INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
CIP en lutte (1976)

Article publié dans Pétroleuses, n° 7, décembre 1976, p. 12-14.

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CIP en lutte

 

L’usine principale des établissements CIP (Confection Industrielle du Pas de Calais) est occupée par les ouvrières depuis le 18 juillet 1975. Elles refusent de perdre leur emploi (700) et de subir les conséquences des manœuvres patronales qui visent à liquider l’entreprise.

Nous sommes allées les voir le 9 octobre au « Carrefour des luttes » organisées par la CFDT de Lille.

 

Ouvrières de la CIP. Pétroleuses, décembre 1976

 

Vous occupez depuis plus d’un an déjà : qu’elle a été l’origine du conflit ?

 

Déjà en 1973, un premier dépôt de bilan qui mettait 700 ouvrières au chômage révélait que l’ex-patron BAILLEUL avait détourné 2,4 milliards d’AF [Anciens Francs] et acheté des propriétés et des immeubles avec l’argent de l’entreprise. Une première mobilisation avait empêché la liquidation de l’entreprise, qui passe alors dans de nouvelles mains.

En avril 1975, pour réaliser d’avantage de profits, le nouveau patron FURNON décide de la restructuration de l’entreprise et annonce la fermeture immédiate des deux ateliers soit le licenciement des 200 ouvrières. Ces ateliers faisaient encore des heures supplémentaires la veille et avaient embauché les mois précédents.

Début mai, il y avait deux mois et demi de commande pour 700 personnes, un taux de rentabilité positif, une situation financière bonne, un personnel qualifié, un matériel récent.

La direction et les cadres sabotent l’entreprise refusant les commandes, en démantelant le réseau commercial, ce qui entraîne la perte de confiance des clients, des fournisseurs et des banques : FURNON a réussi à détourner la clientèle de la CIP vers une autre usine de confection… qu’il possède à Alès (Gard).

Face à ces manœuvres nous ripostons par l’occupation et décidons en Assemblée Générale la reprise de la production sans cadre et sans patron à notre propre rythme.

Une fois l’occupation décidée, notre première grande décision a été de mettre dehors ceux qui ne voulaient pas suivre (cadres, mécaniciens, coupeurs, responsables d’atelier, quelques ouvrières) « parce qu’ils ne voulaient pas être dans l’illégalité ». C’est ensemble que nous avons été les trouver pour leur demander de sortir. Un homme seulement est resté dans la lutte avec nous : c’est un magasinier.

 

Avez-vous remarqué des différences de qualification et de salaires entre les hommes et les femmes à la CIP ?

 

Absolument, comme c’est le cas dans toute l’industrie textile et de l’habillement.

La main-d’œuvre de la CIP est en grande majorité féminine, or peu de femmes occupent des postes de responsabilité ; ainsi seules deux d’entre nous étaient responsables de chaîne. Il faut savoir aussi que nous n’avons plus de coupeurs, travail qualifié réservé aux hommes, nous avons fait appel à une camarade d’une autre entreprise qui est venue pour apprendre la coupe à certaines d’entre nous.

Nous avons eu aussi au départ des problèmes avec des machines en panne, nous avons là aussi fait appel à des camarades d’autres entreprises, maintenant on se débrouille. Ainsi au mois d’août de cette année, nous avons décidé d’arrêter la production pour nettoyer les ateliers et réparer et entretenir les machines, chose que nous avons fait nous-même.

 

L’organisation de la lutte a dû poser un certain nombre de problèmes ; comment vous y êtes-vous prises pour les résoudre ?

 

Tout d’abord nous avons décidé de nouveaux horaires de travail. Chacun d’entre nous assure six heures de présence et de travail par jour, suivant l’horaire qui lui convient soit 8h/14h, 14h/20h, 20h/8h. Celles qui viennent la nuit (12 h) ne viennent ni la veille ni le lendemain ; mais c’est cette équipe qui a posé le plus de problèmes avec la famille c’est-à-dire avec les maris et les pères (une partie d’entre nous étant mineures) : que nous occupions la journée, cela n’a pas eu d’importance car nous ne sommes pas à la maison non plus quand nous travaillons ; mais le soir et la nuit, ça n’était plus possible… seules les camarades célibataires ou celles dont le mari était d’accord ont pu occuper la nuit.

Notre section CFDT a envoyé une lettre « aux parents, maris etamis » des grévistes pour leur expliquer la situation et leur demander d’être solidaires de la lutte menée par leur compagne ou leur fille pour la sauvegarde de l’emploi ; de même des réunions d’information ont été organisées dans le même but, mais n’y sont venus que les maris qui étaient d’accord avec l’action engagée par leur femme. Malgré tout nous sommes une majorité à avoir tenu le coup.

 

Comment avez-vous résolu la question des enfants ?

 

En fait, il ; y a eu peu de problèmes. Les maris solidaires ont « accepté » de garder l’enfant lorsque leur femme occupe la nuit ; comme nous choisissons l’équipe qui nous convient le mieux, les mères de famille se sont arrangées en général pour prendre des horaires qui coïncident avec ceux des enfants à l’école. Quand ils sont tout petits, elles les amènent avec elles.

 

Quels sont les différents moyens que vous vous êtres donnés pour tenir le coup dans l’occupation ?

 

Nous nous sommes organisées en commissions. Très vite nous nous sommes trouvées affrontées au problème du transport : les ouvrières viennent de 26 communes dans un rayon de 30 km, une commission transport a vu le jour : nous avons organisé un ramassage par autobus et nous prenons en charge les frais de celles qui viennent par leur propre moyen.

