INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Maroc : Les femmes ouvrières entre précarité et danger

Exploitation, harcèlement, agressions… le quotidien de certaines ouvrières est loin d’être facile. Zoom sur les conditions dans lesquelles travaillent ces femmes.

Selon l’enquête sur l’emploi réalisée par le Haut-commissariat au plan (HCP), six femmes sur 10 travaillent comme ouvrières, 10,4% comme artisanes ou ouvrières qualifiées contre 10,1% comme exploitantes agricoles, pêcheuses ou forestières. Ainsi seules 2,1% des femmes travaillent comme cadres supérieurs. Aussi, d’après le ministère de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, dans le domaine industriel 96% des femmes sont-elles des ouvrières et seulement 1% d’entre elles sont des cadres.

Cette majorité est surtout composée de femmes au niveau scolaire moyen et soumises à de lourdes pressions se traduisant notamment par la précarisation de leur emploi et par la difficulté de leurs conditions de vie (santé, logement, capacités de mobilisation). Ces pressions représentent les principales raisons qui poussent ces femmes à accepter des conditions de travail, en général déplorables. «Travailler comme ouvrière n’est pas facile, plusieurs n’arrivent pas à supporter la pression plus de deux jours. Nous sommes traitées comme des femmes soumises : nous ne sommes pas respectées, nous n’avons pas le droit de nous plaindre si on exige de nous de faire des heures supplémentaires et surtout nous devons accepter tout ce que nous demandent nos chefs hiérarchiques. Ce travail m’épuise, mais je suis obligée de supporter les désagréments que je subis quotidiennement au travail parce que j’ai besoin de cet argent pour nourrir ma famille», indique Rachida, 28 ans. Même résignation chez Touria, 26 ans. «Nous n’avons pas le choix. Nous sommes forcées de supporter pour vivre. Mai il ne faut pas se voiler la face, c’est partout pareil. Quel que soit le travail que la femme exerce elle sera amenée à subir les mêmes incommodités et faire face aux mêmes préjugés», estime-t-elle. Des préjugés et une méprise véhiculée par la société et même au sein de leur lieu de travail et avec lesquels les femmes ouvrières doivent s’accommoder.

«L’entrée de la femme au travail ne s’est pas faite sans heurts. On y voyait, il y a quelque temps, une concurrence qui ne se justifiait nullement. Présente quasiment dans tous les domaines du travail et à des niveaux de responsabilité importants, la femme n’échappe toujours pas au regard malveillant. Si on n’affiche pas une image négative d’elle parce que c’est contraire à la tendance générale de lui reconnaître son droit, il n’en demeure pas moins qu’une fois sur les lieux du travail, elle fait l’objet d’actions lui rappelant l’image négative qu’elle tente de combattre», explique Mohamed Boudis, Psychologue du travail et enseignant-chercheur. Et de préciser : «Toute précaution gardée, on peut dire que les femmes-cadres sont moins exposées au regard méprisant que les femmes ouvrières. Pour avoir investi le travail à côté des hommes, la femme subit par ricochet les contraintes de son rôle sur le milieu du travail. Les expériences de couple sont là pour donner sens à l’image positive ou négative de la femme comme en témoignent des observations de terrain. Je parle ici de la tendance à considérer que la présence d’un homme ou d’une femme peut être vue inconsciemment comme prolongement d’une situation (confortable ou non) de couple au travail et vice versa».

Une situation inconfortable pour la femme comme pour l’homme, et qui se manifeste encore plus dans les usines, où certains hommes tentent de profiter de leur supériorité hiérarchique. «Il n’est pas facile de travailler comme ouvrière. Pour intégrer l’usine, il faut plaire au responsable direct qui n’a d’autres critères que le physique, ensuite tu dois lui verser une partie de ton salaire pendant une certaine période pour le remercier de t’avoir accepté et surtout, tu dois être toujours disponible s’il demande à te voir en privé», confie une jeune ouvrière de 22 ans qui a préféré gardé l’anonymat.

«En fait, il y a plusieurs aspects dont il faudrait tenir compte pour asseoir des stratégies permettant à ces femmes de se protéger. Il y a, d’abord, là nécessité de comprendre que derrière tout acte malveillant se faufile une demande mal formulée. Pour peu qu’il soit dénoncé le harcèlement moral et (ou) sexuel qui a tendance à s’installer aux dépens des plus fragiles, impose à la femme d’œuvrer pour qu’il y ait révision de l’article du Code du travail relatif au harcèlement. Des centres intra ou interentreprises d’écoute ne seront pas un luxe dans la mesure où ils favoriseront la collaboration entre psychologues et médecins du travail pour promouvoir le bien-être au travail», décrit Boudis.

Témoignages: Mohamed Boudis, Psychologue du travail et enseignant-chercheur

«Certaines situations affectent négativement la femme»
Certaines situations de vécu professionnel affectent négativement la psychologie de la femme et son regard à la fois sur le travail et la société tout entière. L’une de ces situations est le harcèlement sexuel et (ou) moral qui prend des formes très souvent discrètes et consiste en un jeu de séduction ou d’humiliation. La femme, tout comme l’homme d’ailleurs, gère la situation de différentes manières : répondre à la tentation, s’identifier à l’agresseur, s’en prendre à soi-même et sombrer parfois dans la dépression.

L’autre situation se rapporte à la pratique du recrutement où l’on privilégie consciemment ou inconsciemment l’apparence physique féminine, hormis le fait que ça entre dans un profil de poste. Cela rappelle à mon sens cette vieille image que les gens ont de la femme, qu’ils peuvent nier ou méconnaître, mais qui reste quand même dans leur esprit. Une autre situation très controversée d’ailleurs concerne les aides-ménagères, des filles à bas âge, analphabètes ou à faible niveau d’instruction, qu’on fait venir d’un milieu rural par défaut ou insuffisance de ressources matérielles des parents. Elles se voient imposer un travail dont les répercussions négatives se font sentir par le sentiment de délaissement et d’exploitation. Le dernier exemple de situation porte sur les difficultés de conciliation entre travail, éducation et tâches ménagères. La femme endosse une double contrainte, celle du travail et ses exigences et celle de la famille et ses obligations, bien sûr dans un milieu où la répartition des tâches à l’intérieur du couple obéit au poids de la tradition auquel souscrit la femme elle-même.

SOURCE : http://www.lamarocaine.com

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