Stoya : « Aujourd’hui tout le travail qui consistait à sortir le porno du ghetto est foutu
Elle vit à New York, loin de la porn valley. Elle n’a pas grand chose à voir avec l’image préconçue de la pornstar américaine. Elle est belle, intelligente, et solaire lors de ses scènes de sexe. Lorsque j’ai dit autour de moi que je l’avais rencontrée, mes copines ont poussé des petits gloussements de fans, encore plus que les garçons. Sous contrat d’exclusivité durant sept ans avec un des plus gros studios du business, Stoya est aujourd’hui libre comme l’air. Assise en tailleur sur un banc au pied de Brooklynn bridge, une cigarette à la main, on a parlé avenir du porn et capitalisme.
Je l’avais rencontrée très brièvement à Berlin il y a au moins cinq ou six ans de cela. Elle avait l’air complètement paumée dans un salon du X qui n’est pas franchement réputé pour être des plus élégants. Une abondance de vêtements en mauvais lycra, de sextoys, et une vague odeur de saucisse. Stoya était au milieu de tout cela, avec sa peau diaphane et ses cheveux ébène, elle dénotait franchement dans ce paysage, on aurait dit Blanche-Neige égarée dans une boîte à partouze. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en la rencontrant aujourd’hui plus longuement à New York, sur son territoire, loin des fans et de la représentation, mais je dois dire que je n’ai pas été déçue. En fait j’ai même été impressionnée.
Tu as été « contract girl » de 2007 à 2013, ce dont rêve la plupart des actrices (pour le confort financier et le processus de starisation). Pourquoi y avoir mis fin ?
Le rapport que j’avais avec eux était un rapport de patrons à employée, c’était convenu entre nous et ça me convenait. Les termes étaient acceptables pour moi. Mais entre-temps la boîte a été rachetée par une plus grosse boîte qui a actuellement le monopole dans ce milieu. Je n’ai pas aimé travailler avec eux, je n’ai pas aimé leur comportement envers les équipes de tournage. Arriver à 6 heures du mat’ pour repartir à 2h, annuler des tournages à la dernière minute, faire des charrettes de licenciements, employer des stagiaires… C’est la grosse machine du capitalisme, comme dans n’importe quel milieu.
Quel est l’impact des tubes sur le porno ?
Sachant que ces tubes appartiennent majoritairement à la même multinationale, ils ont aujourd’hui le monopole de la production pornographique. Avec l’argent gagné avec le vol de contenus, ils ont racheté des studios de productions. Cela a forcément un impact sur les travailleurs de ce secteur qui devraient pouvoir avoir le choix de la compagnie pour laquelle ils acceptent pou non d’être embauchés. Surtout quand on voit la façon dont ils traitent leurs employés, et dont ils parlent des actrices. Au début des années 2000 il y’a eu tout un tas de vidéos produites aux Etats-Unis relativement violentes, comme celles de Max Hardcore, qui ressemblaient à des jeux du cirque, avec une sorte de concours de ce que l’on pouvait faire rentrer dans un maximum d’orifices. Mais à l’époque où j’ai débuté, de plus en plus de studios commençaient à tourner des vidéos plutôt orientées vers les couples, voire vers les femmes. Des actrices comme Belladonna qui se sont exprimées auprès du grand public ont permis de faire comprendre que nous étions des êtres humains, et que nous n’étions pas là contre notre consentement. Mais aujourd’hui avec ces sites, tout ce travail qui consistait à sortir le porno du ghetto est foutu. Quand on regarde les commentaires qui présentent ces vidéos en des termes humiliants, on se rend compte que cela nous présente comme des femmes disponibles, vulnérables, des cibles vivantes. Cela nous marginalise encore plus, et rend plus difficile nos rapports dans la vie en-dehors du porno.
Tu as écrit sur ton blog que, quitte à pirater ton travail, tu préférais encore que tes fans le téléchargent sur des torrents plutôt que sur des tubes comme Pornhub ou Youporn. Tu n’as pas peur de te tirer une balle dans le pied ?
Je n’ai pas dit exactement ça. Je n’encourage évidemment pas le piratage. Ce que je veux dire, c’est que certaines personnes n’ont pas le choix. Il y a par exemple des pays où la pornographie est interdite et où il est compliqué de se procurer du contenu légal. Bon pour ces gens-là, je préfère encore qu’ils aillent sur des torrents où on peut également parfois trouver du contenu politique ou subversif ou tout simplement oeuvrant pour la liberté d’expression, plutôt que sur les plateformes de streaming qui, elles, ne sont basées que sur le profit et l’exploitation.
Que penses-tu du slogan #PayForYourPorn ?
