Deux textes publiés sous le titre « Des Femmes autonomes » dans Alternatives, n° 5, Désobéissance civile et luttes autonomes, 2ème trimestre 1978, p. 116-117 :
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Nous reconnaissions dans les mains de la RAF les mitraillettes que nous avions quotidiennement dans nos têtes.
Baader, Gudrun, Raspe, lâchement assassinés à Stammheim.
Des féministes allemandes accusées de terrorisme, parce que « féministes » (« sont terroristes, les femmes ouvertement ou secrètement féministes » Der Spiegel). L’Allemagne de la délation institutionnalisée au nom de la raison d’Etat. L’angoisse après l’horreur, la rage après l’angoisse.
Il fallait faire quelque chose.
Nous voulions faire quelque chose.
Nous nous sommes rencontrées.
– Une affiche cri
– L’occupation de France-soir
– Un groupe de femmes autonomes comme tant d’autres.
Gudrun Ensslin : « Elle était coupable d’hurler pendant des heures comme une louve » France-Soir.
Gudrun Ensslin : « L’égérie de la Bande à Baader, Vedette du porno » Détective.
Femmes terroristes, hystériques, monstrueuses, oedipiennes (France-Soir).
La violence de l’Etat qui dénature et extermine les militantes (ts) de la RAF au fond de quatre cellules, n’est pas différente de la violence quotidienne que nous subissons et qui peut aller jusqu’à notre négation complète, comme dans le viol.
C’est dans la collusion entre la violence de la RAF qui nous renvoyait à notre propre désir de violence, à la violence de l’Etat et, de son ordre économique, social et moral que nous avons reconnu notre fureur commune.
Fureur d’accoucher du monstrueux, du mutant, de tout ce qui pourrait faire peur à l’Etat, l’ordre établi, des flics, des juges, des petits chefs, des violeurs, des papas vérité, des médecins « j’m’occupe de tout », de « l’amour » des militants pour les femmes libérées, de la terreur des proxénètes, des patrons pour qui le droit de cuissage s’exerce toujours.
Volonté de prendre notre espace politique en tant que nous toute entière et trouver des pratiques de résistance quotidienne. Notre irrationalité, notre incohérence, notre autonomie sont le mouvement de notre dépassement, de notre subversion, de notre insoumission. Nous savons que la violence traverse notre révolte et nous la laisserons éclater dans nos pratiques afin que la dimension de sa force soit à la mesure de nos intensités. Pour nous qui ne sommes pas des militantes, pour qui la lutte se situe en dehors des organisations, le mouvement autonome a représenté le lieu où la rupture entre la vie et la politique peut trouver son dépassement ; mais même dans ce lieu, quand nous le rencontrons, nous devons nous battre pour notre autonomie.
Enlevons nos masques de peur et laissons s’exprimer nos affrontements, nos dispersions, elles seront le lieu de notre subversion. Nous avons à jamais banni de nos têtes l’expression « en tant que femme » car nous ne saurions vivre en tant qu’autre chose. Des femmes unes et multiples, différentes et semblables revendiquant un discours et une pratique politique de femmes agissant sur l’avortement, la violence, l’enfermement, l’Europe des polices, le viol, la répression…
Des femmes sans pères, ni mères, des femmes qui luttent parce qu’elles veulent vivre.
Des femmes autonomes
Extraits de Libération (décembre 1977)
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Ce n’est pas à cause du sexisme, nous, on en a rien à foutre du sexisme, si nous nous sommes séparées ce n’est pas pour parler de ça, mais pour penser et agir sur la violence de tout ce qui nous traverse. On voulait aborder tout ce qui a été mis de côté par le mouvement des femmes : notre violence et une autre approche de « la » politique. Le mouvement des femmes a laissé aux mecs la parole politique, en se tenant enfermé dans les discours sur l’avortement, etc. même si on a encore du mal à parler d’autre chose entre nous, il faut revenir à une analyse politique entre femmes. Voir ce qui nous traverse, dans notre sensibilité de femme. Quand on a commencé à faire des groupes de travail sur le fascisme, j’avais remarqué que l’analyse sur l
e fascisme d’Etat était la seule préoccupation des mecs, moi j’étais la seule femme dans le groupe. J’avais envie au contraire de parler des mécanismes du fascisme dans la vie quotidienne, les formes de comportements de chacun dans la vie, chaque jour. Au niveau des groupes mixtes, il ne s’est rien passé. C’est avec d’autres femmes qu’on a réussi à aborder ces analyses-là. On a fait une affiche où on a voulu montrer toutes les formes de fascisme dans la vie, et à un niveau plus abstrait. On ne peut pas nier que c’est grâce à notre passage dans les groupes de femmes qu’on a réussi à se reconnaître, se retrouver…
La violence des femmes dans les groupes mixtes, elle est toujours qualifiée d’hystérie. Dans les groupes où il n’y a que des femmes, la violence est violente, elles n’est plus hystérie. Il faut donc se retrouver entre femmes pour pratiquer notre violence. C’est pour cela qu’on est allé occuper France-Soir au moment des assassinats en Allemagne. Il aurait fallu que des tas d’actions de ce genre se multiplient pour que ça ait un impact, plein de petites actions. Ne plus agir en fonction d’un mouvement de masse, car cela ne correspond plus à notre réalité. C’est vrai que c’est dans l’autonomie que l’on retrouve ces désirs de pratique.
Avec Stammheim, la rage nous a prises, il fallait s’affronter à quelque chose, donc se démarquer des pratiques d’un certain nombre de femmes. Se radicaliser.
Les formes de résistances sociales changent des hommes aux femmes. La fauche, par exemple, a toujours été une forme de résistance que toutes les femmes pratiquent, tous les jours, quelle que soit leur appartenance sociale. On voudrait donc collectiviser la fauche, en faire une forme de lutte contre tous les désirs minables qu’on nous impose partout. Il ne faut plus que les femmes restent isolées dans la fauche, et surtout il faut intervenir collectivement dans les tribunaux. Créer un état de résistance permanent. Dans notre groupe, on s’interroge sur toutes les formes de résistance vécues par les femmes. On fait un travail là-dessus en ce moment. Autour de l’absentéisme ou les autres formes de refus du travail, par exemple… Pour nous, les femmes, les pédés et les immigrés ont- été les premiers à poser le problème de l’autonomie. Même s’il y a beaucoup de femmes autonomes qui sont contre les groupes femmes, on ne peut pas oublier ça.
Propos recueillis par M.O. DELACOUR