement des femmes

 

Le MLF, comme le gauchisme, connaît son apogée autour de 1972, puis le désenchantement se fait jour. La possibilité d’une révolution, ou même d’un bouleversement majeur, s’évanouit… Le classique problème des organisations (même informelles) qui veulent perdurer malgré le reflux et cherchent à se maintenir à tout prix se pose ici. L’histoire du MLF rappelle la triste fin des mouvements des années 1970 mais, en raison sa spécificité, ses militantes échappent aux cases prison, drogue ou suicide… pas aux cases désil- lusion, division, récupération et trahison. L’évolution du mouvement ne peut être extraite du contexte économique et social : la crise qui éclate ouvertement en 1973 et s’amplifie, montée (et surtout crainte) du chômage, etc. « La société française va se rétracter comme une huître, se figer sur ses principes les plus rétrogrades » 167, sur ses valeurs traditionnelles (ou rénovées). Le milieu des années 1970 marque aussi un tournant dans la guerre de classes : la période offensive s’achève, d’importantes luttes ont lieu mais, majoritairement, contre des licenciements et des fermetures d’usines. L’accès des femmes au travail semblait une évidence, mais la montée du chômage en repose la question et le MLF, majoritairement plus préoccupé par des questions existentielles, se retrouve un peu désarmé 168. Pourtant, la situation a changé et, malgré des mesures gouvernementales en ce sens 169, et bien que les femmes subissent plus que les hommes le chômage, elles n’en redeviennent pas pour autant femmes au foyer : elles se maintiennent sur le marché du travail et s’y présentent plus nombreuses dès qu’une possibilité se manifeste 170.

Bien qu’ayant vu ce qu’il pouvait en coûter de centrer son activité sur un thème principal, le MLF va lancer une nouvelle grande campagne, certes bien moins récupérable, mais dont l’aboutissement victorieux semble fort incertain : la lutte contre le viol. Il s’agit de relancer une dynamique et de rassembler les femmes au-delà des classes* sociales sur une question qui les concerne toutes. Si la précédente campagne a montré que l’avortement pouvait être libéralisé « sans que soit remise en cause l’oppression fondamentale des femmes », à l’inverse « la lutte contre le viol est radicale en ce qu’elle s’attaque […] aux fondements mêmes du patriarcat […] elle s’avère aussi beaucoup plus difficile à mener et son issue ne peut être envisagée qu’à très long terme, avec un changement de société et une révolution culturelle qui entraîne un bouleversement total des rapports entre les sexes » 171. L’objectif est la comparution des violeurs aux assises, et non plus en correctionnelle. Il s’agit encore une fois de provoquer un électrochoc médiatique, et non de demander la punition de crimes individuels. Le meeting du 26 juin 1976 qui lance la campagne est loin de remplir la Mutualité comme en 1972, et la mobilisation va rester principalement limitée aux militantes du MLF. Le mouvement n’arrive en effet pas à dépasser le cas par cas ou à trouver d’autres terrains que le judiciaire (perçu comme une tribune) 172. De plus les objectifs à court terme ne sont pas clairs. Le MLF va se heurter également, bien plus frontalement, aux difficultés déjà soulevées par la campagne du MLAC 173 : débat sur le fond (tous les hommes sont-ils des violeurs ? Le viol est-il un fondement ou une conséquence de la domination masculine ?) ; rapports avec la Justice « des hommes » (du côté de l’accusation cette fois-ci) qui va se mettre à condamner lourdement des violeurs 174 ; affrontements entre tendances ; récupération 175 ; violente opposition avec l’extrême gauche (sur le recours à la Justice), etc.

Mais la période voit aussi l’union de la gauche parlementaire à laquelle, en vue d’une possible arrivée au pouvoir, nombre de gauchistes se rallient. Les femmes deviennent un enjeu électoral et cela se ressent dans les prises de position du PS et même du très rétrograde PCF qui se proclame « parti de la libération de la femme ». Alors qu’une partie des féministes LDC succombe aux sirènes électoralistes, ce sont des dissidentes du PS et du PCF qui rejoignent le MLF. Ce sigle s’efface alors fréquemment pour l’utilisation du terme « mouvement des femmes », le mot « libération » disparaissant… La campagne de 1979 pour l’avortement (la loi, jusque-là provisoire, doit être revotée) est l’occasion, avec le retour de Psychépo et de ses manipulations, de nouvelles divisions au sein du mouvement… qui ne se règlent pas dans les AG ou les colonnes de journaux militants, mais devant les tribunaux 176. La manif du 6 octobre 1979, malgré son ampleur, « signe la fin de la “ décennie féministe ” » 177. L’année suivante voit le courant FR se déchirer et les lesbiennes radicales faire scission.

Lors de la campagne présidentielle, les promesses de François Mitterrand lui valent le soutien de Choisir, de la LDF, du MFPF et du MLF-déposé. En mai 1981, alors qu’un ministère des Droits de la Femme est instauré, certaines militantes pensent qu’il est temps de s’organiser pour faire pression sur le nouveau pouvoir. Les AG du MLF (non déposé) révèlent une nouvelle division entre la base et une certaine élite (intellectuelles, journalistes, avocates, universitaires) susceptible de collaborer avec le gouvernement ou le faisant déjà. L’Etat « socialiste » commence en effet à subventionner grassement les associations féministes qui se multiplient (rencontres, solidarité, formation, aide à la création d’entreprises, activités culturelles, artistiques), mais aussi les premières recherches institutionnelles dans les universités ou au CNRS (qui deviendront études de genres)… alors que les publications féministes nées à partir de 1974 disparaissent les unes après les autres. Les militantes, parfois déçues, désertent la rue pour le débat d’idées et la culture. Les idées féministes se diffusent dans la société, sont assimilées, atténuées, et acquièrent une légitimité : « Des analyses subversives ont été scientifiquement – académiquement – et politiquement ratifiées. […] Pourtant un nombre important de problématiques qui avaient été les nôtres et qui apparaissaient comme irrecevables a au moins été intégré à la réalité sociopolitique comme au discours scientifique 178. » Le mouvement collectif d’émancipation cherchant à dépasser les rapports existants laisse la place à une émancipation individuelle (en germe dans la centralité du personnel au MLF et qui trouvera une expression radicale dans le mouvement queer* ou l’idée de « déconstruction ») ou bien à une défense des femmes.

Via une nouvelle génération de magazines féminins, une sorte de « nouveau féminisme » est mis en avant, plus rassurant car refusant d’attiser les conflits entre les genres (le style MLF devient ringard, dépassé puisque « victorieux »)… On met en avant les « nouvelles femmes », « superwomen » ou « femmes-leaders », qui réussissent, tout en conservant leur identité féminine (sexy), à concilier vie familiale et professionnelle (show-biz, politique, affaires, etc., les années 1980 sont celles du fric décomplexé). Si une évolution des mentalités est sensible, les pratiques sexistes n’évoluent guère et la persistance des inégalités, discriminations et mécanismes de subordination semble oubliée, si ce n’est dans les médias immanquablement le 8 mars de chaque année.

 

CONCLUSIONS

 

Un travers de l’étude du MLF, et bien qu’il récuse cette qualification, ressurgissent les classiques questions relatives à l’organisation. Quel est par exemple son rôle ou son utilité lors du cours quotidien de la lutte ? Est-elle un préalable nécessaire à la lutte ? Et après la lutte ? Bien des réponses ont été apportées par des théoriciens 179, mais l’histoire de la lutte des classes elle-même a clôt le débat : même si elle permet, il faut le reconnaître, d’arborer de bien beaux autocollants en manif, l’organisation est au minimum un boulet. D’ailleurs, lors de périodes de lutte ou d’insurrection, ces questions ne se posent pas, mais sont pourtant résolues concrètement par le prolétariat* 180.

La lutte des femmes semblant avant tout idéologique (pas de structures patriarcales à détruire, égalité en droit acquise), elle s’est concentrée sur un schéma de conscientisation des femmes duquel elle ne pouvait que difficilement sortir (en particulier en raison de l’isolement des femmes au foyer) 181. De ce point de vue quelque peu léniniste (la conscience apportée de l’extérieur), l’organisation paraissait utile et nécessaire pour la prise de conscience même si, de fait, elle n’était efficace qu’auprès de celles qui se questionnaient déjà.

