Marie-Jo Bonnet : « Les homos sont devenus des hétéros libéraux »
Marie-Josèphe Bonnet est historienne, féministe et écrivain. Co-fondatrice des Gouines rouges et du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), elle a participé au Mouvement de libération des femmes dans les années 1970 et est aujourd’hui connue pour ses convictions bien tranchées contre la GPA ou le mariage pour tous, à propos duquel elle a signé cette année un pamphlet bien senti aux éditions Flammarion, « Adieu les rebelles ! ». Elle y explique notamment ce qui constitue selon elle le dévoiement petit-bourgeois du combat homosexuel en faveur de la norme du mariage. Elle a accepté un long entretien avec nous pour revenir sur ce que doivent être, selon elle, les combats homosexuel et féministe en 2014.L’interview, un peu conséquente, est divisée en deux parties : la première est consacrée à la question homosexuelle, englobant les polémiques du mariage pour tous et de la manif pour tous ainsi qu’une réflexion plus poussée sur ce que doit être aujourd’hui le combat homosexuel et une analyse originale de la question du genre, qui fait grincer tant de dents actuellement. La seconde partie de l’interview se focalise sur la question du féminisme, du rejet de la GPA (gestation pour autrui) aux difficultés de la PMA (procréation médicalement assistée) en passant par le ridicule de certains combats féministes actuels qui, englués dans leur pathologie victimaire, n’ont plus de féministe que le nom.
Sur la question homosexuelle
Le Comptoir : En juin 2014, vous asséniez dans Causeur que « les gays ont épousé le conformisme », où vous opposiez les « vrais réacs de la manif pour tous » aux « faux progressistes du mariage pour tous ». Plus d’un an et demi après le vote du mariage pour tous, avez-vous changé d’avis ? Le combat pour l’égalité ne passait-il pas par le droit au mariage ?
Marie-Josèphe Bonnet : Je crois que la situation a empiré depuis l’année dernière dans le mouvement LGBT et dans l’état d’esprit des faux progressistes. On s’aperçoit que ces faux progressistes — c’est-à-dire tout ce courant LGBT favorable au mariage, un mariage qu’on pourrait qualifier de « bourgeois », de « conventionnel », du « XIXe siècle » — sont devenus en outre sectaires. Ils se permettent de qualifier leurs opposants d’homophobes, de réacs, de cathos de droite…
Ça leur permet de ne pas entendre les critiques qui viennent de la gauche. Je pense notamment à toutes mes amies féministes et lesbiennes, qui sont contre le mariage et qui n’ont pas pu s’exprimer. Il y a eu un vrai problème démocratique, avec une opposition de deux blocs, la Manif pour Tous et le Mariage pour tous, un peu comme au temps de la guerre froide avec les Occidentaux et les Soviétiques, séparés au centre par le mur de Berlin et une impossibilité totale de communication, de débat démocratique.
Entre ces réacs et ces progressistes, vous parlez d’une troisième voie : quelle est-elle ?
Je pense qu’il faut un débat sur la signification symbolique et politique du mariage, à une époque où cette institution tombe en désuétude. Il y a de moins en moins d’hétéros qui se marient. On ne va pas réanimer une institution qui est en train de tomber d’elle-même et qui n’est plus adaptée au monde contemporain ! Là était ma critique. Sans oublier que cette institution a été très oppressante pour les femmes. Avec le mariage, outre l’adhésion au schéma patriarcal et l’abandon de la contre-culture gay, on se réfère à un modèle qui n’a pas été fait pour les homosexuels, qui a été fait pour la famille, pour les enfants. Les gays sont condamnés à devenir des hétéros, à rentrer dans le modèle hétérosexuel et donc à perdre tout ce qui faisait l’intérêt de leur différence, qui était une richesse pour la société. Là, vous avez les lesbiennes qui se marient en blanc, qui enterrent leur vie de jeune fille… exactement comme les hétéros ! C’est du mimétisme, c’est très dangereux. C’est le modèle hétérosexuel, dans toute sa force et sa splendeur, qui a gagné. Qu’ils ne parlent plus de critiquer les normes hétérosexuelles, ils les ont intégrées : ils sont encore plus hétéros que les hétéros ! Mettre tout le monde sur le même modèle est très dangereux : il n’y a plus de débat alors que le conflit est créateur.
