INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Non-mixité et lutte armée, le torchon brule

Note de lecture critique sur

En Catimini… Histoire et Communiqués des Rote Zora

 

 

 

 

 

 

Il y a quelque temps, un livre a fait couler beaucoup de salive et un peu d’encre : En Catimini… Histoire et Communiqués des Rote Zora 1. Y étaient proposées une introduction et une série de textes et communiqués des Rote Zora, ainsi qu’une chronologie.

 

 

 

 

Pour faire (très) bref, les Rote Zora étaient un groupe de lutte armée révolutionnaire, anti-impérialiste et féministe*, actif en Allemagne de l’Ouest de 1975 à 1995. Elles étaient liées aux Cellules révolutionnaires (Revolutionäre Zellen ou RZ), autre groupe de lutte armée ouest-allemand, dont elles sont issues. En1975, dans le cadre d’une campagne pour l’avortement, une bombe est posée devant le Tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe. L’action est revendiquée par « des femmes des Cellules révolutionnaires ». En 1977, celles-ci se constituent en groupe autonome non mixte et se baptisent « Rote Zora » 2. Elles revendiquent une longue série d’actions (incendiaires entre autres) en faveur de l’avortement, en soutien à des femmes* en grève ou à des révoltés d’autres pays, contre le travail dans les taules et en psychiatrie (avec les RZ), etc. Malgré la répression, elles ont pu agir pendant vingt ans sans (presque) se faire attraper 3. Le groupe Rote Zora signe sa dernière action en 1995.

Les actions incendiaires ou explosives ont beau être leur fait le plus visible, elles affirment ne pas les dissocier d’actions moins « explosives ». La réflexion théorique et l’autocritique, qui peuvent paraître parfois obscures 4, ont une place importante. Leur analyse de la société de classes inclut le sexisme* et le racisme comme fondements et conditions sine qua non du capitalisme*, que celui-ci reproduit sans cesse.

Les questions soulévées par les Rote Zora sont multiples : activisme, stratégies, lutte armée, formes d’organisation, avant-gardisme qui en découle, politiques répressives (les auteurs du livre tentent d’ailleurs un parallèle peu convaincant entre le contexte de la RFA de l’époque et les dispositifs à l’œuvre aujourd’hui), etc. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le lien qu’elles ont tenté d’établir entre genres* et classes*.

Bien des choses ont déjà été dites sur ce livre, mais l’envie de rajouter notre grain de sel s’est fait sentir. Les groupes non mixtes sont alors monnaie courante en RFA, où il y a un fort mouvement féministe. Bien que les femmes aient été très présentes dans les organisations de luttes armée (que l’on pense à la RAF), les Rote Zora auraient été le seul groupe non mixte 5. On appréciera leur critique des mouvements révolutionnaires qui prennent bien peu en compte l’oppression genrée 6, et du mouvement féministe qui a progressivement donné trop d’importance au « personnel » et aux cas individuels, au détriment d’une analyse et d’une attaque des structures. Mais les liens qu’elles tissent entre genres et classes ne nous paraissent pas entièrement justes.

Les Rote Zora parlent davantage d’impérialisme que de capitalisme. L’anti-impérialisme découle d’une analyse très particulière de la société, des rapports et des luttes de classes 7. Terme utilisé par Rosa Luxemburg et Lénine pour qualifier les rapports inégaux entre pays (à l’époque des grands empires coloniaux), l’impérialisme était un stade du capitalisme où les pays les plus puissants développaient une politique agressive de conquête et de contrôle du monde. Outre la mainmise sur les matières premières, cela permettait d’ouvrir de nouveaux marchés pour écouler les marchandises et l’exploitation d’une main-d’œuvre à moindre coût. La lutte anti-impérialiste (ou tiers-mondiste) est particulièrement en vogue à partir des années 1960 et dans les années 1970 dans l’extrême gauche occidentale, notamment chez les maoïstes. De la distinction de Lénine entre nations opprimées et Etats oppresseurs, on passe alors aux qualificatifs de « nations prolétaires » et de « nations bourgeoises » (un nouvel antagonisme). Le discours anti-impérialiste avance que les « nations bourgeoises » maintiennent leur niveau de vie en extrayant la plus-value des « nations prolétaires », affirmant par là que les prolos des pays riches bénéficient de cette « surexploitation » et sont moins exploités que d’autres. Doit-on penser que les hommes* blancs sont sous-exploités ? Qui est le plus exploité de la femme de ménage immigrée dans le seizième arrondissement ou de l’ouvrier du BTP mingong, de l’ouvrier spécialisé qui fait les 3/8 à Sochaux ou de l’employée d’un call center à Bombay, etc. ? Contentons-nous de dire que l’exploitation est difficilement quantifiable ou réductible au nombre d’heures, aux salaires ou aux conditions de travail, et qu’on souhaite simplement l’éradiquer, sous toutes ses formes.