Malgré son caractère très informel, le MLF peut être considéré comme une organisation politique, très en phase avec la période qui explique sa naissance et son essor. Ses choix politiques et tactiques s’appuient sur des réalités et des pratiques de base concrètes mais, lorsque ses campagnes prennent de l’ampleur, il se trouve dépassé, débordé 182 et le caractère non mixte s’estompe. Avec le temps, et c’est le lot de toute organisation qui veut perdurer alors que la dynamique qui la portait se tarit, le MLF doit faire face aux récupérations, à l’institutionnalisation et aux divisions (les intérêts particuliers, en l’occurrence de classe, refont surface). Il n’échappe pas aux tares des organisations, d’autant plus que d’un petit regroupement de militantes conscientes il est devenu ce que l’on pourrait qualifier une organisation de masse (et la structuration pour laquelle les féministes LDC militaient aurait amplifié ce phénomène).

S’ajoutent à ces questions celles plus spécifiques de l’auto-organisation des femmes (en non-mixité). Est-elle le premier acte de la révolution, la suite s’effectuant contre elle ? Un premier acte nécessaire ? N’augmenterait-elle pas, n’entérinerait-elle pas la division des prolétaires ? L’auto-organisation de chaque « minorité » puis leur jonction sont-elles nécessaires pour que se constitue l’unité du prolétariat face au capital ? En est-il de même en période de faible conflictualité ou en période de crise ?

La non-mixité semble une nécessité pour que les femmes prennent conscience et confiance. Dans les luttes mixtes elles sont le plus souvent réduites au silence (ou bien il y a conflit) ; dans celles majoritairement féminines la question des rapports de genres émerge. Ce qui est certain c’est qu’elle ne peut être une fin en soi, au risque de repli et d’enfermement identitaire, et doit être dépassée. Ce danger est d’autant plus fort si la non-mixité s’accompagne d’une mixité interclassiste (prolétaires et bourgeoises) qui ne peut qu’entraîner des dérives social-démocrates. Quant à l’unité des prolétaires (femmes, hommes et autres catégories) elle ne peut être qu’une conséquence de la lutte et non un préalable.

A première vue, il semble pourtant que le MLF a « fait plus en quelques années que des décennies de revendications raisonnables pour l’amélioration de la condition féminine » 183. Son action aurait donc été efficace. En fait, on l’a vu, elle s’inscrit dans un mouvement des femmes bien plus vaste et dont, en quelque sorte, il est au moins un précipité si ce n’est une avant-garde de fait (non dirigeante). Mais elle occulte aussi en partie le mouvement des femmes prolétaires des années 1970 qui, par leur action, remettait en cause capitalisme et domination masculine.

Est-ce le mouvement des femmes qui a fait évoluer les rétrogrades mentalités françaises ? A-t-il fait reculer le patriarcat ? Et si les campagnes féministes n’étaient que l’effet et non la cause 184 ? Comme tous les groupes/orgas gauchistes qui sont en plein développement dans les années 1960, l’émergence du mouvement féministe est révélatrice des bouleversements économiques et sociaux, et de la conflictualité des rapports sociaux de la période. L’Etat a dû réagir devant le climat d’insubordination créé par la lutte pour la libéralisation de l’avortement, mais l’on ne peut dire qu’il a reculé devant un rapport de force le mettant en péril. En fait, cette lutte n’était pas en contradiction avec la modernisation de la société, au contraire. Les différentes mesures mises en œuvre par les gouvernements successifs de droite et de gauche « en faveur » des femmes (à l’efficacité relative mais parfois inspirées par des militantes féministes)ne peuvent être considérées comme les simples artifices d’un inébranlable patriarcat.

Le problème (pas spécifique aux féministes) n’est pas de se féliciter des « progrès » (pour les plus réformistes) ou de dénoncer ces derniers comme une récupération (pour les plus radicales), mais de tenter de repérer, en dehors de toute idéologie, les profondes évolutions du système. La domination masculine n’est pas immuable, ni la condition des femmes invariante. Si le capitalisme et la domination masculine sont étroitement liés, le premier a, en un siècle, considérablement modifié la seconde 185 ; la place et le rôle social des femmes, particulièrement dans la sphère publique, n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient au XIXe siècle : « C’est le modèle familial et sexuel, un ensemble complexe de normes qui régissent les relations entre les sexes selon les nécessités de l’heure et les conceptions des groupes dominants. Le modèle traditionnel, qui s’est défait sous nos yeux, s’était développé au XVIIIe siècle, avec la montée en puissance de la bourgeoisie des villes, avant de s’imposer dans l’ensemble de la société » et « il n’a fallu que quelques années pour qu’un modèle périmé vole en éclat » 186.

Les militantes du MLF n’ont, pour la plupart, pas saisi les enjeux de cette évolution (lorsqu’on a le nez dans le guidon cela se comprend fort bien). Les théories qu’elles élaboraient étaient évidemment en phase avec leur temps et avec la lutte des femmes en général… et en avaient les limites. Le puissant mouvement des femmes des années 1970, ses « victoires » ou ses «échecs », ne peuvent donc s’expliquer par la valeur de quelques pionnières plus intelligentes, perspicaces ou organisées que les féministes du XIXe siècle ou de l’entre-deux-guerres. Les conditions ont fait que l’action des militantes était beaucoup plus porteuse, plus en adéquation avec les femmes et les contradictions de leur temps. Le MLF a néanmoins permis, en dénaturalisant le rapport femmes/hommes, que la question des genres se pose ouvertement et doive être prise en compte.

Aujourd’hui, le mouvement des femmes est, en tant que tel, inexistant et le mouvement féministe reste très marginal dans ses différentes versions : citoyenniste social-démocrate, radicale (le plus souvent dans une démarche subjectiviste et/ou influencée par les lesbiennes radicales et le queer) ou intellectuelle/universitaire. Le faible nombre de militantes n’est pas en soi problématique (on a vu ce qu’il en était début 1968) mais bien plutôt révélateur. On peut néanmoins se demander si cette question ne susciterait pas un regain d’intérêt et si un nouveau mouvement des femmes serait envisageable. Cela ne dépend évidemment pas de l’énergie ou du volontarisme de quelques-unes mais des conditions de ce début de XXIe siècle qui restent à étudier. Un nouveau mouvement qui ne pourra être que très différent de celui des années 1970 et qui devra s’appuyer, de manière critique, sur l’expérience du MLF sans pour autant calquer ses pratiques et théories, les idéaliser ou les idéologiser.

 

 

 

CHRONO


1970

Mai : réunion publique organisée à l’université de Vincennes par le groupe de Monique Wittig. La non-mixité est imposée.

Mai : le journal L’Idiot international, publie « Combat pour la libération de la femme », texte de Monique Wittig, Gille Wittig, Margaret Stephenson et Maria Rothenburg (le journal a modifié le titre qui était initialement « Pour un mouvement de libération des femmes »).

26 août : à l’Arc de Triomphe, dix femmes déposent une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu « Il y a encore plus inconnu que le soldat : sa femme » (Monique Wittig, Christiane Rochefort, Christine Delphy, Anne Zelenski, Cathy Bernheim, Emmanuelle de Lesseps, Monique Bourroux, Frédérique Daber, Janine Sert, Margaret Stephenson). La presse se met à parler d’un Mouvement de libération de la femme.

Octobre : numéro spécial de Partisans , n° 54-55, « Libération des femmes année zéro » (à l’origine c’est un projet de livre du FMA de Anne Zelensky et de Jacqueline Hogasen).

Octobre : début des assemblées générales régulières bimensuelles à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.

20 novembre : le MLF perturbe les Etats généraux de la femme organisé par Elle.

 


1971

Février-mars : grève des bonnetières de Troyes qui reçoivent le soutien de militantes du MLF.

Février :naissance du FHAR.

10 février : perturbation d’une conférence de Jérôme Lejeune de « Laissez-les vivre ! » (on y jette du mou de veau aux cris de « J’ai avorté ! »).

