Article publié dans Colères, n° 2, janvier 1980, p. 13-15.
Du rapport de la politique au féminisme
Rien n’est moins évident que d’aborder les problèmes d’une façon non triomphaliste, de tenir un discours non fermé, non exclusif, qui ne soit pas ressenti comme un moyen de plus d’exclure ceux qui le sont déjà de par leur situation sociale, ceux qui ne détiennent pas le savoir, ou la théorie, ou mal, ceux qui ne savent pas s’exprimer, ou ceux qui n’ont pas l’assurance d’exprimer ce qu’ils disent, pas forcément parce qu’ils n’ont pas les mots, mais parce qu’ils n’ont pas l’habitude de s’affirmer par le langage, mais peut-être aussi parce qu’ils voient là un simple moyen d’échange égalitaire, et non la recherche d’une affirmation de soi qu’on ne pourrait assurer ailleurs.
Eternel problème du rapport intellectuel/manuel, mais qui dépasse largement ce cadre.
La constatation au congrès de l’OCL[1] de l’extrême minorité des femmes (10 %)[2], laisse assez perplexe, particulièrement dans le courant libertaire. La politique redeviendrait-elle ou resterait-elle autant qu’avant une affaire d’hommes ? Les femmes s’en sont exclues, parce qu’elles s’en sont senties exclues par les hommes : leur discours était nié, et leur réalité pas prise en compte. En voulant approfondir cette réalité et retrouver entre elles une parole perdue, elles ont laissé aux hommes le terrain de la politique traditionnelle, où ils continuent à jouer un « rôle ». Rôle qui correspond à l’image sociale que l’homme doit donner de lui-même, qu’on attend « naturellement » de lui.
Il y a un rapport entre la structure du discours, le rôle qu’on donne à son intervention sociale et la façon de vivre les relations affectives.
Mettre en avant le souci d’intervention, le rôle que l’on peut jouer dans les mouvements sociaux, rechercher ce qu’on a fait avancer dans la prise de conscience par ses interventions dans la lutte à laquelle on a participé, revient à réintroduire le gauchisme et toutes les formes de léninisme, tant critiqué par ailleurs.
N’y aurait-il pas une relation entre la recherche de ce rôle à jouer, et toute la démarche d’esprit qui soutend cette attitude, et la non implication, la non reconnaissance de beaucoup de femmes dans ce qui ne serait qu’un besoin de pouvoir ? (situation d’autant plus paradoxale quand on la retrouve dans un mouvement anti-autoritaire).
Le rapport à la politique d’un certain nombre de « militants » est la recherche d’un certain pouvoir, perdu par ailleurs sur la réalité qui nous entoure. C’est un sentiment très frustrant à la base de toute révolte, que celui d’être dépossédé de ce pouvoir sur notre vie, sur notre environnement. L’homme qui de par ses conditions sociales est dépossédé de ce pouvoir, cherche à le reconquérir de mille et une façons. La première bien connue, c’est la famille ; la deuxième pour celui qui a fait le choix (ou pas) de ne pas s’insérer socialement et d’y trouver la reconnaissance sociale sans laquelle il ne répond pas à l’image qu’il véhicule plus ou moins inconsciemment, c’est de reconquérir ce pouvoir dans la sphère du « politique ».
Les femmes n’ont pas à perpétuer d’elles mêmes une image offensive, leur rôle n’est pas de s’affirmer socialement.
La rencontre des femmes à l’intérieur des multiples groupes « féministes » s’est faite, non pour conquérir un rôle qu’elles n’ont jamais eu à jouer, mais d’abord pour se déculpabiliser et trouver les moyens d’une affirmation autre, en gestation et toujours à définir, mais dont les lignes sont largement esquissées. Mais, affirmation qui se fera d’abord pour elles mêmes (avec toute l’ambiguïté sociale que cela comporte) et non pour jouer un rôle auprès des autres.
