INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Hélène Brion (1882-1962)

Hélène Brion et son avocat, le 16 janvier 1918,

Article d’H. Dubief paru dans Le Mouvement social (été 1963)  publié sur le site Bataille socialiste.

Hélène Brion (1882-1962)

Hélène Brion est née le 27 janvier 1882 à Clermont-Ferrand, d’un père officier. Mais elle était des Ardennes par ses origines et elle y passa son enfance auprès d’une grand-mère. Elle fit ses études à Paris, à l’Ecole primaire supérieure Sophie-Germain. Elle débuta comme institutrice dans la Seine en 1905 et adhéra au syndicat des instituteurs dès sa formation, ainsi qu’au Parti socialiste. Mais, avant la grande guerre, elle fut surtout une militante féministe et c’est par le féminisme qu’elle vint au socialisme et au syndicalisme révolutionnaire. Elle appartint aux organisations suivantes : « Le suffrage des femmes », « l’Union fraternelle des femmes », « La Fédération féminine universitaire », « la Ligue pour le droit des femmes », « l’Union française pour le suffrage des femmes », « la Ligue nationale du vote ».

Lorsque la répression s’abattit sur le syndicat des Instituteurs après le congrès de Chambéry, de 1912, en raison du scandale fabriqué par la presse nationaliste, à propos du « Sou du Soldat » il fallut combler les défections au Conseil fédéral par des militants décidés à résister au pouvoir : c’est alors qu’Hélène Brion y fit son
entrée. Elle fut également déléguée de la Fédération de l’Enseignement au comité confédéral de la C.G.T. Quand Joly, secrétaire général de la fédération, démissionna après le congrès de Bourges de 1913, Cottet le remplaça et Hélène Brion fut nommée au secrétariat-adjoint (janvier 1914).

La mobilisation réduisit le bureau à deux membres : Hélène Brion, secrétaire général par intérim, et Loriot, trésorier. Ni l’une, féministe, ni l’autre, socialiste, n’étaient vraiment des militants de formation syndicaliste. Bien qu’Hélène Brion eût, pour la première fois, exprimé des idées pacifistes, le 30 juillet 1914, dans un article de la Bataille syndicaliste : « Aux féministes, aux femmes », elle rallia, avec Loriot, sans hésiter, les positions majoritaires S.F.I.O. et confédérales sur la « Guerre du droit ». La direction fédérale, c’est-à-dire la Seine, se trouvant ainsi en contradiction avec les sentiments des principaux militants de province, devenus très rapidement zimmerwaldiens, elle n’eut aucune activité jusqu’en juin 1915. Dans cette situation, Marie Mayoux convoqua à Tours, le 13 juin 1915, une réunion de dirigeants. Hélène Brion y affirma l’opposition du bureau fédéral à la propagande pacifiste. Mais, au congrès fédéral réuni à la Grange-aux-Belles le 14 août suivant pour mettre fin aux dissentiments, Hélène Brion et Loriot se rallièrent aux thèses minoritaires des Mayoux, des Bouet et de Fontaine. C’est alors qu’Hélène Brion déclara : « Je m’incline devant la majorité et j’appliquerai fidèlement les décisions du congrès en faveur de la propagande pacifiste. » (Rosmer, I, p. 360). La psychologie d’Hélène Brion et son attitude devant le conseil de guerre demeureraient inexplicables si l’on ne comprenait pas que son action ultérieure découla plus d’une fidélité que d’une conviction.

Le congrès avait donc décidé de développer la propagande pacifiste en liaison avec Monatte, Merrheim et la fédération des taux ; Hélène Brion s’y consacra, ainsi qu’à la reconstruction de l’Internationale. Elle vote désormais avec la minorité du comité confédéral ; au congrès fédéral de Paris (14-15 juillet 1916), elle regrette publiquement son attitude passée. Elle envoie à Merrheim, le 23 octobre 1916, une « Adresse féministe pour la reprise des relations internationales » dont la première phrase est la suivante : « Nous qui n’avons rien pu pour empêcher la guerre puisque nous ne possédons aucun droit civil ni politique, nous sommes de coeur avec vous pour en vouloir la fin ». Elle fait alors partie du comité pour la reprise des relations internationales et du comité intersyndical d’action contre l’exploitation de la femme. Elle défend et soutient Marie Mayoux et Louise Saumoneau. Elle assiste au congrès national S. F. I. O. des 25 29 décembre 1915 et, dès janvier 1916, elle a la joie d’écrire à Bourderon qu’elle a gagné aux thèses minoritaires la section socialiste de Pantin. Mais surtout, elle diffusait, en 1917, des brochures zimmerwaldiennes et notamment celle des Mayoux : Les Instituteurs syndicalistes et la guerre, des tracts, dont « Du charbon et la paix » ; des papillons : « Assez d’hommes tués, la paix ! », « Paix sans annexions, sans conquêtes, sans indemnités » ; et enfin des circulaires polycopiées. Son domicile, très surveillé, fut l’objet de plusieurs perquisitions. Elle habitait à deux pas de son école, sise au 12, rue de Candale, à Pantin. Inculpée et suspendue sans traitement, le 27 juillet 1917, elle ne fut arrêtée que le 17 novembre, quand, avec Clemenceau, la répression prit son allure brutale.

Après les dures condamnations des Mayoux et de Lucie Colliard et une violente campagne de la presse nationaliste, Hélène Brion comparut devant le premier conseil de guerre du 25 au 31 mars 1918, sous l’inculpation de propagande défaitiste par la diffusion de tracts et brochures.

