Depuis toujours les Tunisiennes ont refusé de se soumettre et n’ont cessé de lutter pour leurs droits. Un survol historique depuis le siècle dernier jusqu’à nos jours met en valeur leur lutte contre toutes les formes de régression.
- Le contexte international et la pensée réformiste occidentale et arabo-musulmane
L’Islam a opéré des avancées en matière des droits des femmes et des libertés au VIIe siècle mais les réformistes arabes, même s’ils ont puisé dans le Coran des principes de liberté, ont été marqués par l’Europe des Lumières. Au début du XIXe siècle, la défense de la cause des femmes a commencé à émerger en Europe, en Turquie et en Egypte.
Les pays arabes et musulmans n’ont pu ni su apporter les réformes nécessaires pour l’instauration de Constitutions égalitaires, car les conservateurs ont toujours refusé d’opérer des réformes radicales comme le fit Mustafa Kemal Atatürk père de la Turquie moderne. Ce fut en effet la 1re fois dans l’histoire qu’un État musulman adopte un régime républicain laïc. Réformes qui ont influencé les élites de certains pays musulmans et arabes dont l’Egypte et la Tunisie.
Dans la constitution turque d’avril 1924, les citoyens sont déclarés égaux et jouissent de la liberté de conscience, de religion, d’expression, de presse, de réunion. Les mots- clés d’Atatürk sont laïcité, turquisation, occidentalisation et ses réformes les plus importantes en 1922, sont : Abolition du Sultanat, Souveraineté de la nation, en 1924, Abolition du califat. Suppression des établissements d’enseignements religieux, en 1925, Port de fez interdit aux hommes, remplacé par chapeau ou casquette. Port du voile interdit aux femmes, Egalité des sexes, Interdiction de la Polygamie et de la Répudiation, Reconnaissance du Mariage et du Divorce civil et Egalité dans l’héritage.
Par ailleurs, le calendrier grégorien basé sur l’année solaire remplace l’année lunaire de 354 jours des musulmans, et en 1928, Suppression de l’Islam de la Constitution en tant que religion d’État., en 1934, droit de vote et d’être élue accordé aux femmes et aux élections de 1935, dix-sept femmes sont députées. La Turquie a fait des pas de géant et malgré l’islamisation et le parti islamiste au pouvoir aujourd’hui, la laïcité est toujours garantie, ce qui n’est le cas d’aucun autre pays musulman ou arabe.
En Egypte sous le règne de Mohamed Ali, des réformistes ont défendu la cause des femmes à savoir que la femme a joué un rôle important dans la société égyptienne. L’école des infirmières créée en 1832 a ouvert la voie au travail de la femme qui vit le jour grâce aux contributions de R. El-Tahtawi et de Q. Amin, auteur de l’émancipation des femmes, 1899 et La Femme Nouvelle, 1900 qui ont revendiqué le droit des femmes égyptiennes à l’enseignement et au travail ayant participé à la révolution de 1919. Le 1er parti féministe égyptien a été créé en 1942 et en 1947, l’Union féministe égyptienne réclame l’amendement de la loi électorale pour octroyer aux femmes le droit de vote, tous les droits politiques et leur participation aux conseils locaux et parlementaires. Au cours de la conférence féministe tenue en 1951, des manifestations féministes ont revendiqué un parlement réunissant les hommes et les femmes à part égale. Au lendemain de la Révolution de Juillet 1952, la constitution de 1956 a stipulé l’octroi à la femme de tous ses droits politiques, considérant qu’un choix autre serait contre les principes de non-discrimination entre citoyens. Ainsi, la femme a accédé, pour la 1re fois, au parlement suite aux élections de 1957.
Le contexte international était donc favorable à l’émancipation des femmes. Les réformes turques et les réformistes égyptiens ont favorisé le mouvement d’émancipation en Tunisie. Par ailleurs, la présence de la princesse égyptienne Nazli Fadil dans son salon culturel à La Marsa, contribua à cette modernisation tunisienne.