Les années 1970 sont marquées par les luttes de libération nationale, et les soutenir inconditionnellement est alors pour de nombreux gauchistes occidentaux une priorité. Le capitalisme subsistant grâce à cet impérialisme, la lutte des prolos du Tiers Monde doit tout faire s’écrouler… 8 Cela a conduit à la création de nouveaux Etats et de nouvelles bourgeoisies, aujourd’hui parfaitement intégrés au capitalisme international. La restructuration du capital au niveau mondial a rendu cette vision, déjà critiquée dans les années 1970, complètement caduque.

La théorie anti-impérialiste est ici appliquée au sexisme : les femmes (en particulier les femmes au foyer), comme les prolétaires* du Tiers Monde, sont « surexploitées », ce qui permet au système de se maintenir et de continuer à se développer. Pour les Rote Zora (idée développée dans le texte « Chaque cœur est une bombe à retardement »), le capital s’est mis en place et a prospéré en utilisant les divisions préexistantes du racisme et du sexisme. Elles sont perçues comme le « fondement économique de la surexploitation capitaliste », et permettent aussi de diviser les prolétaires et d’accroître leur soumission.

Les auteures de « Chaque cœur… » écrivent par exemple : « La division sexuée et raciste du travail […] a fixé des rapports de production dans lesquels planter de la canne à sucre ou du riz n’est pas un travail de blanc, les tâches ménagères ne sont pas un travail d’homme ». Or couper la canne à sucre était, à l’origine, un travail de pauvres ou d’esclaves, quelle que fût la couleur de leur peau. Il s’est avéré par la suite qu’il était plus rentable d’en faire un travail d’esclaves noirs 9. Les divisions et discriminations racistes se sont développées avec le capitalisme. Quant aux divisions sexuées, elles sont effectivement antérieures au capital, mais celui-ci en a largement redéfini le mode opératoire. Les tâches ménagères – et la notion même de femme au foyer  telles que nous les connaissons, si elles sont bien le fardeau des femmes, ne sont progressivement apparues qu’avec l’industrialisation 10. La sexuation* est en effet nécessaire au capital, mais il ne cesse de l’adapter en fonction de l’évolution de ses besoins.

Les Rote Zora écrivent que « le sexisme et le racisme ne sont pas une fausse représentation et une vue de l’esprit qu’il serait possible de changer par l’éducation et la bonne volonté. Ce sont les rapports économiques qui produisent et reproduisent sans cesse sexisme et racisme. Ils sont tout simplement indispensables pour que l’impérialisme puisse fonctionner ». Elles concluent qu’on ne peut attaquer le capitalisme sans s’en prendre au sexisme et au racisme, et qu’attaquer ces deux derniers points, c’est faire tomber les fondations du capitalisme, donc le système en entier.

Les définir ainsi comme les cibles privilégiées est discutable. Les rapports entre hommes et femmes n’ont de sens aujourd’hui que dans ce mode de production (ils ne sont effectivement pas une vue de l’esprit, et sont « produits et reproduits » par « les rapports économiques »). Et c’est à partir de leur définition et de leurs mécanismes actuels que nous nous y opposons. Les attaquer isolément n’entraînera pas la fin de ce monde. Il ne s’agit pas de trouver le gros pilier caché sur lequel reposerait tout le système, et dont la chute serait fatale.