Elle se défendit avec habileté devant un tribunal plutôt bien disposé et presque séduit (1). Dans une longue déclaration elle se refèra sans cesse à son féminisme constant, pour justifier son pacifisme présent, assumant sa condition de femme mue par la raison et le sentiment contre la barbarie, contestant aussi le droit qu’on
s’arrogeait de la juger pour délit politique, elle sans existence politique. Sur les faits, elle reconnut l’envoi des brochures du Comité pour la reprise des relations internationales lesquelles ne pouvaient atteindre au moral de qui que ce soit, aux seuls instituteurs déjà convaincus et pour information, donc sans intention de propagande. Ainsi reconnut-elle les faits, en les minimisant. Elle fit remarquer que ses propres articles n’avaient jamais été poursuivis et désavoua toute violence. L’accusation reposait sur les témoignages de deux commissaires de police, d’une institutrice de Joigny au rôle provocateur et de deux institutrices de Pantin, membres de la Ligue patriotique des femmes françaises, dont l’une, dans un témoignage douteux, l’accusa de propagande anticonceptionnelle. Sa directrice, une sotte, et son Inspecteur primaire se contredirent. Beaucoup d’autres collègues et habitants de Pantin firent pour elle d’émouvants témoignages. Le député Dalbiez, les féministes Nelly Roussel, Séverine et Marguerite Durand, les membres de la C. A. P. Socialiste, Verfeuil et Jean Longuet, celui-ci très maladroitement, les syndicalistes Papillot, Bled et surtout Marthe Bigot qui osa déclarer avoir commis les actes reprochés à l’acusée, Laisant et Paul Brulat, enfin, apportèrent à Hélène Brion l’appui de leur solidarité. Après un réquisitoire presque élogieux et une médiocre plaidoirie d’Oscar Bloch, elle fut condamnée à trois ans de prison avec sursis. Son coaccusé et correspondant Gaston Mouflard, électricien syndicaliste qui s’était désavoué à l’audience, fut frappé de six mois de prison avec sursis. Libérée par le jugement, Hélène Brion fut révoquée, avec effet du 17 novembre 1917. Songeant peut-être à son sursis, elle se retira du congrès fédéral illégal d’août 1918 accueilli au Palais-Bourbon par Raffin-Dugens. Découragée, son ardeur baissait ; au retour des mobilisés, elle laissa à Maurice Foulon le secrétariat général et s’adonna de nouveau à la propagande féministe avec son amie Madeleine Vernet. Elle entreprit une Encyclopédie féministe, édita un hebdomadaire La lutte féministe. Elle fut réintégrée par le Cartel des Gauches, en janvier 1925. Pendant la révocation, elle avait, depuis 1920, dirigé la Crèche du Groupe scolaire « Emile Zola » à Saint-Ouen.

Après la dernière guerre, Hélène Brion présidait encore l’association « Femmes de la libération humaine ». Madeleine Pelletier, son amie, lui légua ses papiers.

« L’ardente Ardennaise » comme dit Dommanget, semble avoir brillé par l’intelligence et le caractère, mais son rôle qui fut grand, fut bref, sauf dans l’action féministe. Elle s’épuisa et se découragea. Tous ceux qui la connurent affirmèrent son grand coeur, c’est ce que firent, à son procès, dans les mêmes termes, Séverine et, chose paradoxale, le commissaire du gouvernement requérant contre elle : « Une Louise Michel, en jeune, ». Il en est peu qui eurent l’honneur d’un tel éloge.

OEUVRES D’HELENE BRION

Il n’est pas possible d’énumérer ses articles innombrables ou même les périodiques auxquels elle a collaboré : La Bataille syndicaliste, la Vague, le Journal du Peuple, l’Ecole Emancipée, la Révolution prolétarienne, etc. et toute la presse féministe.

Brochures :

Déclaration au Conseil de Guerre, Epone, Editions de l’Avenir social, s. d. (1918) in-16.

La Voie féministe, I. Les partis d’avant-garde et le féminisme. Id.

BIBLIOGRAPHIE

Louis BOUET. Les Pionniers du Syndicalisme universitaire, darrides, Ecole émancipée, s. d. gd. in 8°.

Maurice DOMMANGET., « Hélène Brion », Révolution prolétarienne, octobre 1962, (résume le précédent et apporte son témoignage personnel).

F. BERNARD, Le Syndicalisme dans l’Enseignement, III, Du Congrès d’Angers à la Première Guerre mondiale. Avignon, Ecole émancipée, s. d. gd. in

Alfred ROSMER, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, Tome I, Paris, 1936, gd in ; Tome II, La Haye 1959, gd in 8°.

Max FERRE, Histoire du Mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les Instituteurs, Paris, 1955, gd in 8°.

Revue des Causes célèbres politiques et criminelles, 2 mai 1918,  5. (Compte rendu hostile de procès dans une revue spécialisée  dans le journalisme populaire d’inspiration nationaliste très bonne  iconographie : croquis d’audience de Noël Dorville).

La Vague a publié un portrait d’Hélène Brion. (n° 13, 28 mars  1918).

Note:
(1) Le plus surprenant dans le procès d’Hélène Brion est l’attitude du ministère public (commandant de Meur) faisant l’éloge de l’inculpée et indirectement de Louise Michel, et celle du président du conseil de Guerre (lieutenant-colonel Maritz) éclatant d’indignation quand Oscar Bloch insinua que les juges militaires ne sont pas libres et s’écriant : « Nous ne sommes plus au temps des officiers de l’Affaire Dreyfus. »

SOURCE : Bataille socialiste

 

 

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