- Le contexte national : La Tunisie de Tahar Haddad à Habib Bourguiba, artisan de l’Indépendance tunisienne
Le cas de la Tunisie s’inscrit dans cette mouvance émancipatrice portée à la fois par des hommes et par des femmes qui fréquentaient les partis politiques et les organisations féministes mondiales. T. Haddad eut le mérite de soulever auprès de l’opinion publique dès 1930, la question du statut personnel des femmes dans un livre, « Notre femme aux yeux de la société et de la religion ».Il défendit l’égalité totale entre hommes et femmes, y compris en matière d’héritage, ce que même H.Bourguiba n’a pu inscrire dans le C.S.P tunisien, promulgué le 13 août 1956 avant la Constitution de 1959. Ce code fut la fierté du 1er président de la Tunisie. T.Haddad suscita la colère des conservateurs et fut cloué au pilori pour ses idées avant-gardistes, tout comme le fut H. Bourguiba, suite à la promulgation du CSP par le courant islamiste rétrograde. Leurs deux tombes furent profanées après la Révolution par des extrémistes islamistes.
1. La bataille du voile
Comme dans tous les pays musulmans et arabes, l’émancipation des femmes s’est cristallisée autour de la bataille du voile. Habiba Menchari au cours d’une conférence à Tunis en 1924, en réclame l’abolition, et joignant l’acte à la parole se découvre le visage en ôtant son voile. Elle plaida en 1928 l’abolition de la polygamie. Au cours des années 1924 et 1929, deux interventions de Manoubia Ouertani et H. Menchari, suscitent le scandale auprès des conservateurs qui y voient. les premiers résultats de l’instruction des femmes et de l’influence de l’Occident. Plusieurs débats journalistiques amorcent une prise de conscience de la nécessaire égalité entre les hommes et les femmes et de sa lente structuration qui évoluera par soubresauts jusqu’au 14 janvier 2011.
A cette époque les leaders musulmans avaient épousé la cause des femmes au point que le roi au Maroc et le monarque en Afghanistan dévoilent leurs filles en public, pour donner le signal de la modernisation de leurs pays respectifs. C’est donc un mouvement émancipateur qui traverse les pays arabes et/ou musulmans au début du XXe siècle, comme c’est un mouvement de régression qui les traverse aujourd’hui avec l’islamisme politique parlant d’égalité entre citoyens mais la refusant dans les faits.
2. Le CSP, tremplin de la libération des femmes tunisiennes
Le Code du statut personnel (C.S.P) fut le legs du mouvement réformiste tunisien, né d’un modernisme venu d’Occident et d’Orient. Ibn Abi Dhiaf (1804-1874), écrivait déjà, en 1856, son Epître sur la femme. Le ministre, Khair-Eddine, (1873-1877), demandait déjà l’instruction des femmes et la modernisation du système politique, fondée sur la conciliation des apports occidentaux avec l’Islam. De 1930 à 1955, plusieurs journaux publient des articles sur la dot, la polygamie, le voile, l’enseignement, le droit de vote des femmes à l’occasion du scrutin prévu pour l’élection de l’Assemblée constituante en mars 1956. Le CSP est le résultat d’un mouvement intellectuel pour un meilleur statut des femmes tunisiennes pleinement assumé et porté par le président H. Bourguiba, ayant réussi à réaliser une symbiose entre les exigences d’une culture nationale et l’attrait des modèles occidentaux. H. Bourguiba avait consenti un effort de vulgarisation lors de la 1re décade d’août disant que «l’élément nouveau et révolutionnaire qui marque la nouvelle loi, c’est l’interdiction de la polygamie » mettant fin à des traditions discriminatoires à l’égard des femmes, (polygamie, répudiation unilatérale, droit de contrainte matrimoniale sans toucher à l’inégalité successorale) Ne pas s’imaginer que ce CSP soit un code laïque, H.Bourguiba l’inscrit dans la Tradition de l’Ijtihad… L’émancipation politique suivra l’émancipation familiale. En 1957, la femme bénéficia du droit vote et du droit d’éligibilité aux élections municipales.
3. Les organisations de femmes pionnières
I. l’époque coloniale :
1. L’Union Musulmane des Femmes de Tunisie (1936 -1956)
B’chira Ben Mrad (1913-1993), fut une militante anticolonialiste qui créa l’Union Musulmane des Femmes de Tunisie en 1936 , liée aux milieux zeitouniens, (visa en 1951 et dissolution en 1956).En 1936, des militants organisent sans succès une kermesse pour collecter de l’argent en faveur des étudiants nord-africains installés en France. Bchira Ben Mrad décide d’en organiser une avec les femmes; avec l’accord des dirigeants nationalistes, et crée un comité d’organisation composé de femmes engagées de la haute bourgeoisie, réussit à regrouper 9000 personnes, dans une demeure privée, et à collecter une importante somme d’argent remise aux responsables nationalistes. Une semaine plus tard, en mai 1936, elle fonde l’Union Musulmane des Femmes de Tunisie, constituant ainsi la 1re organisation féminine tunisienne dont elle demeure la présidente jusqu’à sa dissolution en 1956.