5 mars :tentative de perturbation d’un meeting de « Laissez-les vivre » à la Mutualité, repoussée par Ordre nouveau.

28 mars : rassemblement du MLF au square d’Issy-les-Moulineaux pour célébrer l’anniversaire de la Commune de Paris.

5 avril : publication dans Le Nouvel observateur du Manifeste dit des « 343 salopes ».

26 avril : des militantes du MLF perturbe un débat public sur l’avortement organisé par Le Nouvel Observateur.

1er mai : cortèges du MLF et du FHAR derrière la manifestation d’extrême gauche.

Mai : création du Cercle Elisabeth Dimitriev.

Mai : petite manifestation contre la Fête des mères sur les Champs-Elysées

Mai : numéro 1 du journal Le Torchon brûle (six numéros jusqu’en 1973, tirés à 35 000 exemplaires dont 15 000 diffusés par les NMPP).

20 novembre : première manifestation publique à l’appel du MLF, 3 à 4 000 personnes (majoritairement des femmes) défilent en faveur de l’avortement libre (présence du MFPF, du PSU et du FHAR).

Décembre : soutien de militantes du MLF à la grève d’une trentaine de mères célibataires mineures du collège-foyer de Plessis-Robinson (elles protestent en particulier contre le renvoi des filles enceintes des établissements scolaires, contre leurs conditions de vie, et demandent un statut pour les mères célibataires mineures).

 


1972

Création du Groupe Information Santé (GIS).

Perturbation d’une séance de l’Assemblée nationale par des militantes du MLF.

Une douzaine de groupes de quartier de Paris et de banlieue décident de se coordonner.

Avril-juin :grève des employées des Nouvelles Galeries de Thionville.

Mai : le Cercle Elisabeth Dimitriev publie le manifeste Sortir de l’ombre.

14-15 mai : « Journées de dénonciation des crimes commis contre les femmes » organisées à la Mutualité ; 4 000 entrées, discussions sur le viol, l’avortement, le travail domestique, etc.

Septembre  : arrivée de la méthode Karman en France (un médecin du GIS l’a apprise en Californie durant l’été).

10 octobre : le MLF appelle à une manifestation (interdite) à l’Opéra en soutien aux inculpées de Bobigny (une fille de 16 ans qui, avec le soutien de sa mère, a avorté suite à un viol est poursuivie). Violente répression, arrestations.

11 octobre : le procès de Bobigny se transforme en procès de la loi de 1920. Rupture entre le MLF et Choisir.

Novembre : occupation et bombage des locaux du Conseil de l’Ordre des médecins.

 


1973

Janvier : création des Editions Des femmes par Psychépo.

3 février : Manifeste de 331 médecins déclarant publiquement avoir pratiqué l’avortement, publié dans Le Nouvel Observateur.

4 avril : naissance officielle du MLAC.

8 avril :le GIS pratique un avortement en public à l’hôpital Saint-Antoine à Paris.

Mai : à Grenoble, une anesthésiste de l’hôpital, membre du MLAC, est jugée pour avoir pratiqué un avortement et revendique son acte. Important soutien, gros tapage médiatique.

Juin : Foire aux femmes à Vincennes organisée par le MLF (sketches, saynètes, musique, etc.)

Novembre : à Grenoble, premières Assises du MLAC.

 


1974

Février-mars : création de la Ligue du droit des femmes (LDF) qui publie le journal Nouvelles féministes.

Mars : numéro 0 du journal Pétroleuses (5 000 exemplaires).

Avril : le MFPF ouvre publiquement à Grenoble un centre d’orthogénie et y pratique le conseil, la contraception et la méthode Karman.

Juin : rencontre nationale de groupes femmes de quartier à Bièvres (à l’initiative de la tendance Lutte de Classe). Un millier de femmes de 300 groupes différents sont présentes.

8 juin : échec de la « grève des femmes » (refus du travail domestique ou du service sexuel).

Juillet : Valéry Giscard d’Estaing, qui vient d’être élu président, nomme la journaliste de gauche Françoise Giroud secrétaire d’Etat à la Condition féminine.

29 novembre : vote de la loi Veil autorisant l’avortement (loi adoptée provisoirement, devant être revotée en 1979).

 


1975

8 mars : manifestation à l’appel « Des femmes du MLF : Femmes en lutte, Les Pétroleuses, Psychanalyse et Politique et des femmes en lutte dans les entreprises, les quartiers et les facultés » contre « l’Année internationale de la femme ».

2 juin : occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon par une centaine de prostituées (contre la répression accrue, pour le droit au respect et à la dignité).

Octobre : manifestation à Hendaye contre le franquisme « le machisme fait le lit du fascisme », « le fascisme est un viol permanent, le viol est un fascisme non reconnu ».

 


1976

20 janvier : le MLAC d’Aix-en-Provence, qui a pratiqué des avortements sur des mineures, est poursuivi pour exercice illégal de la médecine.

1er mai : des femmes du MLF participent à la traditionnelle manifestation avec des banderoles et slogans contre le viol. Elles sont agressées par le SO de la CGT.

26 juin : meeting contre le viol organisé à la Mutualité qui tourne un peu à vide.

12 octobre : occupation de la librairie Des femmes à Paris pour protester contre le licenciement abusif de Barbara (action qualifiée de « viol féministe » par Psychépo).

 


1977

Mars : procès du MLAC d’Aix-en-Provence pour exercice illégal de la médecine. 4 000 personnes se rassemblent devant le tribunal (condamnation à un ou deux mois avec sursis).

Novembre : parution du premier numéro des revues Cahiers du féminisme (LCR) et Questions féministes (tendance FR).

 


1978

Ouverture du premier foyer pour femmes battues, le Flora-Tristan.

12 mai : saccage de la librairie Des femmes par un groupe de femmes d’ultragauche, les Bombeuses à chapeau.

 


1979

Septembre : Antoinette Fouque et ses adeptes déclarent la création de l’association MLF à la préfecture de police.

6 octobre : manifestation de plusieurs dizaines de milliers de femmes (MLF, MFPF, organisations politiques) à Paris pour la reconduction de la loi sur l’IVG. Psychépo, qui fait son retour, prend d’autorité la tête de la manif.

Octobre : Antoinette Fouque dépose la « marque » MLF à l’INPI.

24 novembre :manifestation mixte et unitaire pour le droit à l’avortement (44 organisations, partis et syndicats, 50 000 personnes).

 


 


 


 


1 En cette période on assiste au passage massif à l’extraction de plus-value relative* (investis- sement massif dans le capital fixe, c’est-à-dire les machines) qui demande une main-d’œuvre différente (plus investie, plus formée, plus intégrée, etc.). On entre de plein pied dans la phase de domination réelle du capital : il domine toute la société, transforme toute la vie en marchandise et intègre dans son cycle les conditions de reproduction de la force de travail.

2 De 1945 à 1968, la part des paysans passe de 30 à 10 % de la population active (moins de 4 % aujourd’hui). On assiste aussi, pour les secteurs où la productivité n’a pu être accrue, à un recours à l’immigration à partir de la fin des années 1950. L’avantage des travailleurs immigrés, outre leur disponibilité immédiate (et s’il le faut temporaire), est qu’ils arrivent « tout faits », l’Etat n’a pas eu à payer leur élevage et leur éducation.

3 S’y ajoutent les progrès de la médecine et de l’hygiène qui permettent une baisse du taux de mortalité infantile.

4 Dans la suite de l’article, lorsqu’il sera question du travail des femmes il s’agira du travail salarié à l’extérieur du foyer.

5 « Le phénomène n’a pas d’inci- dence immédiate sur la natalité, car les mères commencent à être, à cette époque, celles issues du baby-boom : elles sont plus nombreuses que leurs aînées et, de ce fait, même avec une fécondité désormais moindre, le nombre de leurs enfants n’est pas globalement en recul. […] Ce n’est qu’au milieu de la décennie suivante que le taux de natalité sera à son tour touché, passant en dessous de la barre des 15 ‰. » Voir Jean-François Sirinelli, Les Vingt Décisives. Le Passé proche de notre avenir 1965-1985, Paris, Fayard, 2007, p. 74-75.