Le comité de grève composé de dix volontaires en accord avec l’Assemblée s’occupe de la prise en charge de l’ensemble de l’occupation. Il se réuni deux fois par semaine et quand les événements l’imposent. Il aborde et discute de tous les problèmes qui se posent, les répercute en AG où ils sont discutés et soumis à un vote si c’est nécessaire. Rien n’est décidé sans être proposé par le comité de grève et voté par l’AG.

Il y a également une commission finances, une commission formation, deux groupes de 25 ouvrières ont participé à deux journées de formation organisées dans l’entreprise avec l’aide d’un permanent de la fédération HA. CUI. TEX. CFDT, d’autres ouvrières ont participé à une session de formation de militants à Arras pendant trois jours, une commission popularisation, pour faire sortir le conflit de l’entreprise et avoir le soutien du plus grand nombre de travailleurs. C’est ainsi que l’on a organisé un tour de France avec un militant de la CFDT, c’est là que nous nous sommes rendues compte que c’était souvent lui qui parlait devant les assemblées de militants et de travailleurs et que nous, nous nous taisions car il ne nous était pas si facile que ça de prendre la parole, devant tous ces gens.

 

Dans la région, comment s’est exprimé la solidarité des autres travailleurs ?

 

Quant le téléphone a été coupé, la vigilance des camarades des PTT nous a permis d’avoir tout de suite une autre ligne au nom de la section syndicale et de ce fait, nous n’avons jamais été privés de téléphone. Pour remplir les fiches de paie de juillet 1975 et les congés payés que le patron refusait de nous verser, nous avons eu l’aide de militants travaillant dans les banques, dans les bureaux de différents entreprises…

 

Où en êtes-vous maintenant de votre lutte et que comptez-vous faire dans les mois prochains ?

 

Deux problèmes : depuis un an bien que nous occupions, nous sommes inscrites au chômage et nous touchons les 90 %, mais l’échéance arrive fin octobre. De plus nous nous trouvons face à un blocage systématique des pouvoirs publics et du patronat qui attendent que nous cédions. Nous sommes en train de discuter des nouvelles formes à donner à notre lutte ; nous pensons reprendre la production et vendre. Nous n’abandonnons pas la lutte…

 

 

Salaire ANNUEL des filles de la CIP : 17  853,60  Francs.

Salaire MENSUEL du principal actionnaire : 20 000,00 Francs.

Salaire MENSUEL du directeur commercial : 10 379,94 Francs.

 

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CIP :

Une opération toutes les 19 secondes.

Monter un poignet de chemise toutes les 50 sec.

Monter une manche toutes les 50 sec.

Monter une fermeture-éclair par minute et 550 par jour.

 

NOUS NE SOMMES PAS DES MACHINES MAIS DES FEMMES.

 

 

 

 

L’OCCUPATION

 

I

Les ouvrières de la CIP en ont marre de Furnon (2 fois)

Car il ne veut pas payer le salaire des ouvrières (2 fois)

Elles luttent (3 fois)

 

II

Elles luttent contre les cadences qu’elles peuvent plus fournir (2 fois)

Et elles veulent négocier, mais l’patron s’est débiné (2 fois)

Il tremble (3 fois)

 

III

Il tremble pour sa maîtrise et il fait venir les flics (2 fois)

Mais les flics sont arrivés et les filles sont restées (2 fois)

Elles luttent (3 fois)

 

IV

Et elles luttent tout (es) ensemble car elles sont licenciées (2 fois)

Elles continuent des travailler, elles ne sont plus enchaînées (2 fois)

Elles chantent (3 fois)

 

V

Et elles chantent partout nous cherchons un patron (2 fois)

Il nous faut persévérer et la lutte doit continuer (2 fois)

Ensemble (3 fois)

 

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C’EST PAS LA JOIE

 

1

A la chaîne toute la journée

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Avec des cadences accélérées

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Tête baissée, sans relever le nez

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Avec l’interdiction, de parler

C’est pas la joie, c’est pas la joie

 

REFRAIN

Y a encore au niveau moral

Que ça va pas trop mal

Avec notre syndicat

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

 

2

On a les nerfs tous détraqués

C’est pas la joie, c’est pas la joie

On ne peut plus rien supporter

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Et tout cela pour rien en effet

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Car le licenciement nous pend au nez

C’est pas la joie, c’est pas la joie

 

3

Les contre-dames toujours sur le dos

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Elles nous prennent pour des robots

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Le même geste toute la journée

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Une seule compte, la production

C’est pas la joie, c’est pas la joie

 

4

Bailleur dépose son bilan

C’est pas la joie, c’est pas la joie

On ne sait plus où on en est

C’est pas la joie, c’est pas la joie

Mais nous nous sommes organisées

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

Notre travail

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

 

5

Tous ensemble nous gagnerons

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

Notre travail nous garderons

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

Grâce à la solidarité

Ça c’est la joie, ça c’est la joie

Et tant pis à qui cela déplait

Ça c’est la joie, ça c’est la joie.

 

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RAPPEL :

Juillet 1975-decembre 1978, grève a CIP dans le Pas-de-Calais

Contre des licenciements dans l’usine de confection, cent dix-huit ouvrières mènent une grève de trois ans avec occupation 25. Elles décident en AG de la reprise de la production. « Que nous occupions la journée, cela n’a pas eu d’importance car nous ne sommes pas à la maison non plus quand nous travaillons ; mais le soir et la nuit, ça n’était plus possible… seules les camarades célibataires ou celles dont le mari était d’accord ont pu occuper la nuit. » Le problème des enfants se pose encore : les plus petits sont amenés dans l’usine, quelques maris solidaires gardent les gosses, certaines s’arrangent sur les horaires.

SOURCE : « Ne me libérez pas, je m’en charge ! Brèves sur les femmes et les luttes », Incendo, hors-série Genres & classes, octobre 2012, p. 155.

 

 

 

 

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