Le féminisme pro-sexe reste méconnu et minoritaire. Il s’oppose à la fois à l’hyper-sexualité marchande et au retour à l’ordre moral. La réflexion sur la culture porno anime ce courant intellectuel et artistique. Le porno féministe prend en compte les plaisirs, les désirs et les fantasmes des femmes.
La pornographie reste pourtant dominée par les hommes. C’est leur regard qui est privilégié. Néanmoins, les femmes s’emparent du porno avec le mouvement de libération sexuelle des années 1968. Les féministes luttent pour l’extension du rôle et du droit des femmes dans la société. Mais elles se divisent au sujet du porno. Pour certaines, cette culture incarne la violence de la domination masculine. Pour d’autres féministes, le porno exprime une forme de libération sexuelle contre l’ordre moral et les valeurs patriarcales.
L’industrie du porno devient gratuite et en libre accès. Elle devient toujours plus normalisée, avec un marché segmenté. Des réalisatrices féministes développent alors un porno alternatif et de qualité, en marge de cette industrie. Contre la pornographie mainstream, ces films s’attaquent aux normes sexuelles qui dominent l’industrie du X. Le journaliste David Courbet présente ces réflexions dans le livre Féminismes et pornographie.
Féminisme et libération sexuelle
Le mouvement féministe permet aux femmes de ne plus se conformer au modèle de mères et d’épouses. Elles peuvent affirmer leur liberté et leur autonomie, notamment dans la sexualité. Les luttes des femmes se développent. La libération sexuelle doit permettre aux femmes de jouir d’une sexualité épanouie. Des contraintes et des interdits conditionnent des rôles et genres sexuels. C’est l’homme qui impose sa volonté. Les femmes doivent lutter pour ne plus être considérées comme les simples objets de la jouissance masculine. Elles prétendent à jouir d’une sexualité libre et autonome.
Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir influence le féminisme de la nouvelle vague des années 1960. « Les femmes cherchent alors à se défaire de l’image et du rôle insinués par le cadre institutionnel et sociétal dans lequel elles vivent et que décrit la romancière française », observe David Courbet. L’émancipation des femmes passe par l’abolition de ce cadre rigide. Ce sont les luttes des femmes qui leur ont permis d’obtenir davantage de droits et de libertés.
Ce nouveau féminisme s’oppose au patriarcat et au capitalisme. Contrairement aux réformistes, ces nouvelles féministes ne croient pas possible l’aménagement de l’ordre existant. « Dès lors que l’égalité entre les sexes ne peut s’obtenir à l’intérieur du système patriarcal, son objectif sera de le mettre à bas afin d’instaurer de nouveaux rapports entre les sexes basé sur de nouvelles valeurs », décrit David Courbet. Les féministes radicales remettent en cause le rôle supposé naturel des femmes pour dénoncer une oppression politique. La maîtrise de leur corps et la révolution sexuelle doivent alors permettre d’abolir la domination masculine dans le domaine de la sexualité. Elles veulent pouvoir utiliser l’avortement et la contraception selon leurs propres désirs.
Mais le mouvement féministe se divise. Certaines refusent de séparer le plaisir sexuel du sentiment amoureux. Ces féministes abolitionnistes dénoncent notamment la prostitution à travers un regard moraliste. Des femmes s’opposent à ce féminisme bourgeois. Le féminisme queer remet en cause les identités de genre et la norme de l’hétérosexualité. Ce courant reste également divers. Des féministes s’orientent vers une affirmation identitaire, de race ou de genre. D’autres s’attachent à revaloriser la sexualité.
Féminisme pro-sexe
Les débats qui traversent le féminisme concernent notamment la pornographie. Catherine MacKinnon et Andrea Dworkin dénoncent l’activité sexuelle, par nature source d’oppression et de victimisation des femmes. Elles insistent sur les maltraitances, les violences et la culture du viol. Même si le discours abolitionniste domine en France, de nombreuses féministes s’opposent à cette défense des valeurs conservatrices et puritaines. Elles considèrent que les femmes peuvent également revendiquer une sexualité libre.