6 Voir Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, Paris Fayard, 2004 [1979], 296 p. Le coût du « minimum vital » nécessaire explose à cette époque, alors que la part de l’alimentation dans le budget des familles régresse. Le coût de la reproduction de la force de travail est donc plus important. Le niveau de subsistance, défini socialement, n’est plus le même qu’au XIXe siècle.

7 « La consommation des ménages. Celle des soins d’hygiène et autres produits de beauté, celle des transports et des communications ; la voiture a remplacé le Solex, le Nylon s’est substitué à la fibre naturelle, le cinéma est entré dans les foyers avec la télévision ; l’électricité et le gaz supplantant le charbon comme source d’énergie, on jette les vieilles glacières pour acheter à crédit un réfrigérateur, etc. » « Les préludes », Courant alternatif, numéro spécial, mai 1998, p. 11.

8 Et surtout maintenir à un niveau raisonnable le temps de travail nécessaire* à la reproduction de la force de travail (que permet aussi le travail domestique).

9 Le démantèlement du Code civil de 1804, qui assujettit officiellement les femmes, se poursuit : loi du 13 juillet 1965 modifie le régime matrimonial en « libérant » l’épouse (le mari ne peut s’opposer à ce qu’elle travaille, qu’elle ouvre un compte en banque). Loi du 4 juin 1970 (l’autorité « parentale » remplace l’autorité « paternelle »), loi du 3 janvier 1972 contre toutes discriminations légales à l’égard des enfants naturels, loi de 1975 permettant le divorce par consentement mutuel, etc.

10 Voir Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 74-75 et Henri Mendras, La Seconde Révolution française (1965-1984), Paris, Gallimard, 1988, 329 p

11 Négation, La reproduction de la vie immédiate en suspens. Avortement et pénurie, Grenoble, 1974, p. 7. A partir de 1965, la modernisation du capitalisme français s’accélère. La gestion de la main-d’œuvre et de sa fluidité devient primordiale (apparition d’un nouveau type de chômage, création de l’ANPE en 1967). Voir Bruno Astarian, Les grèves en France en mai-juin 1968, Paris, Echanges et Mouvement, 2003, p. 70-75.

12 En France, un comportement contraceptif apparaît chez les élites dès le XVIIIe siècle. Les pratiques de limitation des naissances se diffusent aux classes populaires au XIXe siècle (retrait, injections vaginales, éponge de sûreté, diaphragme de caoutchouc, le préservatif n’étant utilisé que dans les classes supérieures) alors que l’infanticide est, lui, une pratique courante dans les campagnes. Voir Françoise Thébaud, « La peur au ventre », in L’Histoire, Amour et sexualité en Occident, Paris, Seuil, 1991, p. 285-289.

13 La loi du 31 juillet 1920 punit « le crime » de l’avortement de six mois à trois ans de prison et punit de prison et d’amendes « quiconque aura décrit ou divulgué, ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore à faciliter l’usage de ces procédés ». Après un trop grand nombre d’acquittements aux assises, l’avortement est « correctionnalisé » en 1923. En fait, c’est en 1556 qu’un édit d’Henri II interdit l’avortement et oblige les femmes à déclarer leur grossesse. Au même moment, le pape Grégoire XIV déclare lui qu’avorter avant trois mois de grossesse n’est pas un crime…

14 Il connaît une certaine influence dans les milieux anarchistes où des militants comme Paul Robin, Madeleine Pelletier ou les époux Humbert publicisent et pratiquent contraception et avortement. En but à la répression, notamment à partir de 1920, ils connaissent régulièrement la prison.

15 Voir Roger-Henri Guerrand, Francis Ronsin, Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances, Paris, Spartacus, 2001, p. 102-103.

16 Roger-Henri Guerrand, Francis Ronsin, op. cit., p. 175.

17 Apparemment futile, mais révélateur : l’un des tubes de l’année 1966 est la chanson d’Antoine, Les Elucubrations, dont l’un des couplets propose, en contradiction avec la loi de 1920 : « Mettez la pilule en vente dans les Monoprix. »

18 Weil-Hallé est accusée de collusion avec le pouvoir par les « trublions » de la base du MFPF qui, après la légalisation de la pilule, se radicalisent, participent au MLAC et pratiquent des avortements. Voir les interviews de Evelyne Sullerot,

19 co-fondatrice de l’association, surhttp://www.canalacademie.com

20 Roger-Henri Guerrand, Francis Ronsin, op. cit. , p. 157.

21 Les pionnières du MLF, souvent issues des classes moyennes et supérieures et diplômées sont en butte à un plafond de verre très bas à l’époque.

22 Sans compter la montée du chômage qui paraît alors dramatique : on compte alors 500 000 demandeurs d’emploi !

23 En fait, Mai 68 est précédé de multiples grèves sauvages et violentes de jeunes ouvriers, mais l’histoire officielle préfère ne retenir que le folklore étudiant. Voir notamment Bruno Astarian, op. cit.

24 Groupe mixte créé en 1967, indirectement relié à l’ancêtre du PS. Il se consacre au problème des relations entre hommes et femmes. On y trouve entre autres Anne Zelensky, Jacqueline Feldman et Betty Felenbok qui sont rejointes en Mai 68 par Christine Delphy. Le groupe se radicalise et, devenu non-mixte, prend en 1970 le nom de Féminisme marxisme action. Voir notamment Jacqueline Feldman, op. cit., p. 193-203, et Christine Delphy, Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française (1980-2010), Paris, Syllepse, 2010, p. 45-56.

25 Cette libération des mœurs est sensible, du moins chez les étudiants, dès le début des années 1960, « le régime gaulliste et la société française furent plus tolérants qu’on ne l’admet généralement. Les autorités étaient plus préoccupées par la protection de la propriété que par la défense de la morale traditionnelle. » Voir Echanges, n° 95, automne-hiver 2000, p. 26 (à propos de l’article de Michael Seidman, « The Libertarian Pre-Revolution of 1968 », China Scholarship, 2000).

26 La vie quotidienne, les rapports entre individus ou la famille ne sont pas préservés de la domination de l’Etat et du capitalisme qui les façonnent (cela devient très visible avec la domination réelle) ; par conséquent, ils deviennent des champs d’action et de lutte tout comme l’usine.

27 A différents niveaux par des groupes comme Noir et Rouge, le Groupe non groupe, l’IS et ses épigones, Vive la révolution ! (VLR) ou bien l’Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (OJTR qui publie en 1972 la brochure Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation). Voir notamment Collectif, Histoire critique de l’ultragauche, Marseille, Senonevero, 2009, 342 p. La dénonciation des rigides conceptions léninistes (refus de la spontanéité, parti apportant la conscience révolutionnaire de l’extérieur, nécessité d’une organisation forte et structurée, militants professionnels, prises du pouvoir, période de transition et autres saloperies) est alors fréquente. Le mouvement anarchiste n’échappe pas à la critique et la très orthodoxe Fédération anarchiste (FA), par exemple, doit alors faire face aux incivilités de nombre de ses groupes.

28 La présence de militantes anarchistes semble avoir été assez rare. La FA (à laquelle fort heureusement ne se résume pas l’anarchisme) est bien plus préoccupée par l’antimilitarisme ou l’anticléricalisme. Seul son groupe de Nantes anime à partir de 1974 une commission « contraception et avortement » qui se consacre principalement à la propagande en faveur de la vasectomie. Une commission « femmes » est créée en 1978. A cette date, des militantes anarchistes, notamment de la FA, de l’Organisation communiste libertaire (OCL) ou de la Lanterne noire, créent la revue Colères. Certains groupes ou militants, tout comme ceux de l’OCL, semblent néanmoins avoir participé au MLAC même si d’autres le considéraient avec mépris. Il semble néanmoins que le mouvement des femmes a « incontestablement opéré de profondes remises en causes […] dans les organisations anarchistes ou groupes anarchistes ou libertaires ». Voir Agathe, « Les femmes dans le mouvement révolutionnaire », La Lanterne noire, n° 10, mars 1978, p. 21.

29 En 1970, seules 6 % des femmes utilisent la pilule, parmi lesquelles plus de 40 % de cadres et seulement 4 % d’ouvrières. Voir Françoise Picq, Libération des femmes, les années mouvement, Paris, Seuil, 1993, p. 61-62.