Nous avions déjà le Pacs, qui était quelque chose de nouveau, de plus ouvert, qui prenait sa place dans la société. De plus en plus d’hétérosexuels choisissent de se pacser plutôt que de se marier. Tout ça a été complètement couvert par cette espèce de revendication de mariage, que j’appellerais quand même « réactionnaire » ! Les progressistes ne sont pas progressistes selon moi, ils veulent revenir en arrière !
En parlant — à tort — de « communauté gay », on a souvent l’impression qu’il n’y a qu’une seule parole gay mainstream. Or, aux dernières nouvelles, partager une orientation sexuelle ne prive pas d’avoir ses convictions propres. Pourquoi n’entend-on pas de voix dissonante, si ce n’est la vôtre ? N’y a-t-il aucun homosexuel contre le mariage pour tous ?
Bien sûr qu’il y en a ! En particulier la Coordination des lesbiennes en France (Clef), qui regroupe 20 associations lesbiennes féministes dans toutes les grandes villes de France : Marseille, Toulouse, Lille, Strasbourg, etc. Il y avait des avis très différents sur le mariage. Vous savez que la tradition féministe, c’est de critiquer le mariage et de s’en libérer. Cette tradition a été transmise chez les lesbiennes.
Certes, mais je n’ai pas eu l’impression de les avoir entendues à l’époque du vote du mariage pour tous…
Parce qu’elles se sont tues. C’est dommage. Une ou deux se sont exprimées dans Libé, mais très très peu. C’est un problème. Le second problème, qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on a appelé ça le « mariage gay », on ne l’a pas appelé le « mariage lesbien » : une preuve que le masculin domine toujours. Ma critique se situe aussi là : les gays ne sont pas des lesbiennes. Ça occulte le fait que chez les homosexuels, il y a des hommes et des femmes.
C’est un terme générique. Le mariage pour tous concerne des mariages entre deux hommes mais aussi entre deux femmes…
C’est une manipulation du langage pour occulter le féminin. C’est important. On est revenu à une situation où le mâle dominant s’impose et la presse ne demande son avis qu’à lui. J’ai eu la chance de trouver un petit créneau dans la presse, à France Inter. Puis la directrice du journal Elle m’a interviewée et cette interview a eu du succès… Mais parce que j’ai eu le courage d’exprimer un point de vue qui était différent. Comme j’avais beaucoup milité dans le mouvement d’émancipation des homosexuels, je pouvais me permettre de le dire. Et de rappeler l’histoire, parce qu’il y a une histoire tout de même : nous ne sommes pas nés en 2014 !
Lors d’une conférence à Science-Po sur le thème de « la maternité face au marché » le 4 décembre dernier, vous faisiez remarquer qu’à votre avis, les homosexuels étaient de plus en plus du côté libéral de l’échiquier politique. L’ode au spectacle et à la consommation, dans tous les sens possibles, qu’est devenue la Gay Pride semble vous donner raison. Les homos ne sont-ils désormais que des hétéros libéraux comme les autres ?
Absolument ! Très bonne analyse. Oui, les homos sont devenus des hétéros libéraux et des grands consommateurs, étant donné qu’ils sont mieux payés que les femmes. Vous savez que les hommes touchent 20% de plus que les femmes dans le monde privé ? Ils ont un budget beaucoup plus important que les femmes et ils le consacrent à des choses différentes. Ce sont de gros consommateurs, de sexe notamment, d’autant plus qu’ils n’ont pas d’enfants, ou très peu (ils en auront un, à tout casser, et c’est tout, et encore pas tous !).
Vous ne parlez encore que des hommes… Mais les femmes ne sont pas devenues libérales ?
Beaucoup moins. Par exemple, dans la Coordination des lesbiennes en France, il y a toute une réflexion sur le libéralisme et sur la mise en commun de l’argent : quand des femmes gagnent plus que d’autres, elles payent pour celles qui gagnent moins. Ce que je trouve très intéressant. Une chose qu’on ne trouve pas du tout chez les gays.
Vous deviez animer, le 9 décembre, une conférence organisée par l’association « les oubliés de la mémoire » autour de la question « Résistance-Sexualité-Nationalité à Ravensbrück » au centre LGBT de Paris. Un communiqué du Corp (Collectif pour le respect de la personne) nous a appris que ce n’était plus d’actualité, LGBT ayant argué que vos « propos très virulents — et proches des arguments de la manif pour tous » pouvaient entraîner un risque sécuritaire. Chercherait-on à vous faire taire ?
