L’année «queer»: plus qu’un débat de mots
Le lancement de la semaine Fierté Montréal a donné lieu à une énième controverse sur le mot « queer ». Beaucoup plus qu’un débat sémantique, le vocabulaire de la diversité sexuelle démontre des changements générationnels et une vision de la société.
Le porte-parole de l’organisme Fierté Montréal a présenté ses excuses mardi, après avoir exprimé un « malaise » avec le mot « queer » sur les ondes de RDI. Dans cette entrevue, Jasmin Roy avait déclaré, avant de se distancier du mot « queer », que « la nouvelle génération a probablement besoin de s’identifier à sa façon ». Le mot sur toutes les lèvres depuis que l’artiste Coeur de pirate s’en est réclamé a refait du bruit.
« C’est un débat qui date d’un quart de siècle », remet en perspective Brian Lewis, professeur d’histoire à l’Université McGill. Son utilisation est très controversée depuis le début, note-t-il, à cause de la connotation péjorative de « bizarre », « étrange » dans son sens originel.
Dans les années 1980, des activistes cherchent à se réapproprier le terme, pour se débarrasser de la haine avec laquelle il était prononcé. C’est une jeune génération plus radicale qui se met à trouver les étiquettes « gais » et « lesbiennes » trop restrictives. La marche organisée en mars 1990 à New York par l’organisation Queer Nation, alors surtout intégrée par des militants contre le sida, fait office de repère fondateur. « Nous sommes là ! Nous sommes queer ! Habituez-vous ! » y scandait-on.
« Parallèlement, on voit se développer les études queer dans les universités », décrit celui qui est également l’auteur du livre British Queer History. Il cite l’intellectuelle Judith Butler, théoricienne pionnière qui insistait sur la séparation du sexe et du genre.
Dans cette lancée, les petites cases de définition du sexe et de son orientation sexuelle sortent du binaire. Elles explosent tantôt en un spectre, tantôt en des discours délibérément ambigus, mais toujours dans une tentative de déconstruction des catégories sociales.
Marginalisation
Un concept de « fluidité » « très utile » pour la recherche, selon M. Lewis. Il reste que « les générations précédentes ayant lutté pour leurs droits ne l’ont jamais adopté ». Parmi les objections fréquentes, celle de la marginalisation des femmes, gommée par un grand terme générique.
Le « queer » dépasse en outre les questions linguistiques : ses théories considèrent que le sexe n’est pas un fait génétique « naturel », mais qu’il est plutôt construit socialement. « Ça remet en question aussi les structures sexuelles de la société, les identités politiques, en avançant qu’il n’y a pas une majorité hétérosexuelle, ou des minorités homosexuelles. Il défie la sexualité de tout le monde et peut être utilisé pour étudier d’autres aspects de la société », précise Brian Lewis.
L’acronyme LGBT de base doit quant à lui sans cesse être bonifié pour s’assurer de rester exhaustif, « ce qui devient vite lourd », commente le professeur. Les études queer qui se sont répandues dans les universités ont contribué à rendre le mot plus courant, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’institution. Et 2016 se dessine comme une année charnière en la matière.
SOURCE : Le Devoir