30 Jean Rabaut, Histoire des féminismes français, Paris, Stock, 1978, p. 334.

31 « Vie et mœurs de la peuplade Tuot, ou que vos os pourrissent sous la lune » et Des militantes du MLF, « Votre révolution n’est pas la nôtre », Tout !, n° 15, juin 1971 ; cité par Françoise Picq, op. cit., p. 106, 108.

32 Il faut aussi noter le caractère viriliste des organisations gauchistes de l’époque (y compris dans l’imagerie ouvriériste) ; les affrontements violents étaient monnaie courante, mais souvent affaire d’hommes.

33 Pour l’auto-organisation des opprimés et pas pour le féminisme des Black Panthers dont certains dirigeants sont hostiles à la contraception et à l’avortement pour les femmes noires (contrôle de la production de guerriers) et pour qui le viol des femmes blanches est un acte révolutionnaire.

34 Aujourd’hui, le féminisme d’Anne Zelensky (en particulier ses positions sur le port du voile) l’a conduit à se rapprocher des Jeunesses identitaires (voir les Assises contre l’islamisation du 18 décembre 2010).

35 Aujourd’hui, le féminisme de Christine Delphy (en particulier ses positions sur le port du voile) l’a conduit à se rapprocher du Parti des indigènes de la république.

36 Principalement le FMA et un groupe informel constitué en octobre 1968 (avec Monique et Gille Wittig, Antoinette Fouque) puis les mystérieuses Oreilles vertes. La constitution de ces groupes est moins liée à une cohérence théorico-politique qu’au hasard des rencontres. Elles sont rejointes plus tard par des militantes de la Gauche prolétarienne mais surtout de VLR, groupe maoïste spontanéïste qui publie Tout !

37 Au-delà des grèves d’ouvrières, la nouveauté réside dans l’apparition des premières grandes grèves d’employés parmi lesquels les femmes sont très présentes (grèves dans les grands magasins en 1972 ou dans les banques durant l’hiver 1974-1975).

38 Par exemple la grève des mères célibataires mineures du collège-foyer de Plessis-Robinson de décembre 1971. Voir Jean-Paul Ribes, Janique Laudouar, « La débandade du phallus », Actuel, n° 25, novembre 1972, p. 4. et Catherine Baker, « La grève des écolières enceintes », Politique Hebdo, n° 8, 23 décembre 1971, p. 10. Françoise Picq, op. cit., p. 84-85.

39 L’association Choisir est créée en 1971 par l’avocate Gisèle Halimi (proche du PS) afin de défendre les signataires du Manifeste des 343. Sa fondatrice se lance dans toutes les luttes à potentialité médiatique (procès de Bobigny en 1972 et des « violées de Marseille » en 1975), fait des propositions afin de modifier la législation, notamment pour le droit à l’avortement, et présente des candidates aux législatives de mars 1978.

40 Le Torchon brûle, n°2.

41 Quelques-unes d’entre elles, « Le rire des femmes », Magazine littéraire, mai 1976, p. 43.

42 Ibid, p. 45.

43 La revendication d’un salaire ménager semble n’avoir été que très minoritaire (rare exemple chez Marie-Christine Gaffory, « Le travail ménager », Alternatives, n°1, juin 1977, p.34-39). Il est vrai que lorsque l’on commence à en imaginer les modalités pratiques, on voit bien l’ineptie de cette idée qui instituerait le rôle de ménagère des femmes.

44 Le terme apparaît en Grande-Bretagne dans les années 1970.

45 Voir Corinne Monnet, « La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation », Nouvelles questions féministes, vol. 19, 1998. En brochure sur infokiosques.net.

46 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 49.

47 Il semble que l’opposition des gauchistes (principalement les hommes) au MLF ait parfois été assez « virile ». La situation évolue avec le lancement de la campagne pour la libéralisation de l’avortement et l’arrivée de nombreuses militantes trotskistes au MLF, les organisations d’extrême gauche doivent prendre en compte le combat des femmes.

48 Voir Naty Garcia Guadilla, Libération des femmes, Le MLF, PUF, 1981 citée par Bibia Pavard, « Les féministes, au-delà des mythes », p. 302-316 in Collectif, Les années 68, un monde en mouvement, Paris, Syllepse/BDIC, 2008, p. 311.

49 Simone de Beauvoir dans la préface à Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 10.

50 Bien que par nature extraparlementaire, et non démocratique dans ses actes, le MLF ne fait pas la critique de l’Etat ou du système politique, qui sont souvent qualifiés rapidement de « masculins » ou « patriarcaux ». Cela peut expliquer les dérives que connaît le MLF dans ses dernières années (voir plus loin, p. 133). Christine Delphy écrit en 1984 que «  élections pièges à cons  n’est jamais dit ; c’est un implicite si fort, si constitutif du Mouvement, qu’il va sans dire » (« Les femmes et l’Etat », in Christine Delphy, L’Ennemi principal, t. II, Penser le genre, Syllepse, 2001, p. 365). Peut-être aurait-il mieux valu le dire, surtout quand on connaît la formation marxiste-léniniste de bien des militantes…

51 « Journées de dénonciation des crimes contre les femmes » organisées à la Mutualité  les 14 et 15 mai 1972.

52 Mano Delesseps, Claude Hennequin-Geindre, « Trois ans de MLF », Actuel, n° 25, novembre 1972, p. 7.

53 Ibidem.

54 Carol Hanisch, « Problèmes actuels : éveil de la conscience féminine. Le  personnel  est aussi  politique  », Partisans, n° 54-55, juillet-octobre 1970, p. 61-64.

55 Françoise Picq, op. cit., p. 357.

56 Ibid., p. 186-187.

57 Michelle Zancarini-Fournel, « Genre et politique : les années 1968 », inVingtième siècle, n° 75, juillet-septembre 2002, p. 140.

58 On en arrive à de curieuses « inversions » comme lorsque des militantes, revenant d’une réunion consacrée au vécu et au personnel, discutent dans le métro de questions politiques traditionnelles (situation internationale, grèves ouvrières, etc.). Voir Françoise Picq, op. cit., p. 194.

59 Voir Gilles Dauvé et Karl Nésic, « Le Tout sur le tout », Lettre de Troploin, n° 11, février 2010.

60 Concept forgé par les féministes en contrepoint à la fraternité masculine. Toutes les femmes sont sœurs et doivent développer des rapports de profonde solidarité.

61 C’est le lot de toute organisation groupusculaire composée de furieux militants ayant des bases théoriques communes carrées et qui tend à devenir une organisation de masse… sa radicalité va en s’estompant et les scissions menacent.

62 Françoise Picq, op. cit., p. 117.

63 Claude, « Question d’un moi en mouvement à un mouvement du moi », Les Temps modernes, n° 333-334, avril 1974. Mais l’homosexualité est parfois lourde à porter comme dans certains groupes de quartier où les militantes craignent de choquer… Voir Françoise Picq, op. cit., p. 188.

64 Moi je me suis révoltée, j’arrive à atteindre la conscience, à me libérer… pourquoi pas elles ? Car elles ne sont que des esclaves résignées, idiotes, complices, etc.

65 Et l’on peut comprendre (ou s’étonner) que certaines et certains souhaitent aujourd’hui gommer ces questions pour ne garder du MLF qu’une image lisse et quasi idéale qu’il faudrait reproduire.

66 Si certaines militantes s’opposent à cette constitution en tendances car elles y voient un danger pour le mouvement, cette structuration convient par contre mieux aux militantes venues du trotskisme. Cette division n’est pas spécifique au mouvement français et se retrouve, avec des déclinaisons variées, dans d’autres pays. Anne Zelensky note que « les raisons de l’antagonisme [entre tendances] étaient à la fois personnelles et politiques, puisque nous refusions la séparation entre privé et public ». Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 73.

67 Cet article n’est pas alors perçu comme une référence, c’est la polémique engagée par la tendance Lutte de classes qui en fera un texte fondateur.

68 Si le travail domestique est défini comme l’exploitation spécifique que subissent les femmes, la question de la répartition des tâches au sein du foyer n’a plus d’intérêt. Voir l’article sur le travail domestique, p. 47.

