INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Chine : une démographie du genre

« Être femme en Chine aujourd’hui : une démographie du genre »

Article d’Isabelle Attané  paru dans la revue Perspectives chinoises, n°  4, 2012.

Cet article s’attache, d’une part, à dresser un état des lieux sociodémographique de la situation des femmes chinoises dans un contexte de transition démographique, économique et sociale en ce début de XXIe siècle et, d’autre part, à souligner les effets paradoxaux de ces transitions, sans ignorer la diversité des réalités qui sont les leurs. En conclusion, il questionne les possibles évolutions des relations de genre en Chine où les femmes sont et resteront durablement moins nombreuses que les hommes, en particulier aux âges adultes

 

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Je ne pense pas que les hommes et les femmes soient sur un pied d’égalité. Je vis dans un milieu dominé par les hommes, et je sens tous les jours cette pression impalpable. Ce n’est pas que les hommes ne nous respectent pas. Mon mari cuisine pour moi et fait beaucoup de choses à la maison, mais je sens toujours planer un sentiment machiste. Vraiment, les hommes ne nous considèrent pas comme des égales sur le plan intellectuel.

Cao Chenhong, cadre supérieure dans une entreprise pékinoise

Après trois décennies de communisme suivies de trois décennies de libéralisation économique, la société chinoise reste, sous de nombreux aspects, très attachée à ses traditions sociales et familiales. Dans les années récentes, néanmoins, elle a fait preuve de facultés d’adaptation remarquables au processus de mondialisation dont elle est désormais partie prenante. Ainsi, les transformations qui la touchent depuis les années 1980 laissent parfois perplexe, tant elles peuvent s’avérer délicates à interpréter : il n’est en effet pas toujours aisé de distinguer entre les évolutions qui s’inscrivent dans la continuité de pratiques sociales pérennes et d’autres, parfois brutales, qui se révèlent finalement être les manifestations ad hoc d’une réaction aux nouvelles opportunités et contraintes imposées par les mutations socioéconomiques et la société mondialisée. L’analyse des transformations sociales tout autant qu’économiques ou politiques est d’ailleurs parfois à ce point délicate qu’elle conduit régulièrement, à juste titre, à conclure au paradoxe.

L’attitude de la société chinoise vis-à-vis de ses femmes, qui affiche elle aussi son lot de paradoxes, témoigne de cette dualité – elle-même étant d’autant plus complexe à saisir qu’elle reste marquée par la quête d’égalité des sexes qui a prévalu durant la parenthèse communiste. Pour autant, comprendre et mesurer les transformations du statut des femmes depuis les réformes économiques reste essentiel pour accéder à une compréhension plus globale de la société chinoise contemporaine, de ses représentations et des changements qui la traversent. De fait, la place accordée aux femmes telle que l’on peut la mesurer au moyen de divers indicateurs touchant notamment à l’éducation, l’emploi, la démographie ou la santé, est un révélateur généralement fiable des transformations de fond touchant effectivement la société. Mais là est un paradoxe en soi : si, par certains côtés, notamment en ce qui concerne l’éducation et la santé, les améliorations dans l’absolu de la situation des femmes chinoises sont incontestables, de l’autre, leurs relations avec les hommes demeurent d’autant plus inégalitaires qu’elles s’inscrivent dans un contexte démographique qui leur est défavorable, témoignant ainsi d’une détérioration incontestable, à certains égards, de leur situation.

L’objectif de cet article consiste, d’une part, à dresser un état des lieux sociodémographique de la situation des femmes chinoises dans un contexte de transition démographique, économique et sociale en ce début de XXIe siècle et, d’autre part, à souligner les effets paradoxaux de ces transitions, sans ignorer la grande diversité de réalités qui sont les leurs. Il s’agira enfin, en conclusion, de questionner les possibles évolutions des relations de genre en Chine où les femmes sont et resteront durablement moins nombreuses que les hommes, en particulier aux âges adultes. Cet article s’appuie notamment sur les résultats partiels des trois enquêtes sur le statut social des femmes (Zhongguo funü shehui diwei chouyang diaocha) menées conjointement par la Fédération des femmes de Chine et le Bureau national de la statistique en 1990, 2000 et 2010. Ces enquêtes (appelées ici ACWF-1990, ACWF-2000 et ACWF-2010), organisées dans le but spécifique de mesurer les inégalités des sexes et les différences de genre, brossent un tableau large des réalités sociales vécues par les femmes chinoises au cours des deux dernières décennies. Ces enquêtes quantitatives, uniques sur le sujet, présentent toutefois des limites liées au mode de collecte par questionnaire fermé. Sans fournir des explications à tout, elles permettent néanmoins de saisir l’évolution de la question des femmes et des relations de genre. Les données de ces enquêtes seront occasionnellement complétées par celles issues d’autres sources, notamment les recensements de 1990, 2000 et 2010.