Pour les Rote Zora, le capital aurait besoin de faire perdurer des formes archaïques de production comme le travail domestique, qui n’est pas directement rémunéré. Pour étayer leur propos, elles citent Rosa Luxemburg : « Le fait déterminant est que la plus-value ne peut être réalisée ni par les ouvriers, ni par les capitalistes, mais par les couches sociales qui produisent de manière non capitaliste ». Citation tirée de L’Accumulation du capital 11,où elle écrit : « Ce qui est certain, c’est que la plus-value ne peut être réalisée ni par les salariés, ni par les capitalistes, mais seulement par des couches sociales ou des sociétés à mode de production précapitaliste ». Elle évoque plus loin « des couches sociales ou […] des pays non capitalistes ». En ce début du XXe siècle (1912), Rosa Luxemburg parle de la nécessité pour les pays capitalistes de vendre leur surplus de production dans des pays qui ne sont pas encore capitalistes, ou de leur acheter des matières premières, la fameuse « recherche de débouchés » (la situation est bien plus complexe aujourd’hui). La manière dont cette citation est introduite et présentée par les Rote Zora (qui plus est un chouilla tronquée), laisse croire que Rosa Luxemburg parle des paysans des pays non capitalistes et des femmes au foyer… ce qui n’est pas le cas. Le travail domestique n’est pas un mode de production archaïque, préexistant au capitalisme. Le foyer n’est pas un pays du Tiers Monde. Il semble que les Rote Zora aient ici tenté d’appuyer leur démonstration en y convoquant, de manière forcée, l’autorité d’une grande théoricienne marxiste.

On notera toutefois, quand on parle de travail de la reproduction (c’est-à-dire ici du travail domestique), que le mot « travail » ne fait pas référence au travail salarié. Si l’on entendait par « non capitaliste » toute relation de travail qui ne serait pas le salariat, alors oui, le capitalisme a besoin de « rapports sociaux non capitalistes ».

Le travail domestique est tout bénef pour le capital, qui utilise « la famille jusqu’au sein des sociétés les plus avancées comme lieu de reproduction de cet ingrédient social dont il s’est nourri jusqu’à présent : le travailleur libre 12 ». Tout système a besoin pour se maintenir et se développer de contrôler les naissances et l’élevage des enfants (pour le renouvellement de la main-d’œuvre, mais aussi celui des dirigeants et de leurs chiens de garde). « Dans les milieux populaires, la famille se perpétue selon le modèle éthique et dans le cadre idéologique et juridique imposé par la classe dominante, car elle reste l’institution au sein de laquelle naissent, se nourrissent et s’éduquent les enfants grâce au travail largement bénévole des parents et surtout de la mère. Elle demeure le lieu de la production et de la reproduction de la force de travail* 13. » Bien que certaines tâches aient été socialisées (crèches, garderies, écoles, etc.), la plupart restent à la charge des femmes (y compris lorsque ces tâches sont rémunérées). Non seulement les femmes au sein de la famille ont la charge de la reproduction de la force de travail, mais encore leur salarisation n’en est que plus fructueuse pour les patrons (temps partiel imposé par les contraintes de la maternité, etc.).

S’agit-il d’exploitation (ou de surexploitation) ? Pour aller vite, le produit du travail domestique n’a pas de valeur d’échange tant qu’il n’est pas mis sur le marché (le ménage ou l’élevage des enfants hors famille devient un travail salarié). Ce qui ne veut pas dire qu’il n’entre pas en compte dans l’économie. Il a un intérêt pour le patron (et bien sûr pour le mari). Mais il prend une autre place que le salariat dans le mode de production, tout autant nécessaire mais différente. D’autre part, le paiement de ces tâches est compris dans le salaire, qui n’est pas la rétribution du travail accompli, mais la somme nécessaire à la reproduction de la force de travail de la famille. Quant au produit du travail domestique, la force de travail, il ne saurait être vendu que par celui qui la détient, et acheté uniquement par celui qui détient les moyens de production 14.