Absolument. C’est de l’intimidation. C’est choquant de la part de LGBT et de l’association « les oubliés de la mémoire ». D’autant plus que je voulais parler d’un sujet qui n’est jamais abordé : la sexualité dans les camps. Parce qu’il n’y a pas que la déportation des homosexuels hommes. Il y a eu des camps de concentration de femmes, donc automatiquement, de l’homosexualité. C’est quelque chose d’intéressant à étudier. Surtout depuis le spectacle « Verfügbar aux enfers » [NDLR : une opérette-revue écrite clandestinement au camp de concentration de Ravensbrück par la résistante et ethnologue française Germaine Tillion au cours de l’hiver 1944-1945] où les lesbiennes allemandes sont étiquetées et caricaturées par les Françaises. C’est très intéressant d’étudier pourquoi les Françaises se positionnent en tant que résistantes face aux Allemandes, qui sont les ennemies, et pourquoi ces Allemandes sont déportées en tant que « triangle noir », c’est-à-dire « Azocial, socialement inadaptées ». Ces mécanismes sont passionnants à étudier ! Ce qui est grave, c’est que le centre LGBT qui est normalement un lieu de libre expression m’empêche de faire une conférence sur un sujet qui concerne tout le monde, dont on ne parle jamais. On peut dire que le communautarisme dont ils font preuve fait le lit du sectarisme.
Question subsidiaire : comment doit s’incarner aujourd’hui le combat gay ?
Gay ? Vous voulez dire « homosexuel ». Parce qu’il y a encore deux sexes. La notion est primordiale, surtout quand on parle d’homosexualité puisque c’est quand même choisir son propre sexe ! Donc ça a encore un sens. Ou alors on ne parle plus d’homosexualité. J’ai écrit un livre qui s’appelle Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?, je ne l’ai pas intitulé « qu’est-ce qu’un genre désire quand il désire un genre ? » parce que ça n’a aucun sens, y compris dans l’hétérosexualité qui consiste en désirer l’autre sexe. La dynamique des deux sexes dans la société a encore un sens, au moins au niveau du désir.
Vous vous aventurez sur le terrain très glissant de ce que certains appellent la « théorie du genre », attention…
Je ne sais pas ce que c’est la théorie du genre. Pour moi, il y a des personnes humaines qui sont sexuées. Pour moi, le sexe et le genre c’est la même chose, il n’y a pas de différence. Heureusement que nous ne vivons pas uniquement sous les stéréotypes de sexe ! Nous sommes tout de même des sujets, des sujets désirants, amoureux, politiques, créateurs… Je pense les personnes en termes de sujet, c’est-à-dire composées de conscient et d’inconscient. L’inconscient, c’est toute cette part d’inconnu de nous-mêmes, qui est éludée lorsqu’on parle de genre. Pour les pro-genre, l’homme est uniquement un sujet conscient, soumis qui plus est à un conditionnement social : ce ne sont plus des êtres agissants, ce ne sont que des victimes d’un conditionnement social. Voilà ce qu’est le genre, voilà ce qu’on nous vend ! La société créerait et opprimerait les deux sexes. Non ! Nous ne sommes pas que le produit de la société. En outre, ils oublient que le désir homosexuel échappe au conditionnement social, puisque la société nous pousse vers l’autre sexe. Pourquoi on échappe au conditionnement social ? C’est ce qui est intéressant à creuser.
Pour revenir à la question, le combat homosexuel a complètement abandonné ce type de réflexions. Ils veulent s’intégrer et devenir comme tout le monde, c’est leur objectif. Donc qu’ils deviennent comme tout le monde, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Mais le problème, c’est qu’une fois devenus comme tout le monde, ils ne seront pas prêts en cas de retour du bâton. L’histoire nous a donné plein d’exemples, ne serait-ce qu’au XXe siècle : il ne faut pas oublier qu’il y avait un mouvement homosexuel très fort en Allemagne. Ils ont été écrasés. Il ne faut jamais oublier que c’est très nouveau que la société accepte l’homosexualité, et que ça peut changer. Je suis historienne, je travaille sur le temps long : l’histoire nous donne sans arrêt des avancées et des reculs. Il faut le savoir et être prêt à toutes les éventualités.
