En prison depuis deux ans, cette bergère de 44 ans se rebelle contre l’autorité pénitentiaire, et en paye le prix.
« Avez-vous mordu ce surveillant ? » « Oui. » Dans la salle d’audience du tribunal de Paris, Christine R. se tient droite, cherche à peine ses mots. La quarantaine, solidement bâtie, crinière bouclée en bataille, elle assume ses actes. Elle ne s’excuse pas. Jamais. Elle n’en est pas à son premier procès. Et celui-ci n’est pas si différent des précédents. Face à elle, les juges épluchent les multiples pages de son dossier. Christine n’a pas volé, ni blessé, ni tué. Dans son casier judiciaire, s’alignent les condamnations pour « rébellion, outrage et violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique ». En l’occurrence et le plus souvent, un surveillant de prison.
Dix-sept condamnations et, depuis deux ans d’incarcération, de multiples sanctions disciplinaires. Tout son dossier crie sa haine de l’institution pénitentiaire, où elle est enfermée depuis le 9 novembre 2012. Le juge hausse les sourcils, se penche en avant. « Qu’est-ce qui vous a menée en prison la première fois ? » Et Christine de répondre : « Les premiers qui m’ont mis les menottes, c’est pas la police, c’est la pénitentiaire. »
Christine est bergère. Elle aime la montagne et son troupeau, pouvoir se déplacer en toute liberté, voir qui elle veut quand elle le veut. Elle ne goûte guère ceux qui se mettent en travers de sa route. Quand son compagnon est incarcéré, condamné pour une longue peine, elle découvre les contraintes du parloir, la sévérité de l’administration pénitentiaire. En décembre 2004, une altercation avec des surveillants du centre de détention de Valence, pour un parloir promis puis refusé, l’expédie en garde à vue pour la toute première fois. En comparution immédiate, elle écope de quatre mois de prison avec sursis pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique et outrage. Deux charges qui reviendront de façon récurrente dans son dossier.
Chaque année qui suit ajoute une nouvelle peine à son dossier. Aux incidents de parloir s’ajoutent ceux des manifestations contre le système carcéral, la loi Loppsi 2 ou le puçage des moutons, et des gardes à vue qui s’enchaînent. Jusqu’à l’incident de trop, le 8 novembre 2012. Partie voir son compagnon au parloir, elle passe un portail de sécurité. Celui-ci ne sonne pas, mais les surveillants lui demandent d’enlever sa veste. Une broutille peut-être. Mais, pour Christine, l’ordre résonne comme une manifestation supplémentaire de l’arbitraire d’une institution qu’elle exècre. Elle refuse, arguant que « les familles n’ont pas à se déshabiller sans raison ». Sa résistance l’expédie en garde à vue, puis deux mois en prison pour outrage et rébellion.
De l’autre côté du parloir
Les deux mois d’incarcération sont devenus années. Christine n’est pas ressortie. Un à un, les sursis accumulés depuis 2004 sont tombés. Et, en deux ans d’emprisonnement, de multiples altercations avec les surveillants ont allongé sa peine.
« En envoyant Christine en prison, on l’a enfermée dans un cercle vicieux. » Lorsque Lionel Perrin a rencontré la bergère, il travaillait pour l’Observatoire international des prisons (OIP). Son dossier a un jour échoué sur son bureau : « Christine fait partie de ces gens qui refusent toute autorité arbitraire, quelle que soit la situation. Et on l’a envoyée en prison, où elle croise des uniformes tous les jours. Alors, bien sûr, elle n’a pas cessé de se révolter. »
Refus de promenade, de séances de sport, fouilles de sac, problèmes de courrier ou remarque déplacée… En prison, les situations de confrontation sont le lot quotidien. Et Christine ne fait pas de compromis : « Les matons disent qu’ils ne font que respecter la loi. J’attends donc une honnêteté sans faille de leur part. Quand j’ai été incarcérée, j’ai lu le code du prisonnier et le code pénal. Je regarde toutes les notes de service affichées en détention. Si tout ça est respecté, je ne fais pas d’histoire. Mais c’est rarement le cas. » « Chaque fois que Christine s’oppose à l’administration pénitentiaire, sa révolte est fondée, confirme Anne Chereul, de l’OIP. Elle n’a pas de vénération particulière pour le droit, mais elle ne supporte pas que cette autorité qui l’enferme au nom de la loi ne respecte pas ses propres règles. Elle retourne donc l’arme légale contre l’institution et la place ainsi en face de ses contradictions. »
À l’administration pénitentiaire, Christine ne laisse rien passer. Qu’il s’agisse d’un manquement grave à ses droits ou d’une bagatelle, qu’elle soit elle-même concernée ou que l’une de ses codétenues soit visée, elle réagit avec la même ardeur et, en retour, essuie les sanctions. Christine a ainsi passé la moitié de ces deux dernières années en quartier disciplinaire ou à l’isolement, et subi neuf transferts d’établissement. Une à une, elle perd ses remises de peine. Certaines confrontations dérapent. Insultes, affrontements physiques… À deux reprises, des surveillants portent plainte, ajoutant de nouvelles condamnations à sa peine. En deux ans d’emprisonnement, Christine a ainsi accumulé plus d’une année d’incarcération supplémentaire.
