Quelques notes prise lors de la lecture de l’article de Yannick Ripa « Aux femmes la patrie peu reconnaissante » sur les femmes durant la guerre de 14-18. Article paru dans un numéro spécial de la revue L’Histoire : Les Collections de l’Histoire, n° 61, octobre 2013 consacré à « 14-18 la catastrophe ».
Les stéréotypes ont la vie dure : malgré les nombreux travaux sur les femmes durant la Grande Guerre, la mémoire collective semble ne se souvenir que de quatre figures emblématiques : la munitionnette, tourneuse d’obus qui se substitue aux mobilisés, l’« ange blanc », infirmière qui panse les blessures des poilus, la marraine de guerre, plume bénévole qui, de ses lettres, soudent le moral des soldats sans famille, la veuve, hiératique sous ses voiles noirs, qui pleure son mari, mort pour la patrie.
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Pourtant, voilà près de trente ans qu’il a été prouvé que cette entrée dans le monde du travail concernait uniquement les bourgeoises. Les femmes du peuple ont, elles, toujours travaillé.
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La guerre ne les introduit donc pas dans le monde du travail. En revanche, elle les déplace d’un secteur à l’autre et leur ouvre les portes de bastions jusque-là masculins. Ce simple constat invite à s’interroger sur les effets de la guerre sur la différence des sexes.
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Champ de bataille masculin, la guerre renforce d’emblée le genre. La mobilisation proclame : aux hommes, les armes et la défense de la patrie ; aux femmes, les larmes et l’attente au foyer. A peine déclaré, le conflit remet chaque sexe à sa place, en une étonnante unanimité : alors que le 5 juillet 1914, 6 000 suffragistes manifestaient à Paris pour leurs droits, les associations féministes suspendent en août leurs revendications au nom de l’union sacrée des sexes. Seules quelques voix, celle de Jeanne Mélin ou de Jeanne Alexandre1, s’élèvent, en vain. Aucune Française ne participe au Congrès international des femmes pour la paix de La Haye en mars 1915.
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Si l’idéologie renforce les rapports de sexe traditionnels, l’économie de guerre, elle, les modifie.
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La guerre perturbe ainsi le genre qu’en fin de siècle la marche soutenue des femmes vers davantage d’égalité avait déjà malmené. L’identité masculine était alors entrée en crise, par peur de la féminisation de la société. Les événements accélèrent ces changements qui inquiètent les hommes : à l’arrière, au travail, mais aussi au foyer, les mères exercent au quotidien l’autorité paternelle et deviennent juridiquement « chefs de famille », à partir du 3 juin 1915, en l’absence des hommes.
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D’autant que l’enlisement du conflit accentue les affres de l’éloignement. Les frustrations des couples se lisent dans les courriers, se fredonnent même dans les cafés-concerts et au théâtre des Armées : les poilus y ovationnent une Eugénie Buffet ou une Yvette Guilbert, ces chanteuses qui pour les réconforter bravent le danger. Chez les hommes, l’envie se transforme en besoin impétueux dont les prostituées tirent profit, échappant au contrôle sanitaire. Attachée à l’image du soldat vertueux car régénéré par la guerre, l’armée n’ouvre des « bordels de campagne » dans la zone de l’avant qu’à partir de mars 1918. Si les femmes, elles, réclament leur homme et non un homme, leurs mots murmurent des exigences qui écornent les représentations de la sexualité féminine, censée être plus procréatrice que jouissive. Bien des convenances cèdent sous le choc de la guerre…
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le patronat continue de rémunérer faiblement les travailleuses. Face à cette injustice, munitionnettes et midinettes se mettent en grève au printemps 1917 et obtiennent, alors que l’inflation s’affole, une augmentation de leurs salaires. A l’évidence, leur apport à l’économie de guerre leur a, au moins en partie, révélé la spécificité de leur exploitation.
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Mais cette évolution n’est pas du goût de tous, et surtout pas des soldats : oublieux des difficultés matérielles et de la solitude de la plupart des femmes, ils s’offusquent de cette joyeuse indépendance quand eux souffrent et meurent ; ils s’inquiètent de la fidélité de leurs épouses et fiancées et appréhendent de ne pas retrouver leur statut une fois la paix revenue.
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Non sans misogynie, la presse et la littérature prennent parti pour la préservation de prérogatives masculines : elles rappellent aux femme leurs devoirs mais surtout le caractère temporaire de leur situation ; elles annoncent aussi, en filigrane, que la fin des hostilités sonnera le glas de cette émancipation. que toutes devront rendre leurs places aux seul et vrais héros de cette atroce guerre, les poilus.
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In fine, la France d’après-guerre, rnasculiniste, se montre vite ingrate envers sa population féminine qu’elle n’avait pas autorisée à prendre les armes : l’époque des décorations des héros et des héroïnes révolue, monuments aux morts et stèles pérennisent la seule mémoire du combattant.