Sur la question féministe
Vous justifiez votre opposition à la GPA par vos convictions féministes, estimant que c’est une nouvelle forme d’esclavage qui marque la restauration du patriarcat. Pourtant, il existe des féministes, Caroline Fourest, Elizabeth Badinter, qui se posent en faveur des mères porteuses, d’une « GPA éthique ». Où se trouve le point clivant entre vous ?
Dans l’éthique, justement ! Parce que la GPA, la gestation pour autrui, c’est-à-dire « pour le compte d’autrui », n’a rien d’éthique. La GPA gratuite n’existe pas : aucune femme n’acceptera de porter pendant neuf mois un enfant qu’elle donnera ensuite à quelqu’un d’autre. Ce n’est pas « éthique » : un enfant, ça ne se donne pas. Ça ne s’achète pas non plus. Je pense qu’Elisabeth Badinter a une vision de la liberté où à partir du moment où notre corps nous appartient, on peut le vendre dans la prostitution ou vendre un enfant. Caroline Fourest, je pense qu’elle veut être « dans la course » : elle est passée du côté des gays, elle protège leurs intérêts. Parce que ça m’étonnerait qu’elle accepte, elle, de porter un enfant pour un couple de gays ! Ce qu’on défend comme idée, ce n’est pas juste bon pour les autres, il faut aussi se l’appliquer à soi.
Parler de droit à l’enfant, c’est dangereux ? Quels problèmes cela soulève-t-il ?
Le droit à l’enfant n’existe pas. Tout simplement car l’enfant est un être humain, en avoir ne relève pas de la justice. De quoi parlent les couples gays quand ils parlent d’injustice pour qualifier leur impossibilité à avoir des enfants ? Ils sont complètement dans le fantasme hollywoodien, les histoires de Walt Disney qu’on leur racontait quand ils étaient petits : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ».
En tant qu’historienne, vous accordez une importance prépondérante aux origines, aux racines de la filiation et donc, concrètement, cela passe pour vous par une prise de position contre l’anonymat du don de sperme et l’anonymat de la mère porteuse. Un enfant issu de ces deux modes de conception est-il condamné à être malheureux ?
Je suis contre l’anonymat dans la PMA : je pense que les femmes qui veulent avoir un enfant n’ont pas besoin d’aller engraisser les cliniques : elles peuvent très bien se débrouiller toutes seules, ce n’est pas nouveau dans l’histoire. Elles ont toujours fait comme ça, elles peuvent très bien continuer. Globalement, je suis contre la médicalisation de la procréation dans le cas où les femmes ne sont pas stériles. Donc je suis également contre le don anonyme de sperme parce que je pense que l’enfant a besoin de connaître son histoire, ses origines, pour construire sa propre identité.
Dans un récent article du Monde, plusieurs femmes avouaient avoir recours à la conservation de leurs ovocytes en Espagne, dans l’espoir de pouvoir procréer plus tard. Il s’agissait à la fois de femmes actives (dont on a vu que le « traitement » pouvait être pris en compte par l’entreprise si elles sont salariées chez Facebook et Apple, ce qui nous a bien fait marrer, au Comptoir) mais aussi de femmes atteintes de réserve ovarienne insuffisante. Il s’agit donc ici précisément de cas de PMA, tous envisagés vers l’âge de 40 ans. Condamnez-vous toutes ces tentatives comme vous condamnez la GPA ?
Je ne condamne rien du tout, je trouve juste que c’est une drôle de façon de concevoir l’enfantement. Tout cela est au service du capital, passez-moi l’expression ! Quand on veut faire un enfant, ce n’est pas un produit qu’on va programmer à long terme. Plein de femmes attendent désespérément le père idéal : cela signifie peut-être qu’elles n’ont pas envie d’avoir d’enfants.
Quand j’étais jeune, c’était le problème inverse : les femmes tombaient enceintes alors qu’elles ne voulaient pas d’enfants. On s’est battues pour avoir l’avortement et pour la contraception. Le problème, c’était donc les enfants non désirés. Mais aujourd’hui, vous avez des femmes qui veulent des enfants mais qui n’ont pas soit le mari, soit pas le temps. On n’est pas des produits capitalistes ! Autrefois, les enfants venaient sans crier gare, et les femmes les acceptaient. Ça va devenir une épreuve extraordinaire d’avoir un enfant maintenant !