69 Cette vision, pour nous interclassiste (Nathalie Ménigon et Françoise Besse auraient les mêmes intérêts), a provoqué bien des controverses au sein ou en dehors du MLF (voir par exemple Claude Alzon, La Femme potiche et la femme bonniche, Paris, Maspéro, 1974, 128 p.). Dans les années 1970, les bourgeoises ne l’étaient en général que par procuration (des épouses de bourgeois) mais profitaient de l’exploitation d’autres femmes (les domestiques) pour faire réaliser leur travail domestique. Cette question est aujourd’hui complètement bouleversée par l’apparition d’une fraction grandissante de la classe capitaliste composée de femmes qui profitent directement de la division genrée (salaires inférieurs des femmes, précarité, etc.). Voir l’article «Capitalisme, genres et communisme», p. 11.

A noter l’étrange rejet/fascination pour le prolétariat, qui pousse certaines féministes et leurs thuriféraires hommes à utiliser le terme classe pour désigner le groupe social des femmes (sans les analyses de Delphy) comme s’il s’agissait d’un titre de noblesse.

70 Delphy apporte au MLF la caution de la rigueur marxiste qui paraît indispensable à cette époque. Mais, faut-il, pour légitimer le mouvement, inverser les schémas marxistes, et chercher à ramener l’oppression des femmes à une seule dimension économiste ? La volonté des FR de se distancier de toutnaturalisme leur fait négliger la question de la reproduction. Cette centralité du travail domestique peut aussi aboutir à des conclusions simplistes : s’y soustraire individuel- lement (voire collectivement) pour échapper à l’oppression, vision que l’on retrouve chez les lesbiennes radicales.

71 Josette Trat, « L’Histoire oubliée du courant « féminisme lutte de classes » » in Collectif, Femmes, genre, féminisme, Paris, Syllepse, 2007, p. 13, 52.

72 « Ce n’est ni l’hétérosexualité, ni les hommes en tant que sexe que je ne supportais pas, mais ce qu’on avait fait d’eux et qui était indissociable d’eux. Il y a certes des hommes moins atteints par la gangrène de la  virilité , j’en avais connu, mais aucun n’y échappe vraiment. J’étais sur le point d’accorder enfin ma théorie et ma pratique : renoncer aux rapports dits  amoureux  avec des êtres incompatibles avec moi », Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 76-78.

73 Monique Wittig, « La pensée Straight ». Dans le même numéro, Emmanuelle de Lesseps dénonce l’instauration d’une nouvelle norme hiérarchisant les femmes sur des critères sexuels, l’idée d’un choix politique de la sexualité et la répression des désirs hétérosexuels. Voir Emmanuelle de Lesseps, « Héterosexualité et féminisme », Questions féministes, n° 7, janvier 1980, et Françoise Picq, op. cit., p. 304-309.

74 En juin 1980, se crée le Front radical lesbien qui se fait notamment connaître par des tags rageurs comme « hétéro-féministes = kapos du patriarcat ». Les lesbiennes radicales attaquent en justice les FR qui créent la revue Nouvelles questions féministes. Voir Françoise Picq, op. cit., p. 307.

75 Le féminisme, « dernière forme historique du patriarcat », est accusé de faire disparaître les femmes dans le modèle masculin (revendications égalitaristes) ; son passé, notamment le suffragisme, considéré comme bourgeois et réformiste, est à rejeter. Voir Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 51.

76 Toute « loi sur le corps des femmes », répressive ou permissive, est à refuser car elle « leur assure un droit sur nos richesses […], les fait pères au travers des femmes », Des femmes en mouvements hebdo, n° 4, avril 1978, cité par Françoise Picq, op. cit., p. 294.

77 La « féminité » étant, elle, un produit de la culture, donc des hommes.

78 « Un temps, témoigne une militante,  Ils nous violent  deviendra le leitmotiv de toutes les réunions. On le mettra à toutes les sauces : viol politique, viol moral, viol verbal… De quoi devenir parano, frigide ou les deux à la fois. La campagne publique contre le viol aura le mérite peu remarqué de lui restituer sa dimension réelle. » Elisabeth Salvaresi, Mai en héritage, Paris, Syros, 1988, p. 135.

79 Culte de la personnalité, chasse au phallus dans la tête de ses membres qui rappelle les séances d’autocritique maoïstes, psychanalyse des militantes par Fouque elle-même, etc. Voir Nadja Ringart, « La naissance d’une secte », Prochoix, n° 46, décembre 2008, p. 35-40. Il y a aussi l’histoire de Barbara, licenciée en 1976 dans des conditions douteuses par la librairie Des femmes. Elle assigne aux prud’hommes ses employeuses qui répliquent en attaquant pour diffamation des militantes ayant réalisé une vidéo sur l’affaire. Le texte de la vidéo est reproduit sur une affiche dénonçant une édition « contre des femmes » et signée par 343 militantes ! Françoise Picq, op. cit., p. 249-263.

80 A partir de 1972, la tendance se met à créer diverses SARL (édition, journaux) et dépose secrètement des marques à INPI. Voir Prochoix, op. cit.

81 A l’étranger, le MLF est souvent réduit à cette seule tendance qualifiée de « french feminism ».

82 En 1979, Antoinette Fouque déclare en préfecture la création de l’association MLF et dépose la « marque » MLF (et le logo du poing dans le symbole féminin) à l’INPI ! Le MLF « déposé » crée des instituts, des magasins, etc., et attaque en justice, pour concurrence déloyale, celles qui utilisent le sigle. En 1981 Fouque fait imprimer des affiches « Avec Mitterrand président, vive le MLF ! ». Abandonnant ensuite le sigle, elle fonde en 1989 l’Alliance des femmes pour la démocratie et, en 1994, est élue députée européenne sur la liste du pro-féministe* Bernard Tapie. Fouque provoque en 2008 un tollé chez les anciennes militantes en affirmant avoir créé, seule, le MLF. Voir Prochoix, op. cit.

83 A partir de 1973, les militantes d’extrême gauche, après leur passage au MLAC, sont nombreuses à rejoindre le MLF. On y trouve des membres ou d’ex-membres de la Ligue communiste (puis LCR), Révolution !, Alliance marxiste révolutionnaire (AMR), VLR, (probablement de l’ORA et de l’OCL).

84 « Du côté des groupes parisiens », Pétroleuses, n° 6, octobre 1976, p. 19.

85 « Un journal ouvert à l’expression des groupes-femmes », Pétroleuses, op. cit., p. 2.

86 La sédentarisation des populations et le développement de l’agriculture au néolithique entraînerait l’apparition de surplus de production et de la propriété privée. Les problèmes de filiation et d’héritage en découlant seraient résolus par le contrôle des femmes via le mariage. Cette théorie, développée par Engels dans L’Origine de la famille… op. cit. en 1884, explique la contrainte à l’hétérosexualité. Un récent ouvrage revisite et relativise les thèses de Engels : Christophe Darmangeat, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était. Aux origines de l’oppression des femmes, Toulouse, Smolny, 2009, 464 p.

87 Le patriarcat est certes préexistant au capitalisme, mais « ce n’est pas à partir des contradictions de la société patriarcale, mais à partir des contradictions de la société d’ancien régime qu’est né le capitalisme », Cercle Dimitriev, « Sortir de l’ombre » [1972], reproduit dans Brève histoire du MLF, pour un féminisme autogestionnaire, Paris, Savelli, 1976, p.39.

88 « Du côté des groupes parisiens », Pétroleuses, op. cit., p. 9.

89 « Editorial », Pétroleuses, n° 0, mars 1974.

90 Le Catalogue des ressources, Vol. II., Ed. Alternative et Parallèles, 1977, p. 319.

91 Josette Trat, « L’Histoire oubliée du courant  féminisme lutte de classes  » , op. cit., p. 13.

92 En référence à Elisabeth Dmitriev (1851-1918), membre de l’Internationale que Karl Marx envoie en mission d’information à Paris en mars 1871. Elle y anime l’Union des femmes puis l’Union pour la défense de Paris et les soins aux blessés, et participe aux combats.