Le prolétaire est aussi défini par le fait qu’il est prétendu « libre », en opposition à l’esclave ; c’est-à-dire que, par le salaire, le patron est déchargé de sa reproduction. Les prolétaires peuvent généralement se soustraire à l’autorité du patron, au moins quelques heures par jour. Il n’en va pas de même pour les femmes dans le couple. Elles se doivent d’être disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour répondre aux exigences de l’enfant, et dans une moindre mesure à celles du mari (certaines considèrent que le lieu de travail leur permet de s’évader momentanément de la sphère familiale). Si les cinquante dernières années ont été marquées par des évolutions, le problème reste fondamentalement le même.

Par ailleurs, on croit parfois comprendre dans le texte que « the Domination » is quelque chose d’essentiellement (dans les deux sens du terme) masculin. Les Rote Zora prétendent que le capitalisme est une production masculine : « Le rapport à la nature* de non-réciprocité et d’exploitation, selon lequel les femmes puis d’autres classes et peuples furent ramenés à une fonction naturelle, est la caractéristique de toutes les formes de production masculines, y compris le capitalisme ». Le Pouvoir est-il masculin ? Le capitalisme s’est bien mis en place à une période où des hommes blancs étaient au pouvoir, mais ce n’est plus aussi simple aujourd’hui. Au niveau international, la classe capitaliste est loin d’être « blanche ». Et dans les pays occidentaux, si bien peu de femmes appartenaient il y a cinquante ans à la bourgeoisie (ou alors seulement en tant que femmes de bourgeois), elles sont aujourd’hui un peu plus nombreuses… Que celles-ci soient autoritaires, riches, puissantes, etc., permet de dire non pas qu’elles sont viriles, qu’elles « font les hommes », mais qu’elles appartiennent à la classe dirigeante. Il y a certaines ficelles du pouvoir qui fonctionnent quel que soit le genre de celui qui les emploie, car, comme le disait une vieille bonne femme fort sympathique, « c’est le pouvoir qui est maudit ». Toutefois, la bourgeoisie est loin d’en avoir fini avec la sexuation : une femme à un poste de pouvoir doit se montrer encore plus compétente et autoritaire qu’un homme.

Les Rote Zora ne trouvent pas suffisamment d’écoute ni de prise en compte des problèmes des femmes dans le groupe mixte des Cellules révolutionnaires. D’où la nécessité de s’organiser en non-mixité. Elles évoquent à plusieurs reprises les « mécanismes impérialistes d’oppression des femmes », dont se dégagent deux axes : les structures de pouvoir centrales du système et les rapports de pouvoir quotidiens. Les Cellules révolutionnaires ne s’intéressaient qu’au premier axe, le deuxième étant considéré comme une conséquence du premier. Les actions des Rote Zora ont contribué, à un moment donné, à faire éclater au grand jour ces questions.

Leur critique féministe accorde une place importante à la maternité. Elles s’attaquent aux politiques de stérilisation forcée des femmes du Tiers Monde, et participent à une campagne en faveur de l’avortement. Elles dénoncent la volonté des dirigeants d’« arracher définitivement aux femmes le fait de disposer seules de leur capacité à faire des enfants », par des recherches sur les bébés-éprouvette. « Une des raisons [de l’oppression des femmes] est que la capacité des femmes à avoir des enfants fut et reste considérée comme une de leur fonction physiologique et naturelle. » Mais elles semblent l’imputer autant au pouvoir masculin (« de non-réciprocité à la nature », etc.) qu’au capitalisme. Rappelons que pour elles, les deux sont entièrement confondus.

Quant à leurs dénonciations de la « destruction de toute forme de conscience autonome des femmes », cela révèle une limite, probablement inévitable à l’époque : la valorisation du groupe des femmes, la critique de la hiérarchie des genres exclusivement et non des genres eux-mêmes.