La situation des femmes en Chine aujourd’hui : état des lieux

 La Chine est l’un des pays du monde en développement dans lesquels les revendications pour l’émancipation des femmes et la lutte pour l’égalité des sexes sont parmi les préoccupations politiques à la fois les plus anciennes – les premiers mouvements en faveur des femmes remontant au milieu du XIXe siècle – et aujourd’hui les plus présentes. Dès les années 1950, en particulier, s’est organisée une mobilisation concrète pour le développement de l’activité des femmes en dehors de la sphère domestique et l’égalité des conjoints au sein de la famille ; la Chine fut aussi l’un des premiers pays à ratifier, dès 1980, la Convention internationale des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

La mobilisation relativement précoce de l’État et de la société civile explique en partie pourquoi la Chine possède aujourd’hui un important dispositif juridique pour la défense des droits et intérêts des femmes. Grâce à la Constitution de 1954, puis à celle de 1982, ces dernières bénéficient ainsi, légalement, d’une égalité de droits avec les hommes : « Les femmes ont les mêmes droits que les hommes dans tous les domaines de la vie politique, économique, culturelle et sociale, incluant la vie familiale ». Cette égalité de droits et la lutte contre les discriminations à leur encontre ont par ailleurs été régulièrement réaffirmées, notamment par les lois successives sur le mariage, par la « Loi pour la protection des droits et intérêts des femmes » (1992), ou par la « Loi sur la santé des mères et des enfants » (1994).

Les dynamiques internationales en faveur de l’autonomisation des femmes et de l’égalité des sexes ne sont toutefois pas étrangères à cette mobilisation importante de la Chine en la matière. En particulier, l’État chinois a rapidement compris que la légitimation du pays au rang des grandes puissances mondiales passait par son adhésion aux grands principes internationaux, notamment ceux relatifs aux droits des femmes, et qu’il était important de soutenir la quête d’égalité des sexes pour assurer un développement harmonieux et durable dans le processus de mondialisation. Il a en outre, dans les années 1990, pris conscience du fait qu’une partie des femmes étaient restées en marge du processus de modernisation et que leur situation était, avec les réformes économiques, devenue très hétérogène selon les régions et les classes sociales, notamment en ce qui concerne leurs besoins en termes de subsistance, de développement et de préservation de leurs droits et intérêts. L’État chinois a ainsi rapidement fait écho à la Conférence internationale des Nations unies sur la Population et le Développement (Le Caire, 1994) et à la 4e Conférence mondiale sur les femmes (Pékin, 1995) qui ont marqué une étape décisive dans la promotion du statut des femmes dans le monde, de même qu’aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000. Les droits et intérêts des femmes et leur égalité avec les hommes ont dès lors été inscrits de manière durable à l’agenda politique, notamment à travers les trois programmes successifs pour le développement des femmes (Zhongguo funü fazhan gangyao) lancés à partir de 1995. Enfin, l’objectif politique de réduction des inégalités sociales et économiques qui, depuis les années 2000, préside au développement d’une « société harmonieuse » (hexie shehui) pourrait aussi bénéficier aux femmes, notamment en permettant une meilleure application des lois les protégeant et en leur facilitant l’accès à la santé, à l’éducation, à la protection sociale, à l’emploi, etc. LA SUITE ICI

 

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Référence électronique :

Isabelle Attané, « Être femme en Chine aujourd’hui : une démographie du genre », Perspectives chinoises [En ligne], 2012/4 | 2012, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 09 mars 2013. URL : http://perspectiveschinoises.revues.org/6422

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