93 L’Alliance marxiste révolutionnaire (AMR) est un groupe issu du trotskisme (pabliste) qui en 1975 rejoint le PSU.

94 Cercle Dimitriev, op. cit.

95 « Editorial », Pétroleuses, n° 0, mars 1974.

96 Sensible dans l’évolution des thèmes des articles au fil des numéros du journal Pétroleuses. Voir Françoise Picq, op. cit., p. 231.

97 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 49.

98 Christine Dupont [Delphy], « L’Ennemi principal », Partisans, op. cit., p.157

99 Ibidem.

100 Les bases du capitalisme (argent, valeur, salariat, classes, exploitation, Etat, etc.) n’ont en rien été abolies dans ces dictatures. En fait, seule une partie la classe bourgeoise et une partie de la propriété privée ont été supprimées, mais Marx expliquait lui-même que disparition de la propriété privée et communisme* n’étaient pas synonymes.

101 Christine Dupont [Delphy], op. cit., p. 171. Voir également « Combat pour la libération de la femme », op. cit.

102 Des groupes-revues comme Archinoir, Négation, Mouvement communiste, les Amis de quatre millions de jeunes travailleurs, etc. qui n’abordent que très rarement les questions de genres (généralement pour exécuter les féministes). Sur ces groupes et les théories de cette époque, voir l’anthologie présentée par François Danel, Rupture dans la théorie de la révolution, textes 1965-1975, Paris, Senonevero, 2003, 610 p.

103 Cercle Dimitriev, op. cit., p. 59. « Après », c’est-à-dire après la prise du pouvoir, durant la période de transition.

104 Mais sans tenir compte des conditions économiques et sociales, qu’est-ce qui peut modifier les mentalités ? Comment rivaliser avec le pouvoir sur ce terrain ? Lorsqu’en 1974 le gouvernement Chirac comprend quatre femmes et un secrétariat à la condition féminine ne s’agit-il pas là aussi d’un coup spectaculaire ? En 1978, après un remaniement ministériel, six femmes feront du gouvernement français le plus féminisé du monde… Le dépôt d’une gerbe à l’Arc de Triomphe pour la femme du Soldat inconnu a-t-il plus d’impact sur les mentalités que la médiatique mise en avant de ministres femmes ?

105 Mais les luttes des travailleuses des années 1970 mettent aussi en lumière cette oppression, d’une manière fulgurante.

106 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 100.

107 Pour Anne Zelensky, la « civilisation mâle » reposant sur le travail domestique, la grève des femmes doit permettre que « l’édifice s’écroule » (tentative de calquer terme à terme patriarcat et capitalisme). Elle explique cet échec par son caractère « prématuré », notamment du fait que la « conscience des femmes » n’aurait pas encore assez « progressé ». Voir Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 120.

108 Agathe, « Les femmes dans le mouvement révolutionnaire », op. cit.

109 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 153.

110 Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme, t. II, Paris, Des femmes, 1978, p. 672.

111 La LDF se lance par la suite dans le soutien aux femmes violées puis, en 1975, propose des projets de loi au gouvernement (sur le viol et la violence).

112 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 153.

113 Hellyette, « L’illégalisme au féminin », Le Monde libertaire, n° 171, mai 1971.

114 Jean-Pierre Le Goff, Mai 68, l’héritage impossible, Paris, La Découverte, 2006, p. 319.

115 Entre 1961 et 1967 sont condamnées 141 ouvrières, 123 fonctionnaires, 131 domestiques ou femmes de ménage, 61 commerçantes, 2 cadres supérieures et 2 femmes d’industriels. Voir Le Nouvel Observateur, 5 avril 1971.

116 Brochure de femmes du Nord, Le Pouvoir médical en question, cité par Jeannette, dans « Accompagnatrice ou complice » [octobre 1974], in Collectif, Tankonalasanté, Paris, Maspéro, 1975, p. 97-98.

117 Pour certaines militantes du MLF, il s’agit d’une première étape vers le « contrôle complet de la production des enfants ». Françoise Picq, op. cit., p. 65.

118 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 64.

119 Mano Delesseps, Claude Hennequin-Geindre, « Trois ans de MLF », op. cit., p. 7.

120 En octobre 1972, Marie-Claire,16 ans, qui avec le soutien de sa mère a avorté suite à un viol, est poursuivie en justice et finalement acquittée.

121 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 74.

122 Le GIS, créé début 1972, regroupe des médecins et des étudiants en médecine d’extrême gauche.

123 Cercle Dimitriev, op. cit., p. 15.

124 Nathalie, « Et si on tentait de reconstituer notre histoire », Pétroleuses, op. cit., p. 22 ; Françoise Picq, op. cit., p. 227.

125 Le MLAC est une organisation mixte (femmes et hommes) « ce qui, en soi, ne devait pas être un problème dans la mesure où les femmes arrivaient à imposer leur direction au mouvement et à s’en servir pour développer la lutte sur les autres terrains de leur oppression. Ce ne fut pas le cas. » Cercle Dimitriev, op. cit., p. 30.

126 Cercle Dimitriev, op. cit., p. 20-21.

127 Trois voyages par semaine vers l’Angleterre, deux vers la Hollande. Voir Françoise Picq, op. cit., p. 156.

128 J. C., « Pour quelle sexualité ? » [juillet-août 1973], in Tankonalasanté, op. cit., p. 89.

129 Collectif, L’alternative,libérer nos corps ou libérer l’avortement, Paris, Des femmes, 1973, p. 13-14, 35.

130 Jean Paul Ribes, « A quoi aspirent-elles ? », Actuel, n° 36, octobre-novembre 1973, p. 4.

131 « Où en est… le MLAC », Actuel, n° 37, décembre 1973, p. 22.

132 Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », Clio, n° 18, 2003.

133 Ibidem.

134 Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2003, p. 263.

135 « Le MLAC, un service public ? », Le Monde, 11 octobre 1974, cité dans Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, op. cit., p. 263.

136 Maïté Albistur, Daniel Armogathe, op. cit., p. 670.

137 « Sur deux mille femmes avortées que le MLAC a contactées, soixante-dix seulement ont répondu ». « Où en est… le MLAC », op. cit., p. 22.

138 Maïté Albistur, Daniel Armogathe, op. cit., p. 670-671.

139 Voir Négation, op. cit., p. 17, et l’article de Jeannette, « Accompagnatrice ou com- plice », inTankonalasanté, op. cit., p. 93-101 ;

140 En fait de manière croissante depuis le XIXe siècle. Les femmes perdent progressivement les savoirs et savoir-faire traditionnels en ces domaines. On peut faire remonter le conflit entre femmes et médecins à la chasse aux sorcières du XVe au XVIIe siècle. Un camarade y voit un parallèle avec le mouvement des enclosures qui privait alors les paysans de leurs moyens de subsistance. On peut aussi se demander s’il ne s’agit pas d’une lutte entre spécialistes pour la conquête ou la conservation d’un pouvoir (médecins contre sorcières). Voir entre autres Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières, Paris, Echanges et Mouvements, 1978, 58 p.

141 Des féministes critiquent pourtant ce discours qui dédra- matise l’avortement alors qu’il peut être ressenti comme une mutilation, une violence, etc. Voir Françoise Picq, op. cit., p. 160.

142 En fait il faudrait parler d’un refus de la médicalisation puisque, avant l’arrivée de la méthode Karman, seule une minorité des avortements est réalisée par des médecins. Au procès de Bobigny un professeur évalue que 3 à 5 % des avortements sont pratiqués par des médecins et 10 % par des sages-femmes ou des infirmières. Voir Françoise Picq, op. cit., p. 149.

143 Jean Paul Ribes, « A quoi aspirent-elles ? », op. cit., p. 5.

144 Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », op. cit.

145 Jean Paul Ribes, « A quoi aspirent-elles ? », op. cit., p. 6-7.

146 Voir Négation, La reproduction de la vie immédiate en suspens. Avortement et pénurie, 1974, p. 11-12. Cette brochure dénonce notamment le projet idéologique d’ « autogestion de la vie quotidienne (vue comme comprenant le corps, la maladie, la sexualité, l’affectivité) » (l’autogestion étant alors justement perçue par ce groupe comme contre-révolutionnaire).