Une autre critique que les Rote Zora font aux Cellules révolutionnaires – et plus largement aux groupes à prétention révolutionnaire –, est qu’ils ne prennent pour cible que ce qui touche aux classes, au détriment du sexisme. « Selon ce point de vue, la lutte de libération consisterait de nouveau à attaquer seulement les structures de pouvoir centrales de l’impérialisme, en mettant entre parenthèses les rapports de violence quotidiens au travers desquels nous faisons l’expérience de la destruction, de l’oppression et de l’exploitation. » Elles rejoignent ici les mouvements féministes de l’époque. Parce qu’elles partaient de leur condition d’opprimées et d’exploitées, d’une analyse qui prend racine dans le personnel, les féministes ont d’abord dénoncé la frontière entre politique et personnel. Néanmoins, cette division est sans cesse reproduite dans la société capitaliste, et il n’y a que dans les luttes qu’on peut espérer la voir disparaître. « La force explosive et révolutionnaire [du mouvement des femmes] résidait dans la conscience du lien direct entre la suppression de la souffrance personnelle et la nécessité d’un bouleversement social. » L’organisation en non-mixité a conduit à « ne pas chercher de perspectives à l’intérieur des structures de pouvoir de la société, ne pas vouloir exercer une influence en participant au pouvoir, ne pas définir la libération des femmes par rapport au rôle des hommes. Cela a conduit à la création d’espaces de liberté pour échapper aux structures patriarcales. C’était, et cela reste très important, car aucun mouvement n’a autant besoin de lutter contre sa propre identification avec l’oppresseur que le mouvement féministe ! »

Et c’est justement cette identification avec l’oppresseur (ici les hommes, l’Etat, le capital ne font qu’un), cette idée saugrenue d’une quête du bonheur au sein du système, qui selon elles a fait décliner le féminisme vers un « repli sur soi », vers une « nouvelle intériorité ». Cela viendrait d’une part du « tabou que [l’expérience subjective] constituait dans les groupes de gauche », et d’autre part « de la difficulté à transformer la reconnaissance de l’oppression personnelle en actions directes de résistance la politique de la subjectivité devint une “ intériorité ”, c’est-à-dire un changement personnel sans changement de la société ».

Les bourgeoises, souvent à l’origine des mouvements de femmes, auraient joué un grand rôle dans cette involution, parce que leur place dans la société de classes leur permettait plus facilement de se satisfaire d’un changement de leurs conditions de vie personnelle. Il n’en va pas de même pour les prolétaires. Sous l’influence des premières, le mouvement féministe développa presque exclusivement des actions contre les violences quotidiennes portées par des individus (le violeur, le mari), et les analyses des structures d’oppression furent mises de côté ; même l’Etat fut sollicité pour tenter d’endiguer cette violence quotidienne, ce qui le dédouana de tout rôle dans l’oppression. Face à cela, les Rote Zora ont préféré « provoquer 1a confrontation, qui [fait que les mouvements] brisent les règles du jeu social et ne deviennent pas des rouages fonctionnels ».

L’isolement des femmes, leur enfermement dans la sphère privée* a été mis en place par le capitalisme. Si l’accès des femmes à la sphère publique* a très souvent été limité, la division entre les sphère est une conséquance de l’évolution du capital pendant l’industrialisation. Les femmes étant associées à la sphère privée, il n’est pas très surprenant alors que nombre de discours féministes se concentrent sur le personnel (et s’y cantonnent). Mais n’attaquer que ce pouvoir quotidien, n’est-ce pas s’en prendre aux branches et laisser prospérer la racine ? Si les Rote Zora déplorent la difficulté des révolutionnaires à prendre en compte le personnel, elles adressent à nombre de mouvements féministes la critique inverse : leur difficulté à prendre en compte la société, à critiquer et attaquer les structures du système. Il est frappant aujourd’hui de voir comme leur critique est toujours d’actualité.

Comme quoi, on est peu de chose.

 

 

 

 

En Catimini… Histoire et Communiqués des Rote Zora,

2009, 184 p., sur encatiminirotezora.wordpress.com

 

Outre un texte présentant le contexte de la RFA dans les années 1980, où les auteurs mettent en avant la répression qui sévissait alors en Allemagne et le fait que cela n’ait pas empêché les Rote Zora d’agir, on trouvera dans ce petit ouvrage une présentation du groupe, des chronologies, des communiqués des Rote Zora et des RZ, un texte signé Rote Zora exposant ses positions, « Chaque cœur est une bombe à retardement » ainsi qu’une interview de deux membres des Rote Zora. C’est le premier ouvrage en français sur ce groupe.

Quelques courts communiqués ont aussi été traduits et publiés dans le journal L’International (par exemple, « Seule notre colère peut nous aider à combattre l’état de normalité impérialiste », L’International, n° 3, janvier 1984, p. 6 ).