La première étape fut l’analyse des rapports à l’intérieur de la structure du couple, des rapports hommes/femmes où elles étaient toujours reléguées au second plan. Mais souvent cette approche s’est faite sur le mode de la complainte, de la situation de dominée, d’infantilisée, tendant en même temps à enfermer les femmes dans une vision complaisante de leur sort. Il faut peut-être le mettre en relation avec la composition sociale de la plupart des groupes femmes, qui reste essentiellement « petite bourgeoise », classe moyenne.
Mais ces groupes gardent un aspect fondamental : la critique du pouvoir, de l’autorité, des rapports de domination, du rapport à la politique qui s’y faisait, peut être qualifié de fondamentalement anti-autoritaire. Une relation autre existait entre les participantes, personne n’était détentrice d’une thèse, la mise en commun du vécu et la confrontation des expériences de chacune, la réflexion sur ces expériences, et la constatation que chacune retrouve des situations similaires à celles des autres, donne un puissant sentiment de solidarité et de puissance potentielle. Chaque participante avait le même statut que les autres.
Le mode de fonctionnement de ces groupes « informels » tournés plus sur eux-mêmes et la confrontation de leur vécu, était loin de la démarche des groupes politiques militants avec leurs « rôles à jouer ». La lutte des classes se déroule de toute façon (même si on n’y participe pas, donc en partie indépendamment de nous, car elle est inhérente à l’opposition fondamentale entre salariat et capital). Cela ne veut pas dire que nous sommes étrangers à ce processus, que nous n’en faisons pas partie, mais au même titre que l’ensemble des exploités, que notre attitude, notre intervention n’aura rien de déterminant, ou du moins pas forcément. Que les éléments d’analyse, de réflexion que nous pourrons avancer là où nous sommes impliquées socialement avec les autres, dans des rapports sociaux avec eux, sont à considérer au même titre que l’échange que nous avons avec eux, et dont la portée est loin de pouvoir se mesurer ; car elle affecte tous les aspects de la vie quotidienne.
Ce mode de recherche collectif, cette écoute des uns et des autres, une prise en compte des contradictions, des difficultés que nous avons à vivre le quotidien, la façon dont nous vivons le partage des tâches, l’éducation des enfants… ont développé une dynamique nouvelle à l’intérieur des groupes de femmes.
Mais cette attitude anti-autoritaire s’est vite figée dans une forme qui s’est vidée de son contenu, car souvent non reliée à une dimension sociale autre que celle de la relation homme/femme. Les groupes fonctionnent actuellement à vide, tournant plus ou moins en rond, ne débouchant pas sur une critique plus approfondie de la position sociale privilégiée et des contradictions qu’elle entraînait.
C’est à nous à réintroduire cette dynamique et cette démarche ailleurs qu’entre femmes. Il semble difficile de l’introduire de façon volontariste à l’intérieur d’un groupe, car les comportements des individus ne se modifient que dans un mouvement plus global, qui n’a souvent pas place à l’intérieur d’un groupe. Cela impliquerait la remise ne cause d’un discours sécurisant, d’un discours écran, sous-tendu par une idéologie qui nous amène à voir la réalité à travers des lunettes déformantes, et où on évacue facilement tout ce qui serait gênant, des remises en cause plus personnelles…
Cette démarche n’en est pas moins fondamentale, car la forme que revêtent les rapports entre les participants et en particulier les rapports hommes/femmes, modifiera jusqu’au contenu même des luttes.
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Ce texte incomplet, n’est qu’une introduction à un débat, débat qui fût entamé au camping de l’OCL cet été, mais où, il est regrettable de le dire, les interventions des camarades hommes, ont révélé une incompréhension totale des problèmes soulevés (le compte-rendu du débat ne présente pas d’intérêt ici, il peut être envoyé sur demande).
Ce texte est écrit en référence à une pratique pendant deux ans d’intervention suivie, régulière, regroupant tous les groupes femmes de la banlieue Sud et une partie des infirmières, sages femmes, gynécologues sur l’hôpital du secteur, sur les problèmes concernant l’avortement, la contraception, la maternité.
Un autre texte plus explicatif est prévu.
[1] Organisation communiste libertaire
[2] Il serait intéressant de savoir ce qu’il en est actuellement ailleurs, dans le mouvement révolutionnaire.
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