147 « Les communistes et l’avortement », Le Prolétaire, n° 185, 1976 in PCI, Question féminine et lutte de classe, Lyon, 2002, p. 27.

148 Voir notamment « Pour un monde sans morale », La Banquise, n° 1, 1983, p. 36-37.

149 Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », op. cit.

150 Comme le montreraient les archives du ministère de l’Intérieur. Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », op. cit.

151 Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2003, p. 262.

152 Jean Rabaut, op. cit., p. 346.

153 Françoise Picq, op. cit., p. 164.

154 Annie de Pisan, Anne Tristan, op. cit., p. 100. Si l’IVG a été beaucoup plus accessible aux femmes que certaines féministes ne le redoutaient, il ne s’agit pas ici de nier les difficultés croissantes que rencontrent aujourd’hui les femmes qui souhaitent avorter. Certains attribuent cette situation à une retour de l’ordre moral patriarcal mais la dégradation croissante des services de santé publics (qui touche en priorité les prolétaires) peut aussi l’expliquer.

155 La loi est rendue définitive en novembre 1979, le remboursement de l’IVG par la Sécu est obtenu en 1982 et un passage à 12 semaines a lieu en 2001.

156 Voir le film de Yann Le Masson, Regarde elle a les yeux grands ouverts, 1980, France, 76 min.

157 L’IVG froid, aseptisé et humiliant à l’hôpital remplace l’avortement clandestin sur la table de la cuisine avec l’aiguille à tricoter. Il met aussi un terme à l’alternative qu’aurait pu représenter la méthode Karman en milieu militant.

158 « L’avortement en France. Colloque organisé sous l’égide du MFPF », Population, 1968, vol. 23, n° 2, p. 360, sur http://www.persee.fr

159 Evelyne Le Garrec, « Grâce aux 343  salopes … », in Autrement, 68-78, dix années sacrilèges, Paris, Autrement, 1978, p. 153.

160 Argument lui aussi mis en avant lors du colloque organisé par le MFPF. Le coût sanitaire de 500 000 avortements clandestins s’élèverait à 50 milliards d’anciens francs pour l’Etat. « L’avortement en France. Colloque organisé sous l’égide du MFPF », op. cit.

161 Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », op. cit.

162 Selon l’expression de Yvonne Knibiehler dans Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF, 2000, 130 p.

163 Pour Paola Tabet, le mariage permet que la femme soit constamment disponible sexuellement pour son mari, mais surtout en permanence exposée au risque de grossesse. Ce n’est plus aujourd’hui nécessaire (pilule, IVG, divorce, famille monoparentale, etc.). « Le lien de dépendance personnelle des femmes dans le mariage se dissout, l’appropriation privée des reproductrices n’est plus la condition nécessaire de la reproduction ». C’est tout le sens de la « libération » des femmes. Elle se demande si cette évolution pourrait entraîner une mise en cause de la domination masculine ou bien « un nouvel aménagement de cette domination » comparable à la dissolution du lien du servage en Europe. Voir Paola Tabet, La Construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris, L’Harmattan, 1998, 210 p.

164 C’était à l’époque la thèse de revues d’ultragauche comme par exemple Négation ou La Guerre sociale : « Le féminisme […] est une expression de l’action du capital tendant à liquider les vieilles structures et à intégrer directement les femmes à son procès », « Misère du féminisme », La Guerre sociale, n° 2, mars 1978, p. 9.

165 Françoise Picq, op. cit., p. 343 (c’est nous qui soulignons). Elle ajoute, p. 355, : « le MLF a été la forme particulière prise par le féminisme dans le contexte historique de l’après-Mai français. Sous couvert de révolution, il a aidé à la modernisation de la société, à l’adaptation des rapports entre les sexes à un niveau d’équilibre plus conforme aux conditions de l’époque. »

166 En avril 1971, un groupe de travail du Bureau régional de l’Europe de l’OMS publie un rapport « établi à l’intention, en particulier, des Etats européens qui envisagent de modifier leur législation sur l’avortement ». Il note que « l’avortement peut exercer une influence sur l’évolution de la population, mais les objectifs démographiques ne sauraient être atteints contre le vœu des individus et de la société ». Le groupe de travail se déclare « en faveur d’un assouplissement de la législation, qui devrait être très simple et comporter le moins de restrictions possible. La loi devrait autoriser la femme à décider elle-même de l’issue de sa grossesse, à condition que son choix ne nuise pas à sa santé physique ou mentale ». Population, 1974, vol. 29, n° 4, p. 933-934, sur http://www.persee.fr

167 Françoise Picq, op. cit., p. 206.

168 « Pour certaines féministes radicales, le thème du travail salarié était censé relever du seul syndicalisme et militer syndicalement était considéré comme une forme d’anachronisme, dépassé par l’émergence du mouvement féministe ». Josette Trat, (coord.), Cahiers du féminisme. Dans le tourbillon du féminisme et de la lutte des classes (1977-1998), Paris, Syllepse, 2011, p. 19.

169 Instauration du congé de naissance de 18 mois pour la mère ; mesures pour les mères de familles nombreuses en 1979.

170 Françoise Picq, op. cit., p. 205. Le quotidien d’une femme au chômage est différent de celui d’une femme au foyer (sociabilité, temps consacré au travail domestique, etc.).

171 Evelyne Le Garrec, « La lutte contre le viol, une très longue marche », Politique Hebdo, n° 228, juin 1976, p. 24.

172 Les filles du mouvement s’interrogent, discutent et expérimentent d’autres méthodes que le recours à la justice (commandos anti-viol, guets-apens, mises en accusation publique, bombage, pratique de sports de combat, etc.), mais « excluent la réponse individuelle, violente, immédiate, meurtre ou castration, dont l’exemplarité fascine et révolte ». En 1977, la LDF crée la ligne d’appel d’urgence « SOS femmes violées ». Voir Françoise Picq, op. cit., p. 243.

173 Françoise Picq, op. cit., p. 234-248.

174 Les FR dénoncent la « nature patriarcale de la justice et de l’Etat qu’elle représente », « le caractère légal du viol » et le fait que « juges et violeurs sont du même côté de la barre ». Mais la campagne du MLF et le passage aux Assises poussent la Justice (qui humilie toujours autant les victimes) à infliger des peines exemplaires de 20 ou 25 de prisons (février et mars 1978) ce qui ne réjouit pas toutes les militantes. Voir Des féministes révolutionnaires, « Justice patriarcal et peine de viol », Alternatives, n° 1, juin 1977 ; Françoise Picq, op. cit., p.  42.

175 Cette campagne trouve ainsi le soutien d’une partie de la droite extrême et de l’extrême droite. Voir « Le féminisme et le viol », IRL, n° 15, 1977, p. 6-7

176 Voir note 82, p. 112.

177 Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire(s) du MLAC (1973-1975) », op. cit.

178 Françoise Collin, « Conférences inaugurales », in Collectif, Féminismes : les luttes des années soixante-dix, Actes du colloque organisé par la BPI, 2004, p. 10.

179 Rosa Luxemburg, Otto Rühle, Anton Pannekoek, etc.

180 Si, a posteriori, il est facile d’être critique, il faut se souvenir que les années 1970 étaient alors perçues par beaucoup comme une période prérévolutionnaire.

181 Mais qui a bien pu conscientiser la première génération de militantes du MLF ?

182 Chaque fois qu’ un mouvement sérieux éclate, les avant-gardes se retrouvent à la remorque (même cette crapule de Trotsky l’a reconnu). A une autre échelle, les militantes du MLF couraient après les luttes d’ouvrières, celles de mères célibataires, etc.

183 Françoise Picq, op. cit., p. 205.

184 « Ce n’est pas le chant du coq qui fait lever le soleil ! ». Voir l’article du GLAT, « Sexisme et lutte des classes », Lutte de classe, juillet/août 1975, p. 16.

185 Le reconnaître ne signifie pas pour autant nier la persistance de la domination masculine. Voir par exemple Paola Tabet, op. cit., ou Sheila Rowbotham, Conscience des femmes, monde de l’homme, Paris, Ed. Des Femmes, 1980, p. 199.

186 Françoise Picq, op. cit., p. 337, 339.