 

 

 

 

1 Anonyme, En Catimini…… Histoire et Communiqués des Rote Zora, 2009, 184 p. Pour la critique, citons notamment Peter Vener, Quelques notes critiques sur En Catimini, que l’on peut consulter sur http://www.non-fides.fr/?Quelques-notes-critiques-sur-En. Malgré un ton quelque peu à l’emporte-pièce qui n’invite pas à la discussion, des réflexions intéressantes font avancer le débat.

 

2 Du nom de l’héroïne d’un roman pour enfants des années 1940 écrit par Kurt Helde, Zora la Rousse et sa bande : un conte de Dalmatie pour la jeunesse. Les enfants de cette histoire vivent de vols, emmerdent les flics et habitent plus ou moins en squat, sans adultes. Une série télé reprenant cette histoire a été diffusée dans les années 1980. « Rote Zora » indique le lien avec les Cellules révolutionnaires en adoptant les mêmes initiales « RZ ».

3 En 1995, Corinna K. se rend à la police. Lors de son procès en 1998, elle est condamnée à dix-huit mois de prison avec sursis pour appartenance aux Rote Zora. En décembre 2006, Adrienne G. se rend après dix-neuf ans de cavale. Elle écope de deux ans avec sursis pour avoir participé à deux attentats des Rote Zora, en 1986 et 1987.

4 Ne disposant que de quelques traductions françaises, il est difficile de comprendre leurs positions, qui manquent parfois d’argumentation et peuvent sembler contradictoires. Le fait que les Rote Zora aient été constituées de plusieurs groupes clandestins peut aussi expliquer ce manque de clarté.

5 On sait que l’histoire des femmes et des armes est assez réduite. Il y aurait peut-être une autre expérience du côté des Etats-Unis avec les Dynamite Women. En France, les Bombeuses à chapeau, un groupe de femmes d’ultragauche* connu pour avoir attaqué la Librairie des femmes en 1978, aurait pratiqué d’autres actions, notamment contre des sex shops (d’ailleurs si vous avez des infos, ça nous intéresse). Par ailleurs, des femmes ont participé et participent aujourd’hui – y compris en non-mixité – à des guérillas, par exemple au Kurdistan.

6 Bien sûr, certains diront « il n’y a pas de luttes prioritaires, il n’y a qu’à lutter pour le communisme* ! ». Et c’est bien vrai. Mais ces paroles permettent d’éluder un travail d’analyse des rapports entre hommes et femmes.

7 D’ailleurs, une lacune du bouquin, les auteurs n’ont visiblement pas jugé nécessaire de préciser la signification de ce terme à l’époque, ni les références théoriques et politiques des Rote Zora. Ce concept n’a pas le même sens pour un marxiste-léniniste ou un maoïste des années 1970, ou pour un altermondialiste des années 2000. Pour une critique de l’anti-impérialisme, voir Peter Vener, op. cit.

8 A noter que le terme d’impérialisme renvoie alors souvent à la politique économique et militaire des Etats-Unis, en aucun cas à celle de l’URSS, dans les pays d’Europe de l’Est, en Afrique et en Asie.

9 Voir par exemple Howard Zinn, Une Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, 812 p.

10 Voir les articles sur le travail domestique, p. 47, et celui sur le XIXe siècle, p. 73.

11 Que l’on peut lire sur http://marxist.org.

12 Claude Meillassoux, Femmes, greniers et capitaux, Paris, Maspéro, 1975, p. 214-215.

13 Claude Meillassoux, op. cit.

14 « Surtout la force de travail ainsi produite qui est pourtant marchandise sur le marché du travail n’est pas commercialisable par ses producteurs. Légalement, en effet, l’âge de la majorité libère le rejeton de toute obligation à l’égard de ses parents dès le moment où il atteint le seuil productif. Ne peuvent alors exploiter sa force de travail, légalement, que ceux qui, possédant les moyens de production capitaliste, sont en mesure de lui offrir un emploi. N’étant pas une entreprise, la famille ne jouit d’aucun des avantages légaux accordés aux sociétés », Claude Meillassoux, op. cit.