Patricia Ménissier étudie l’évolution de la figure maternelle du XVIIIe siècle aux années 70 et l’émancipation féminine.
PMA, GPA, mère porteuse, mère de substitution, avoir deux mamans… Désormais, identifier la mère du nouveau-né ne va plus de soi – exit la formule mater semper certa est («la mère est toujours certaine»). A chaque législation nationale sa définition : autorisées ici, des maternités sont déclarées illicites là… Si aucune ne s’impose, une question demeure : qu’est-ce qu’être mère ? «Mais de quand date-t-elle ?» s’interroge cette étude qui en appelle à la littérature, l’histoire, l’art pour remonter le temps. On voudrait entendre les mères, mais leur parole autonome est inaudible, exceptionnelle, ou tardive car fruit d’une meilleure instruction et d’une émancipation féminines. Aussi, l’«être mère» se devine-t-il d’abord sous la plume des écrivains ; s’impose, à chaque époque, un «modèle maternel idéal» à partir duquel se déclinent les figures de «mères contraintes, mères sublimées, mères libérées». Si ces mères de fiction peuplent l’imaginaire de tous, elles fixent un idéal à atteindre par toutes, d’autant plus que le XIXe siècle le baptise devoir envers la société et ses enfants. Ainsi parlait ce siècle rousseauiste, oublieux qu’avant lui être femme ne se confondait pas avec être mère : le XVIIIe siècle posait une «définition a minima» de la mère : mettre au monde n’implique pas alors de se charger des soins et de l’éducation d’un enfant, surtout dans les couches les plus aisées où la sociabilité contrarie «la coexistence d’une vie sociale et d’une vie maternelle». Le maternage revient aux nourrices auxquelles recourent tous les milieux. Cette «mise en scène de l’abandon», qui ne trouble personne, ne résiste pas à la «promotion des mères» de l’époque contemporaine : difficile dans ce contexte de se vivre femme sans être mère ; le désarroi des femmes stériles et la marginalisation des lesbiennes en témoignent. «Un enfant quand je veux», clamait le MLF, mais aussi «si je veux». La liberté des femmes passe depuis la décennie 70 par la disjonction entre être femme et être mère. Désormais, les unes peuvent sans honte et sans renier leur féminité affirmer ne pas vouloir être mère, les autres revendiquer une aide à la procréation, non pour être de «vraies femmes», mais par désir d’enfant.
Patricia Ménissier, Être mère, XVIIIe-XXIe siècle CNRS Editions, 208 pp., 20 €.