Une spirale dont ses proches craignent qu’elle ne sorte pas. « J’admire ma fille, elle a une force de caractère incroyable et se bat pour ce en quoi elle croit. Mais j’aimerais parfois qu’elle s’éparpille moins dans ses causes. Elle réagit sur tout, et certains détails ne valent peut-être pas le prix à payer », dit sa mère, qui, depuis deux ans, se déplace avec son époux à travers la France pour voir sa fille au parloir. Elle raconte sa peur pour elle, la crainte des entrevues refusées à la dernière minute pour raison de transfert ou de sanction disciplinaire, et l’angoisse d’un engrenage sans fin. « Nous sommes dans un processus infernal où la prison originelle génère de la prison supplémentaire, explique son père. Nous n’approuvons pas toujours les modes d’action de Christine, mais a-t-elle le choix ? »
Ne pas prendre la couleur des murs
« Ce qui est difficile à comprendre de l’extérieur, c’est que se battre peut être un moyen de continuer à exister en prison. Refuser de baisser la tête permet de lutter contre la peur de prendre la couleur des murs », souligne Anne Chereul.
Lutter contre le système, le dénoncer, Christine en a fait son quotidien. « Oui, je suis une militante anti-carcérale, je le revendique. Et j’essaye, à mon niveau, de transmettre des infos de l’intérieur. » De sa cellule, elle expédie des lettres à ses amis, qui en publient ensuite des extraits sur le web, par le biais de sites libertaires. À ses procès, elle croise des militants inconnus, venus soutenir celle qu’ils considèrent presque comme une égérie. « Dans certains milieux, on me connaît. Ça ne m’amuse pas. On est 68 000 enfermés, je préférerais qu’on soit 68 000 connus. »
Mais, en prison, la rébellion de Christine rencontre peu d’échos. « J’ai un mode de fonctionnement qui diverge de la norme. Pas mal de matons m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu quelqu’un comme moi. Et mes codétenues, pour la plupart, ne comprennent pas. Quand je m’emporte, il y a des filles qui me disent : “Mais calme-toi ! C’est pas si grave !” Pourquoi je suis la seule que le comportement de la pénitentiaire énerve autant ? »
Certaines détenues lui répondent qu’autre chose les attend dehors et qu’elles n’ont pas de temps à perdre avec ça. D’autres que l’institution est comme ça, et ne changera malheureusement pas. Et il y a celles qui avalent des cachets pour tenir. Christine, elle, n’en veut pas. « Christine est une forte tête, elle sait rester debout avec dignité et se place sur un pied d’égalité avec les juges et les gardiens. Et ça, la justice et l’administration ne le supportent pas », soupire son avocat.
Christine est désormais au centre pénitentiaire de Poitiers. Les moutons sont loin. « Elle n’a pas sa place là-bas, insiste Myriam, une amie, bergère elle aussi. Elle n’est pas un danger pour la société. Et plus le temps passe, plus la prison l’enferme dans sa lutte. » « Mais pour sortir, insistait la procureure lors de son dernier procès, il faudrait faire ses preuves, montrer que l’on a compris. » Pour Christine, ça signifierait faire profil bas, se taire, baisser les bras. Se rendre à l’arbitraire d’une institution qu’elle ne supporte pas.
Lena Bjurström
SOURCE : Politis