#PayForYourPorn est un bon slogan mais… C’est un slogan qui a été lancé à l’origine par un distributeur de dvd. Ok, peut-être que certaines personnes achètent encore des dvd, ce n’est pas encore complètement mort, mais il faut accepter que nous sommes passés à autre chose. Moi-même je n’ai pas de lecteur dvd chez moi ! Mon ordinateur ne lit même pas les dvd ! Donc #PayForYourPorn est un gentil petit message, mais encore faut-il savoir ce pourquoi les gens seraient éventuellement prêts à payer aujourd’hui. Il y a eu un âge d’or de la VHS, j’ai souvent entendu parler de ce « moment magique » où les cassettes se vendaient 70$. Sans déconner, 70$ !!! C’était n’importe quoi ! Dans les années 80 il paraît que l’argent tombait des arbres, mais il faut se faire une raison, c’est fini ! Aujourd’hui il faut produire un « vrai » travail, proposer quelque chose de valeur pour que les spectateurs acceptent de payer. Il faut éventuellement les sensibiliser à la dimension éthique de l’affaire, leur expliquer pourquoi cela nous coûte de l’argent. Ce que j’ai remarqué en discutant sur Twitter ou ailleurs, c’est que la plupart des gens ne se rendent absolument pas compte du montant des salaires d’acteur. Soit ils imaginent que c’est beaucoup moins, soit que c’est beaucoup plus ! Les consommateurs ne s’imaginent pas qu’il faut aussi payer le directeur de la photographie, l’assistant de production… Ils ne se rendent pas compte des coûts. Toute la difficulté est de leur faire comprendre que si tout le monde prend notre travail, le regarde, mais que personne ne paie pour ça, alors il ne restera plus que des vidéos tournées avec un téléphone en vision subjective.
Alors que peut-on faire pour combattre ça ?
C’est une vaste question. Si je trouve un jour la solution, je ne dévoilerai mon secret à personne (elle éclate de rire). J’ai créé ma propre compagnie TrenchcoatX avec Kayden Kross qui est également une ancienne contract girl (et la compagne de l’acteur Manuel Ferrara). Nous vendons des vidéos individuelles pour quelques dollars. Ce n’est pas un nouveau modèle. Je réalise des vidéos, et nous proposons également le travail d’autres personnes quand il nous semble intéressant. Je pense par exemple que le contexte d’une scène de sexe est important, regarder trois minutes de sexe pur sorti de son contexte est inintéressant pour un spectateur. Tout particulièrement pour des rapports S.M où il y a une mise en situation.
Il y a peu j’ai discuté avec Shine Louise Houston aux Feminists Porn Awards qui m’a dit qu’elle voulait se dépêcher de tourner son prochain film, parce qu’elle n’était pas certaine que le porno ne soit pas prochainement interdit en Californie (qui est depuis les années 70 le plus grand centre de production de contenus pornographiques). C’est sérieux ? Tu crois vraiment que le porno pourrait prochainement être interdit aux Etats-Unis ?
(Elle a un frisson) J’aime la pornographie, en tant qu’objet culturel. Je m’intéresse à son histoire. Quand j’entends parler d’un projet d’adaptation en comédie musicale du chef d’oeuvre porno Café Flesh, je suis aussi excitée que des fans de Star wars à l’annonce d’un nouvel épisode. J’ai investi pratiquement dix ans de ma vie dans le porno, et je ne compte pas m’arrêter. Aux Etats-Unis nous alternons des gouvernements tantôt démocrates, tantôt républicains, et ces deux partis deviennent de plus en plus extrêmes, chacun dans leur propre direction. On a parfois l’impression de revenir aux années 1930, avec des questions sur l’obscénité dans la littérature. Quand une personne dans un gouvernement veut se faire bien voir du peuple, « l’obscénité » est un des sujets qui revient le plus souvent. Avant c’était la censure de James Joyce, aujourd’hui c’est la pornographie. Quand on regarde tout ça, cela pose question. J’espère simplement que quand ces gens regarderont de près le contenu des vidéos pornographiques, ils verront qu’il n’y a pas que Pornhub et autres, et qu’ils prendront le temps de comprendre qu’il n’existe pas que cette médiocrité avec leur « salopes » par-ci et « chiennasses » par-là et tous leurs termes dégradants. Et qu’il y a autre chose au-delà de tout ça, qu’il existe des vidéos de qualités, des travaux originaux, voire artistiques et engagées. (Elle hésite, re-frissonne, puis éclate de rire) De toute façon on est baisés ! On est baisés pour au moins les dix prochaines années ! Ca va être difficile ! Moi tout ce que je veux faire c’est du chouette porno, avec des gens contents de faire ce qu’ils font !
SOURCE : blog d’Ovidie