- l’Union des Femmes de Tunisie, organisation liée au Parti communiste tunisien. (1944-1963)
En 1944, La victoire de la Gauche française favorise la mise en place de l’Union des Femmes de Tunisie, organisation liée au Parti communiste tunisien. Nabiha Ben Miled (1919-2009) adhéra, en 1936, à L’U.M.F.T, dont les revendications touchaient surtout à la scolarisation des jeunes filles mais, qui sous le Protectorat, se transformaient en revendications politiques pour les victimes de la répression coloniale. Lors des événements du 9 avril 1938, elle décida d’adhérer à l’U.F.T, car elle reprochait à l’UM F T son inféodation au Néo Destour. Elle milite au sein de l’UFT dont elle devient la Présidente en 1952. Cette association, qui a œuvré pour l’émancipation de la femme et la scolarisation des enfants défavorisés, réduira ses activités après l’indépendance, jusqu’à sa dissolution, en 1963. Invitée à militer au sein de l’Union Nationale des Femmes de Tunisie, proche du parti destourien, elle ne supporte ni les méthodes ni la langue de bois de ses membres et la quitte.
II. A l’Indépendance
1. l’Union Nationale des Femmes de Tunisie (1958- 2012)
A l’Indépendance, fut créée l’UNFT en janvier 1956 sous l’égide du Néo Destour. Sa première présidente fut Radhia Haddad. Cette organisation ne fut jamais indépendante car toujours subordonnée aux partis au pouvoir sous Bourguiba et sous Ben Ali. L’UNFT a eu pour charge de réaliser un juste équilibre entre une participation efficiente des femmes à la vie économique et sociale et la promotion d’une vie familiale harmonieuse. Cette structure a toujours exécuté les programmes du Parti au pouvoir et comme les autres organisations nationales, constitue une force de mobilisation politique.
2. La structuration du Mouvement Féministe Autonome (1978 à 1982)
L’exacerbation des contradictions socio-économiques génère un mouvement d’opposition dans le sillage duquel naît un courant féministe autonome, marquée par la création en 1978 au Club T.Haddad, du Club de la Condition des Femmes , porté par un groupe d’étudiantes de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Tunis et avec le projet de création d’une Commission syndicale féminine qui vit le jour, à l’occasion de la journée organisée par les membres féminins du Syndicat de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique, le 8 mars 1982, en présence de Taieb Baccouche, secrétaire général de l’UGTT qui donna son aval pour la création de la Commission d’Etude de la Condition des Femmes au Travail, au sein de l’UGTT.
3. La consolidation du Mouvement Féministe Autonome (1989) se fait avec la création en 1989 de deux ONG indépendantes s’inscrivant dans l’opposition au pouvoir établi l’AFTURD (Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement) et de l’ATFD (Association des Femmes Démocrates).qui ont beaucoup contribué à la promulgation des nouvelles lois en faveur des femmes, en maintenant la pression sur le pouvoir en place de 1989 à 2011.
4. La Révolution du 14 Janvier 2011 et la prolifération des ONG féministes et humanistes
En avril 2011, création de l’Association Egalité et Parité, présidée par moi-même, qui a contribué au passage de la loi sur la Parité et qui se spécialise dans la sensibilisation, la formation et le lobbying. Elle a joué un rôle important dans le projet de constitutionnalisation des droits des femmes et dans la mobilisation de la Société civile à chaque dérapage du parti au pouvoir. Elle joua un rôle clé dans la mise en réseau de plusieurs jeunes ONG réunies en « Coalition pour les Femmes de Tunisie » (officialisée en sept 2012) pour structurer les réactions des ONG face à la remise en cause de leurs droits et pour exiger une Constitution démocratique et égalitaire.
En conclusion, de multiples ONG féministes et humanistes se sont créées au lendemain de la Révolution du 14 janvier, toutes mobilisées dans la bataille démocratique qui se poursuit pour la levée des réserves à la CEDAW, l’inscription dans la rédaction de la Constitution du principe de l’égalité totale, la séparation du politique et du religieux et la dimension universelle des Droits Humains et des droits des femmes en particulier.
Faïza Zouaoui Skandrani, 25-11-12
SOURCE : Facebook de Faïza Zouaoui Skandran