La France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme car elle refuse d’inscrire à l’état civil les enfants nés par GPA à l’étranger. Une fois l’acte fait, on ne peut plus revenir en arrière : l’enfant est là et il lui faut un état civil. N’est-ce pas commettre une injustice à son égard que de l’en priver, doit-on rappeler qu’il n’est pour rien dans l’affaire ? Est-il condamné à un statut d’apatride ?
L’enfant ne naît pas apatride ! J’ai fait un article dans Libération, intitulé « des bébés made in France », qui revient sur la question. Concernant le couple qui a porté plainte devant la CEDH, le couple Mennesson, ils ont eu des jumelles aux États-Unis et ces jumelles ont un passeport américain, donc elles ne sont pas sans état civil. Beaucoup de gens aimeraient avoir un passeport américain ! Et quand elles auront 18 ans, elles pourront choisir entre la nationalité américaine ou française. Elles n’ont aucun problème. Le problème, c’est pour les enfants nés en Ukraine ou en Inde, qui auront des passeports de ces pays. Les parents sont les seuls responsables : ils ont transgressé la loi. Dans ce cas, il faut être ferme, sinon c’est la politique du fait accompli !
Aujourd’hui, j’ai l’impression que le combat féministe français se borne à des initiatives de pure communication assez ringardes et victimaires comme le site Macholand ou à la résolution de faux problèmes tels que la féminisation de la grammaire ou la mise en place du féminicide réclamé par Osez le féminisme, des initiatives qui donnent l’impression d’avoir plutôt été pensées contre les hommes et dont les conséquences ne peuvent être qu’une plus grande division de la société. Que pensez-vous de ces initiatives et comment concevez-vous le combat féministe en 2014 ?
Je partage votre analyse. Vous avez raison sur le côté victimaire du féministe, c’est le grand problème des conséquences du mouvement queer et de la « théorie du genre ». Dès lors qu’il n’y a plus de sexe, il n’y a plus de femmes, il n’y a plus que des hommes. À l’université, par exemple, le mot « femme » n’apparaît plus dans les thèses, il est remplacé par le mot « genre ». On n’emploie plus le mot « femme » mais en revanche, on emploie toujours le mot « homme ». Pour moi, c’est révélateur d’un mépris des femmes pour elles-mêmes, en tant que femmes.
On ne parle plus de femmes mais de victimes, elles sont réduites à ça. Qu’est-ce que les femmes ont en commun qui justifierait une solidarité entre elles ? Le fait d’être victimes ! Eh bien je ne suis pas d’accord. Cette vision victimaire tue la société aujourd’hui. J’ai eu la chance de vivre le mouvement de libération des femmes : il y avait une vision globale des femmes, dans une perspective émancipatrice. Ce qu’on avait en commun, c’était de se révolter et de s’aimer. On disait : « À bas la société mâle ! », « À bas le patriarcat, on ne veut pas rentrer dans cette société-là, on veut la transformer ! »
Aujourd’hui, tout le monde est rentré dans la « société mâle », les femmes sont devenues des hommes. Mais quand vous avez des questions, comme la GPA, qui concernent la spécificité des femmes, eh bien on se fait avoir, on est de nouveau dominées. On a estimé que la question de l’identité était réglée à partir du moment où on a gagné l’égalité. Mais la question d’identité des femmes n’est pas réglée. Nous avons encore devant nous de longues années d’émancipation. Aujourd’hui, je trouve que c’est beaucoup plus intéressant d’être une femme que d’être un homme, parce que les hommes ont tout dit. Ce sont les hommes qui ont géré la planète jusqu’à une époque très récente, qui ont pris les décisions. Au niveau de la vie économique, les femmes ont toujours travaillé gratuitement. Le capitalisme s’est développé sur le travail gratuit des femmes. Dans la vie de couple, ce sont toujours les femmes qui se tapent tout le boulot en général, le travail invisible existe toujours. Les femmes ont besoin de prendre la parole : si on veut sauver la planète, lutter contre le dogme de la croissance à tout prix… Les femmes n’ont pas participé, elles n’ont pas donné leur vision du monde, c’est très récent qu’elles le fassent. J’espère qu’elles auront le courage d’incarner cette force nouvelle.
SOURCE : http://comptoir.org