Les féministes pro-sexe insistent davantage sur la répression sexuelle que sur les violences faites aux femmes. L’enjeu central devient la lutte contre la répression du désir féminin. Le porno doit alors briser le conformisme du « vanilla sex », avec ses relations sexuelles standardisées. « La pornographie a ceci de subversif qu’elle triture les idées traditionnelles qui voudraient que les femmes n’aiment pas le sexe en règle générale et ne l’apprécient que dans un contexte de sentiments réciproques », souligne David Courbet. Les femmes peuvent aussi prendre du plaisir sans être amoureuses. Le plaisir sexuel est considéré comme un élément sain et bénéfique à l’épanouissement humain. Les femmes peuvent également prétendre à une sexualité débridée.
Le féminisme pro-sexe gagne en influence. Le porno et les minorités sexuelles semblent davantage acceptés. Mais le conservatisme perdure en France, et resurgit notamment au moment du mariage pour tous. Les femmes qui aiment le sexe sont toujours considérées comme des « salopes ». Sarkozy fustige Mai 68 pour défendre les valeurs conservatrices du travail mais aussi de la famille. Les publicités continuent d’enfermer les femmes dans un rôle patriarcal traditionnel.
Le porno classique reste mécanique et stéréotypé. La sexualité reste centrée sur le plaisir masculin. Les femmes jouissent après quelques secondes de pénétration tandis que les gros plans gynécologiques sont privilégiés. Le porno féministe casse ces codes. La sensualité et les caresses deviennent importantes. Les femmes ne rentrent pas toutes dans les normes esthétiques dominantes. Annie Sprinkle devient une pionnière de ce porno féministe. « Les femmes doivent être fières d’être des « salopes » dans la mesure où il n’y a rien de choquant à être une femme dévergondée qui aime le sexe », décrit David Courbet. En France, Virginie Despentes incarne ce féminisme pro-sexe, avec Baise moi qui n’est pas ouvertement pornographique. Ovidie reste la réalisatrice la plus connue.
Le porno féministe se diffuse davantage. Des festivals et des articles de presse permettent d’attirer la curiosité. La période actuelle peut favoriser le développement d’un autre porno. « Même si la France a du retard vis-à-vis de ses voisins européens, les sociétés libérales contemporaines permettent aux femmes d’affirmer ouvertement leur attrait pour le sexe et sa représentation », observe David Courbet. Les femmes peuvent davantage exprimer leurs désirs et avouent davantage regarder du porno. Mais cette libération sexuelle ne doit pas sombrer dans le culte de la performance.
Nouvelle libération sexuelle
Le livre de David Courbet permet de présenter un féminisme pro-sexe encore trop méconnu en France. Le puritanisme ne s’affiche plus ouvertement. Ce qui provoque d’importants débats au sein du mouvement féministe.
Le porno devient un outil pour le féminisme pro-sexe. Les femmes peuvent alors exprimer leurs désirs et sortir du cadre patriarcal. Les femmes ne se réduisent pas à des objets sexuels, mais deviennent avant tout des sujets de désir et de plaisir. Le féminisme pro-sexe reste également vigilant face à la marchandisation de la sexualité. Le culte de la performance reste banni. C’est au contraire une sexualité ludique et sensuelle qui est valorisée.
Le livre de David Courbet propose un regard très optimiste sur le développement du porno féministe. Il estime que l’ordre moral s’affaiblit et que les femmes expriment davantage leurs désirs. Ce jugement mérite malgré tout d’être nuancé. La sexualité reste réprimée malgré la diffusion des discours et des images porno. La sexualité reste fortement attachée au sentiment amoureux, surtout pour les femmes. Les études sur le plaisir féminin et la méconnaissance du clitoris révèlent également une répression sexuelle qui perdure. Ensuite, la sexualité reste traversée par des normes et des injonctions, loin d’apparaître comme un simple plaisir.
Le porno féministe contribue à faire évoluer les mentalités et à modifier le regard sur la sexualité. Mais il ne faut pas non plus surestimer sa force. Le porno féministe reste confidentiel et encore très marginal, malgré des figures médiatiques comme Ovidie ou Virginie Despentes. Surtout, le porno féministe conserve le potentiel et les limites des contre-cultures. Il permet de diffuser un imaginaire alternatif, mais reste peu efficace pour transformer la société. Ce sont avant tout les luttes des femmes qui doivent permettre d’abolir le patriarcat pour exprimer librement leurs désirs.
David Courbet, Féminismes et pornographie, La Musardine, 2017