À Amman, des cours d’autodéfense pour « donner de la force aux femmes »
La loi jordanienne protège trop peu les femmes du harcèlement, du viol ou des violences conjugales, selon une coach d’arts martiaux.
Gants de boxe aux poings, cheveux attachés ou dissimulés sous un voile, une vingtaine de jeunes filles en position de combat suivent attentivement les instructions de la « coach » Lina Khalifeh, qui a ouvert la première salle d’arts martiaux pour femmes en Jordanie. Cette ceinture noire en taekwondo, vingt fois médaille d’or avec la sélection jordanienne, a commencé par donner des cours d’autodéfense chez elle, quand une de ses amies lui confie en 2010 être battue par son frère et son père. Devant l’affluence grandissante, deux ans plus tard, Lina Khalifeh ouvre cette salle moderne d’arts martiaux exclusivement réservée aux femmes, « She Fighter », perchée au quatrième étage d’un immeuble du nord de Amman. Sa notoriété lui vaut même d’être reçue en mai dernier à la Maison-Blanche avec d’autres « leaders du changement social » au Moyen-Orient, selon les termes du président Barack Obama. « Mon but est de donner de la force à la femme et de la rendre confiante et capable de se défendre », explique à l’AFP la jeune femme de 31 ans aux cheveux courts.
« Le harcèlement sexuel est un phénomène mondial. C’est vrai qu’il n’est pas très répandu en Jordanie comme en Égypte par exemple, mais il existe, surtout dans les transports et certains quartiers de Amman », ajoute-t-elle.
Depuis l’ouverture de son centre, Lina dit avoir entraîné quelque 14 000 filles et femmes de 4 à 75 ans, dont plusieurs milliers de réfugiées syriennes et femmes de ménage étrangères, en collaboration avec des ONG. Un mouvement sans doute motivé par la dénonciation croissante des violences faites aux femmes. La loi en Jordanie protège trop peu les femmes du harcèlement, du viol ou des violences conjugales, juge-t-elle. Donc les « femmes doivent être capables de se défendre ». Dans ce pays connu pour ses crimes « d’honneur », les violeurs peuvent en effet éviter d’aller derrière les barreaux s’ils acceptent d’épouser leur victime, en vertu de l’article 308 du code pénal. La victime se trouve ainsi contrainte de se marier avec son bourreau.
« Tête haute »
L’une d’elles, Farah Mourad, 18 ans, dit avoir été agressée par un jeune homme dans la rue. « C’était en plein jour, je marchais quand il m’a attrapée par l’épaule. Je l’ai repoussé et je n’ai pas su quoi faire. Alors j’ai couru vers la maison. » Depuis, cette étudiante blonde aux yeux bleus s’est inscrite à « She Fighter ». « Je n’ai plus peur. Maintenant, je marche dans la rue la tête haute, de jour comme de nuit. Je suis capable de me défendre », se félicite-t-elle.
Le centre organise des sessions de formation de deux à trois mois, pour quatre niveaux, à raison de trois heures par semaine. Lina enseigne un mélange de taekwondo et de boxe, ainsi que d’autres techniques d’autodéfense, permettant par exemple de riposter à un étranglement ou à la saisie de cheveux. Une de ses élèves, Lujein Darwish, 16 ans, affirme avoir déjà mis en pratique les cours reçus depuis six mois en faisant fuir un agresseur : « Il faut que la femme soit forte pour pouvoir se défendre dans ce genre de cas, surtout quand on est seule dans la rue. » Contrairement aux autres, Rouba Massaada, 17 ans, explique sa participation à « She Fighter » uniquement pour le sport. « Je suis des cours de taekwondo depuis mon enfance parce que j’aime ce sport », explique-t-elle. « Mais bien sûr, si quelqu’un m’ennuie ou me parle de travers, ça va faire mal », lance-t-elle avec le sourire.
SOURCE : L’Orient le Jour