INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Rojava : femmes & armée

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Les femmes et l’armée

Au cours de mes conversations et de mes entretiens, chaque fois que j’ai posé la question du rôle qu’avaient joué les femmes dans l’étape de la lutte révolutionnaire, celles avec qui j’ai parlé m’ont presque toujours répondu qu’en gagnant une place dans les combats, les femmes avaient gagné et garanti du même coup leurs droits actuels. Ce point de vue unanimement partagé est intéressant car il replace les femmes et leurs luttes dans la réalité latino-américaine et il nous empêche de poser leurs problèmes à elles avec nos critères européens.

Nous nous proposons comme point de départ d’analyser ce qui caractérise cette armée et ses combats, à partir d’un attachement au pacifisme et en gardant à l’esprit que l’armée est souvent synonyme de brutalité et de machisme.

Il faudrait se démarquer d’abord de certaines pensées gauchistes ou subjectivistes qui élèvent les « couilles» au rang d’agents moteurs, au sein d’une armée révolutionnaire. Au Nicaragua, l’armée révolutionnaire qui a surgi de conditions objectives déterminantes, et de la participation volontaire et massive du peuple, mené par une avant-garde. Les « couilles » n’ont assumé aucun rôle déterminant puisque, comme nous l’avons souligné précédemment, les bataillons comptaient dans leurs effectifs 25 % de femmes. Il ne s’agissait donc pas d’une armée comme les autres.

Sans prôner ni défendre aucune sorte de militarisme, nous n’imaginons pas non plus comment on pourrait, en ce siècle qui s’achève, se passer des armées, avant que ne soit détruite la cause même de leur existence : le fait qu’il y a des pays dominants et des pays dominés, les peuples exploités par des empires puissants. Je pense que ces peuples exploités ont largement le droit de se donner tous les moyens nécessaires pour briser une telle dépendance, y compris le droit de gagner leur libération par les armes. Cette armée particulière n’a rien à voir avec une armée professionnelle et modifie la nature même de la guerre.

Une armée de libération est une armée composée d’êtres humains qui se battent pour des idéaux auxquels ils acceptent de donner leur vie, sans autres gratifications que les gratifications morales qui donnent un sens à leur lutte. Les armées professionnelles, par contre, même si l’on veut à toute force leur prêter une idéologie, travaillent pour un salaire et le seul fait d’accepter de tuer des êtres humains pour un salaire produit des mécanismes de compensation dont l’Histoire ne finit pas de dresser l’inventaire : sadisme, brutalité et destruction, l’autre versant de la peur. C’est justement pourquoi une armée poussée par un idéal est cent fois plus efficace qu’une armée de mercenaires (comme me l’a dit une combattante), aussi grande soit sa sauvagerie quand elle a le pouvoir.

C’est dans cette armée, dans l’armée sandiniste de libération, que les femmes ont joué le rôle important qui a été le leur.

Non pour être à l’image des hommes, mais parce que l’ampleur des tâches à accomplir exigeait leur participation.

Il est certain qu’elles ont agi en situation d’urgence, et avec beaucoup de génie. Mais le processus révolutionnaire ne peut pas prendre totalement en charge ni résoudre tous leurs problèmes, ces problèmes fondamentaux hérités des sociétés antérieures et que l’on retrouve partout dans le monde, dans toutes les sociétés patriarcales. C’est sur ce point qu’il faut insister si l’on veut supprimer les manques et les défauts de ces sociétés.

 

Paz Espejo, Des femmes du Nicaragua. Les femmes au combat et dans la reconstruction nationale. Nicaragua, janvier-mars 1980, Paris, Des femmes, 1980, p. 79-81

 

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