INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Bombeuses à chapeau contre Librairie des Femmes (1978)

Autodafé rue des Saints-Pères

 

La librairie des femmes saccagée par un commando de huit femmes (Farenheit 451)

 

11 h 30 vendredi rue des Saints-Pères à Paris. La Librairie des femmes vient d’ouvrir ; à l’intérieur une femme qui tient le magasin. Une femme qui, au cours d’une conférence de presse, a raconté hier en fin d’après-midi, comment huit femmes, masquées et armées de rasoirs et de barres de fer sont entrées dans le magasin qu’elles ont saccagé en quelques minutes. Livres renversés, peinturlurés à l’aide de bombes, étagères et plantes vertes jetées à terre, fil du téléphone coupé, bombes lacrymogènes lancées, tandis que dehors, attendait un groupe d’hommes. L’acte a été revendiqué par les « Bombeuses à chapeau », dans un communiqué que nous publions ci-dessous.

De leur côté, les Editions des Femmes, qui on t précisé avoir porté plainte contre cette agression, déclarent sur des panneaux qu’elles ont affichés sur la vitrine de la librairie : « Depuis l’ouverture de la librairie, nous avons souvent eu affaire aux insultes, provocations et menaces de membres de l’extrême droite. Mais n’est-ce pas toujours la droite – la peur machiste- qui a voulu nous détruire par ces calomnies, diffamations, coups, viols… Là où nous ne sommes ni à vendre, ni à acheter, par aucun mec, aucun mac. La paranoïa, la misogynie, le racisme, l’anticommunisme ne vont jamais l’un sans les mêmes ».

Librairie des femmes

La Librairie des femmes s’est pour l’instant limitée à cette prise de position et se réserve de la développer plus longuement mardi.

 

(Collectif de militantes féministes devenu une institution éditoriale – une maison d’édition et un mensuel – la librairie des femmes suscite des réactions et des désaccords parfois violemment polémiques – ce qui a aussi été le cas de Libération. Cela ne justifie pas pour autant des méthodes qui sont purement et simplement le refus et la négation de toute pensée différente, de toute liberté d’éditer et de vendre des livres, ce qui revient à ériger l’« agression » et le « saccage » comme pensée politique).

 

Libération, 13 mai 1978.

 

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Les Bombeuses à chapeau : « Nous revendiquons l’attaque de la Librairie des femmes »

 

Nous accusons à travers la Libraire des femmes, les femmes du groupe Politique et Psychanalyse, d’être des féministes primaires, qui n’ont su faire avancer le féminisme, qui ont cantonné par une analyse volontairement parcellaire, une lutte partant d’un besoin réel, en lutte uniquement revendicative.

 

– de se comporter comme le syndicat des femmes, parlant de leur nom, et empêchant leur lutte de s’élargir à une lutte plus globale, tendant à organiser et limiter les luttes pour mieux les contrôler.

 

– De mentir aux femmes en leur laissant croire que leur seule libération pourrait entraîner la chute du capital : – comme si les hommes étaient responsables des rapports sociaux qu’ils ne contrôlent pas eu-mêmes.

 

Elles ne sont pas les seuls ; nous savons que de nombreux groupes féministes participent à cela. Ces féministes sont nos ennemies, au même titre que l’Etat, les flics et les gauchistes.

 

Nous accusons les femmes de ce groupe de sauvagerie pour s’être acharné de façon grotesque dans les procès de violeurs. Nous les accusons d’incohérence pour avoir fait appel et s’être référées pour défendre leur cause, à une justice pourrie qu’elles-mêmes ne reconnaissent pas ailleurs.

 

Nous les accusons d’inconscience morbide pour toutes les années de prison qu’elles ont fait distribuer.

 

Nous accusons les Femmes de la Librairie des Femmes, d’être des grandes bourgeoises du féminisme et de se comporter avec le fric de leur camarade milliardaire comme des patronnes de gôche utilisant les procédés patronaux pour licencier (Cf. Barbara), l’idéologie pour sous-payer et magouiller, et leur pouvoir d’éditeur pour censurer ce qui les dépasse.

 

Nous sommes opprimées en tant que femmes et tant qu’individus, nous essayons de lutter sur tous les terrains, contre toute répression, nous ne nous laisserons pas enfermer dans un ghetto où la seule caution politique est le fait d’être une femme. Quant aux mecs avec qui nous avons choisi de vivre et de lutter, nous préférons évidemment à un rejet systématique, résoudre avec eux les conflits quotidiens inhérents aux rôles distribués par le capital (hommes/femmes) et dont, nous le répétons, ils ne sont pas plus responsables que nous.

 

Pour toutes ces raisons, nous entendons, par cet acte spectaculaire, rendre publics les agissements de ce groupe et dénoncer toutes « leurs sœurs » : cet acte est symbolique, il pourra être plus violent si besoin est.

 

Nous ne nous reconnaissons pas dans un féminisme isolé d’une remise en cause globale des rapports sociaux qui glorifient l’image de la femme émancipée, cadre, technicienne, artiste ou autres pièges à cons.

 

Nous avons choisi la Librairie des Femmes parce qu’elle est un commerce connu et tenu par des femmes et parce que les moyens financiers dont elle dispose permettent une large diffusion de la connerie de ses militantes, mais il est bien entendu que moult autres groupes auraient pu (et pourront) être visés. (Par exemple, celles qui ont viré les mecs à la manif pour Heide, sous des prétextes fallacieux – provos, phallos – et les ont laissé se faire tabasser par les flics).

 

Nous revendiquons en tant que femmes cet acte, puisque les féministes parlent au nom des femmes, mais nous savons que bon nombre de mecs, que l’on ne peut taxer de machisme, partagent notre opinion.

 

Méfiance, ces féministes et leurs sœurs sont des faux-frères.

 

Les Bombeuses à Chapeau.

 

 

Communiqué des Bombeuses à chapeau, publié dans Libération du 13 mai 1978.

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