Dans » Ne me libérez pas, je m’en charge! Brèves sur les femmes et les luttes » (Incendo, octobre 2012) nous écrivions :
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1988-1989, coordination des infirmières
Dans cette profession féminine à plus de 90 %, la grève porte sur le devant de la scène des questions de fond souvent sous-estimées par les militants politiques ou syndicaux : la part croissante des femmes dans le salariat (suite à la progression du tertiaire) ainsi que la hausse de leur niveau d’éducation. Elle chamboule les stéréotypes associés aux femmes dans une profession où elles sont censées mettre en pratique leurs « qualités naturelles* » comme la douceur ou le sens du dévouement (en fait il s’agit surtout de nier leur qualification et donc de les sous-payer ; le mouvement conteste cette conception de leur profession). Les « gentilles » infirmières voient rouge, luttent, se mettent en grève et font vaciller le ministre de la Santé. C’est toute l’image sociale de la profession qu’elles remettent ainsi en cause. Le temps de l’infirmière dévouée, voire dévote, semble alors révolu (ce qui est malheureusement loin d’être le cas).
Dans les AG, à la base, mais également dans la direction du mouvement, ce sont les femmes qui sont en avant, ce qui ne va pourtant pas de soi dans une profession où l’on trouve aussi des hommes (on parle d’ailleurs de la lutte des infirmières et non de celle des infirmiers et des infirmières). C’est la première fois que l’on assiste à un mouvement qui ne soit pas récupéré par les hommes.
Les revendications salariales (dans un secteur très féminisé et habitué au salaire d’appoint) ont un caractère radical (tout particulièrement en cette période où sont dénoncés les « privilèges » des fonctionnaires).
La demande de reconnaissance professionnelle des infirmières met en lumière le maintien du statut subordonné de ce nouveau salariat féminin qualifié dans la division sexuelle et sociale du travail. Elle met également en évidence l’impact spécifique sur l’organisation et la nature des revendications d’un « mouvement mixte sous hégémonie féminine ». La demande de reconnaissance professionnelle des infirmières a une double dimension : il s’agit de faire reconnaître leurs compétences et de les traduire par une reconnaissance salariale.
Contrairement à ce que certains pourraient croire, les coordinations ne sont pas une forme d’organisation spécifique ment féminine.
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Pistes bibliographiques :
Martine Schachtel, Alain Rebours, Ras la seringue : histoire d’un mouvement, Paris, Lamarre-Poinat, 1989, 142 p.
Didier Leschi, « Les coordinations, filles des années 1968 », Clio, n° 3, 1996
Christian Chevandier, « « Uni(e)s dans l’action » : les infirmières coordonnées »
Josette Trat, Les cahiers du féminisme (1977-1998). Dans le tourbillon du féminisme et de la lutte des classes, Paris, Syllepse, 2011, 352 p. (voir pages 98-104)