INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Occupation de la Librairie Des femmes (1976)

Le 12 octobre 1976, un groupe de militantes du MLF occupent la librairie Des femmes à Paris (la librairie d’Antoinette Fouque et de la « tendance » Psychepo du MLF).

Elles mènent cette action en soutien à Barbara, licenciée en 1976 dans des conditions douteuses par la librairie. Elle assignera aux prud’hommes ses employeuses. Ces dernières répliquent en attaquant pour diffamation des militantes qui avaient réalisé une vidéo sur l’affaire. Le texte de la vidéo est alors reproduit sur une affiche dénonçant une édition « contre des femmes » ; elle est signée par… 343 militantes !

L’article reproduit ci-dessous, paru dans le journal Pétroleuses, revient sur cet épisode.

 

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L’occupation de la Librairie des femmes

Le mouvement de libération des femmes a encore peu les moyens d’une expression collective. Il existe cependant une librairie des femmes pour les femmes, par les femmes, gérée collectivement par un groupe du mouvement de libération.

Récemment cette librairie a été occupée par d’autres femmes du mouvement, et on a pu lire cette affiche sur ces murs.

« Des femmes ont été violées sur leur lieu de travail par des violeurs féministes ». Que signifie cette phrase ?

Pourquoi les employées de la librairie l’ont-elles écrites ?

Existe-t-il réellement des femmes qui s’attaquent à la librairie pour rien, par jalousie, par goût de la destruction, de la violence ?

Les occupantes de la librairie n’ont-elles aucune raison valable pour occuper ?

L’article qui suit est un exposé rapide de motifs qui, avec le « licenciement » de Barbara ont été la cause de l’occupation.

Occupation qualifiée de viol féministe par les occupées qui non seulement refusent systématiquement et partout de s’interroger sur ce qu’on leur reproche mais qui, en plus pour éviter d’en discuter, renversent les rôles et transforment les victimes en bourreaux, Barbara devient une « violeuse-féministe » parce qu’elle exige entre autres que son salaire lui soit versé régulièrement, donc…

Que recouvre l’occupation de la librairie des femmes ?

Peut-on être à la fois : chef politique et patron et amante et psychanalyste des mêmes femmes.

1)      Le licenciement de Barbara a provoqué l’occupation de la librairie des femmes. Dans une telle librairie où on proclame : …collectiviser l’argent, le redistribuer sans donner aucun pouvoir nominal ou individuel… n’avoir aucune spécialiste et permettre ainsi de faire sauter la division du travail et la hiérarchie des fonctions.

2)      Dans une telle librairie qualifiée par ses propres employées de : « zone libérée dans Paris ».

3)      Comment un enchaînement pareil a-t-il pu se produire :

– une promesse de recrutement non tenu

– un licenciement

–  une occupation par d’autres femmes participant à la libération des femmes ?

N’est-il donc pas si pur cet îlot merveilleux ? Aurait-il quelques failles ? Qu’en disent les occupantes ? Elles disent : pousser au suicide une ancienne prostituée mère de deux enfants c’est l’attitude d’un patron. Refuser de placer la discussion sur le plan politique en renvoyant aux occupantes un discours psychanalytique, c’est l’attitude de pseudo-psychanaliste. Elles disent c’est ce qui devait résulter d’un groupe qui accepte d’être dirigé par une femme tout à la fois : leur patronne, leur psychanalyste, leur chef politique et leur amante.

Patronne : elle gère le fric apporté par une milliardaire, avec lequel elle ne paye même pas ses employées ;

Psychanalyste : elle vit de façon inhérente à la relation analytique, une relation hiérarchisée dominant-dominée, supérieur-inférieur, cimenté par l’amour. Elle est de plus payée par ses employées et informée par elles ;

Chef politique : elle se fait obéir par une quarantaine de femmes qui sont sa caution révolutionnaire ;

Amante : elle se choisit au fil des jours des files de femmes.

Questions

– Les renseignements recueillis sur le divan ne servent-ils pas la patronne, le chef politique et l’amante ? Peut-on prétendre dans ce cas à la neutralité analytique ?

– Le patron n’exploitera-t-il pas plus facilement ses employées, le chef politique ne se fera-t-il pas mieux obéir si l’amour intervient dans leur relation. Attention pour la garder à ne pas lui déplaire.

– Le cumul de toutes ces fonctions par une seule personne ne décuple-t-il pas l’oppression des femmes qui lui sont subordonnées, n’est-on pas en présence d’une méthode raffinée d’asservissement des femmes ?

Analysées, baisées, exploitées, dominées, ces femmes se font passer aussi, grâce à la librairie, grâce à l’argent, pour les porte-parole de la libération des femmes.

Anny

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Anny, « L’occupation de la Librairie des femmes », Pétroleuses, n°7, décembre 1976, p. 34.

 

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POUR ALLER + LOIN

 

Sur cette affaire et le groupe Psychepo voir notamment, Françoise Picq, Libération des femmes, les années mouvement, Paris, Seuil, 1993, p. 249-263, ou la revue Prochoix, n° 46, décembre 2008.

On en profite aussi pour renvoyer vers notre article : « Sur le mouvement de libération des femmes des années 1970. Notes et pistes », Incendo, hors-série, octobre 2012, p. 93-145.

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