VERS LA CONTRACEPTION LÉGALE
Contraception et avortement sont des pratiques courantes, mais très incertaines, couramment utilisées depuis des siècles 12. Alors qu’un mouvement de birth-control se développe dans certains pays dès les années 1920 (URSS, USA, Grande-Bretagne) et 1930 (Allemagne, Pologne) et progresse dans les pays anglo-saxons et d’Europe du nord après la Seconde Guerre mondiale, la France reste arc-boutée sur la loi de 1920 13 qui interdit toute pratique anticonceptionnelle ou publicité en sa faveur. Promulguée après la saignée de la Grande Guerre, cette loi visait aussi le néo-malthusianisme, mouvement né au XIXe siècle qui, dans une optique révolutionnaire, pacifiste et féministe, prônait le contrôle et la réduction des naissances 14.
C’est en mars 1955 que la question de la contraception fait publiquement son apparition en France. La gynécologue catholique Marie-Andrée Weil-Hallé présente un rapport sur la « maternité volontaire » à l’Académie des Sciences morales et politiques et y reçoit un écho favorable. Les médias s’emparent alors du sujet. Elle fonde en mars 1956 une association de mères de famille, «Maternité heureuse » (tout un programme !) qui, en 1960, prend le nom de Mouvement français pour le planning familial (MFPF). Son objectif est d’informer des techniques contraceptives, d’éviter les avortements et de développer la notion d’« enfant désiré ». Il s’agit de planifier la maternité mais surtout pas de la refuser ou de prôner la liberté sexuelle ! Ce militantisme au nom des libertés individuelles, du progrès social et de l’équilibre des familles, explique le soutien de personnalités respectables, de grands médecins philanthropes et autres bourgeois mais aussi le fait que, bien que contrevenant à la loi de 1920, l’association ne soit pas poursuivie par la justice (les temps changent) 15. Mais il est vrai que, bien que reprenant les revendications et méthodes du néo-malthusianisme, les nouveaux partisans du birth-control se gardent de toute référence à ce mouvement. La militante néo-malthusianiste Jeanne Humbert, considère d’ailleurs « avec dédain ceux qui, ne semblant pas se préoccuper de l’avenir de l’humanité, limitent leur réflexion et leur ambition à la solution de problèmes individuels », de problèmes de confort personnel, en particulier pour la classe moyenne en expansion 16.
Alors que les principales méthodes de contraception jusqu’alors utilisées sont le retrait et la pitoyable méthode Ogino, l’invention de la pilule contraceptive en 1951 et sa commercialisation aux Etats-Unis au début des années 1960, commence à passionner l’opinion française. Emissions de radio et même de télé y sont consacrées. A l’initiative de députés de gauche, l’abrogation partielle ou totale de la loi de 1920 est à plusieurs reprises proposée. La question devient un fait de société que l’on ne peut plus éluder 17 et qui correspond aux évolutions économiques et sociales en cours. La question de l’avortement, massivement pratiqué dans la clandestinité, mais aussi de la morale et des rapports entre hommes et femmes, est sous-jacente.
Le MFPF connaît une expansion rapide et passe entre 1962 à 1966 de 10 000 à 100 000 adhérents. Il ouvre un premier centre d’accueil et d’information à Grenoble en 1961 (dix ans plus tard, 180 centres fonctionnent) puis évolue progressivement vers un mouvement d’éducation et d’information sur la sexualité, la contraception et l’avortement. Weil-Hallé réprouve cette transformation et se rapproche du député gaulliste Lucien Neuwirth 18. Celui-ci dépose en 1966 un projet de modification de la loi de 1920 autorisant la contraception.
Le 1er juillet 1967, le débat s’ouvre à l’Assemblée nationale où la droite catholique réactionnaire affronte une droite moderniste soutenue par la gauche. Un député regrette qu’avec la pilule les femmes aient « le pouvoir absolu d’avoir ou non des enfants, tandis que les hommes perdraient la fierté de leur virilité féconde et l’amour sa noblesse et son mysticisme »… Le ministre des Affaires sociales déclare lui que cette loi « est bonne parce qu’elle met fin à un divorce entre le droit et le fait et parce qu’elle donnera au gouvernement les moyens d’action qui lui font défaut car on ne peut réglementer ce qui est légalement interdit et que tout le monde tolère » 19. La loi Neuwirth est votée le 19 décembre 1967 (grâce aux voix de la gauche) mais il faudra plusieurs années pour en voir les décrets d’application. De nombreuses mesures devant décourager les candidates à la contraception ne seront finalement pas mises en pratique, « l’air du temps n’était plus à la répression et les barrières sautèrent rapidement » 20.
EXTRAIT DE : « Sur le MLF des années 1970 », Incendo, octobre 2012, p. 97-98.
12 En France, un comportement contraceptif apparaît chez les élites dès le XVIIIe siècle. Les pratiques de limitation des naissances se diffusent aux classes populaires au XIXe siècle (retrait, injections vaginales, éponge de sûreté, diaphragme de caoutchouc, le préservatif n’étant utilisé que dans les classes supérieures) alors que l’infanticide est, lui, une pratique courante dans les campagnes. Voir Françoise Thébaud, « La peur au ventre », in L’Histoire, Amour et sexualité en Occident, Paris, Seuil, 1991, p. 285-289.
13 La loi du 31 juillet 1920 punit « le crime » de l’avortement de six mois à trois ans de prison et punit de prison et d’amendes « quiconque aura décrit ou divulgué, ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore à faciliter l’usage de ces procédés ». Après un trop grand nombre d’acquittements aux assises, l’avortement est « correctionnalisé » en 1923. En fait, c’est en 1556 qu’un édit d’Henri II interdit l’avortement et oblige les femmes à déclarer leur grossesse. Au même moment, le pape Grégoire XIV déclare lui qu’avorter avant trois mois de grossesse n’est pas un crime…
14 Il connaît une certaine influence dans les milieux anarchistes où des militants comme Paul Robin, Madeleine Pelletier ou les époux Humbert publicisent et pratiquent contraception et avortement. En but à la répression, notamment à partir de 1920, ils connaissent régulièrement la prison.
15 Voir Roger-Henri Guerrand, Francis Ronsin, Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances, Paris, Spartacus, 2001, p. 102-103.
17 Apparemment futile, mais révélateur : l’un des tubes de l’année 1966 est la chanson d’Antoine, Les Elucubrations, dont l’un des couplets propose, en contradiction avec la loi de 1920 : « Mettez la pilule en vente dans les Monoprix. »
18 Weil-Hallé est accusée de collusion avec le pouvoir par les « trublions » de la base du MFPF qui, après la légalisation de la pilule, se radicalisent, participent au MLAC et pratiquent des avortements. Voir les interviews de Evelyne Sullerot,
19 co-fondatrice de l’association, surhttp://www.canalacademie.com