Entre ténèbres et lumière, le parcours des prisonnières au Liban
On sait peu de choses sur la vie en prison. Encore moins sur celle des femmes. Monde trop souvent ignoré, méconnu, comme s’il n’existait pas ou dérangeait trop ! Comment vivent les prisonnières ? Entre obstacles, rejets et préjugés, finiront-elles un jour par retrouver une place dans une société peu encline à l’oubli et au pardon ?
On généralise, on critique. On montre du doigt et on condamne, parfois plus sévèrement que les juges ! Des « chaînes de la vie » aux murs d’une prison, on oublie souvent qu’être prisonnière n’est pas « une vocation ». Et nul n’est à l’abri. L’Orient-Le Jour mène l’enquête dans la prison de Baabda et lève le voile sur une réalité longuement tue, sur un monde presque tombé dans les oubliettes. Les statistiques les plus récentes de l’association Dar al-Amal indiquent qu’en 2013, sur une population carcérale de 5 299 hommes, répartis sur 22 établissements pénitentiaires, 627 femmes sont détenues dans 4 prisons à Zahlé, Tripoli, Baabda et Beyrouth. Sans parler des femmes migrantes enfermées souvent pour plusieurs mois dans le centre de détention de la Sûreté générale, sous le pont du secteur du Palais de justice, dans l’attente de leur rapatriement. Si les femmes représentent une minorité par rapport à la population carcérale au Liban, ce n’est pas pour autant une raison pour ignorer leur situation. Au contraire, la faible proportion de femmes est en elle-même source de difficultés pour celles qui sont sous les verrous. Les centres pénitentiaires pour femmes, qui ne sont pas très nombreux, sont mal répartis sur le territoire national, ce qui entraîne un problème d’éloignement géographique, compliquant considérablement le maintien des liens familiaux.
La prison de Baabda
Plus encore, aucune des prisons de femmes au Liban ne correspond aux normes internationales. La prison de Baabda n’a pas été édifiée pour devenir un lieu d’incarcération et n’est donc pas du tout adaptée à cette fonction. Dans le périmètre de l’hôpital gouvernemental de Baabda, rien ne laisse deviner l’existence d’une prison. Pourtant, à quelques mètres de l’établissement hospitalier, deux cents détenues « croupissent » dans un ancien bâtiment délabré jouxtant celui des cliniques externes.
Les conditions de vie y sont en contradiction avec le principe du respect de la dignité humaine : le rez-de-chaussée abrite la salle des responsables et des gardiennes, la cuisine et deux cellules. Un escalier tournant conduit à trois cellules lugubres situées au premier étage. Au-dessus, se trouvent les différents ateliers (couture…) mis en place par les associations venant en aide aux prisonnières. Il s’agit en fait du seul espace où ces dernières ont la possibilité de se dégourdir les jambes, de « se promener », d’entrevoir le soleil et de respirer l’air à travers les barreaux.
Dans les cellules d’une vingtaine de mètres carrés chacune, la répartition se fait non selon le statut de prévenue ou de condamnée, mais sur base ethnique. Les détenues d’origine éthiopienne, sri lankaise ou autres s’isolent d’elles-mêmes et se tiennent à l’écart de leurs camarades libanaises ou européennes. La nuit, des matelas sont étalés à même le sol mais leur nombre étant fréquemment inférieur à celui des prisonnières, ils doivent êtres souvent partagés. Ils sont empilés pendant la journée, ce qui facilite un tant soit peu le déplacement dans les cellules.
Des cellules invivables
Il existe aussi des « lois » édictées par les prisonnières elles-mêmes : les plus anciennes ont le droit de dormir sur les deux à trois lits existants ou à proximité de la fenêtre. Les nouvelles se contentent des places les plus proches des toilettes. De cette manière, au fur et à mesure qu’une prisonnière gravit la hiérarchie de la cellule, elle acquiert le droit de changer la place de son matelas. Les salles vétustes et surpeuplées n’ont qu’une seule fenêtre, trop haute pour permettre une bonne ventilation et un éclairage suffisant. En outre, chacune est équipée d’un téléviseur, source d’ailleurs de nombreux conflits entre les détenues. Les trois maigres repas provenant généralement de la prison centrale de Roumieh sont pris dans les cellules, par terre. Il n’est pas rare que les familles fournissent un repas complémentaire, les médicaments et les petits nécessaires élémentaires de la vie quotidienne à leurs proches (brosses à dents, savons…). Les Libanaises reçoivent plus de visites, ce qui leur confère un pouvoir certain sur les étrangères, pour la plupart délaissées par leurs ambassades. On échange de la nourriture, des cigarettes ou autre contre certains services ou des corvées.
Des salles de bains aérées manquent cruellement. Les occupantes des lieux jouent des poings et des coudes pour accéder à des robinets qui tantôt font couler de l’eau chaude, tantôt restent secs. Les visites de 15 minutes sont autorisées trois fois par semaine dans un lieu dont le grillage est si épais qu’il empêche presque les familles de voir leurs proches.
Un nourrisson de 50 jours
Dans cet endroit, l’ambiance est morose, sombre, étouffante et invivable. Même les femmes enceintes et les mères qui souhaitent allaiter ne sont pas prises en charge. C’est qu’il y a parfois des bébés dans ces prisons. Un nourrisson de 50 jours, né en prison, y séjourne. On imagine les conséquences que le manque d’air et de soleil, et la promiscuité peuvent avoir sur son développement.
Idem pour les mineures qui ne sont pas séparées des adultes. C’est le grand amalgame, ce qui ne peut qu’avoir aussi des conséquences très graves, notamment au niveau du développement social des adolescentes ou des jeunes adultes qui n’en sortiront que plus fragilisées et fort probablement plus aptes à la récidive.
Si l’état lamentable des prisons et la promiscuité sont les problèmes majeurs dont souffrent les prisonnières, c’est au niveau médical que les violations des droits sont les plus patentes. Ne disposant pas d’un dispensaire, un médecin consulte une fois par semaine ou selon les besoins. Cependant, les détenues n’ont pas droit à des consultations gynécologiques ni même au dépistage du cancer. Le manque de soleil et d’activités en plein air favorise l’ostéoporose et les troubles visuels.
Marlène AOUN-FAKHOURI |
SOURCE : L’Orient le jour