INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Les femmes dans la Révolution française (1973)

Article paru dans la revue d’histoire populaire Le Peuple français en 1973 :

Les femmes dans la Révolution française

 

« La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Art. 10 de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne par O. de Gouges.

L’Histoire traditionnelle accorde une place privilégiée aux « Grands Hommes » et s’efforce de réduire au minimum celle du peuple ; privilège des grands, elle est aussi un privilège masculin : les femmes n’y jouent qu’un rôle annexe de favorites et d’intrigantes ou un rôle symbolique et désincarné (Sainte Geneviève, Jeanne d’Arc qui était à peine une femme…). Il appartient au Peuple Français de leur rendre leur juste place.

La Révolution française a proclamé les « immortels » Droits de l’Homme et du Citoyen mais a refusé la reconnaissance de ces droits à la moitié du genre humain. Pourtant, dans ce soulèvement formidable contre l’ancien ordre établi, les femmes ont pris une part aussi active que les hommes ; elles ont eu l’initiative de mouvements populaires, elles se sont organisées efficacement et constamment se sont vues refuser le droit de cité.

 

 « TRAVAILLER, OBÉIR, ET SE TAIRE… » (Cahier de doléances et réclamations des femmes)

Depuis le Moyen Âge, le statut de la femme est reste inchangé : soumise à son père, puis à son mari, elle est une mineure perpétuelle faite pour céder à l’homme, s’occuper du foyer, des enfants et travailler.

Certes, la condition de la femme est bien différente suivant la classe sociale à laquelle elle appartient. Dans l’aristocratie, ou la grande bourgeoisie, n’ayant à s’occuper ni du ménage, ni des enfants, ne prennent aucune part à la direction des affaires (du moins aucune part directe et officielle), elle dispose de loisirs considérables pour s’adonner aux arts, aux lettres, à la conversation et certaines finissent par jouer un rôle important dans le domaine intellectuel. Aussi voit-on s’ouvrir au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle les célèbres salons de Mme Geoffin, Du Deffand, De Tencin, etc., rendez-vous des philosophes et des savants ; elles dissèquent, expérimentent, écrivent, encore reconnaît-on difficilement leurs talents. Quelques voix timides s’élèvent cependant pour réclamer au moins le droit à l’éducation des femmes : c’est un thème souvent choisi par les académies de province et en 1777, c’est une femme qui mérite le prix de celle de Besançon, Manon Phlipon, future Mme Roland.

Ces privilégiées demeurent peu nombreuses : en général la bourgeoisie continue à imposer une morale extrêmement rigoureuse : les femmes restent au foyer, s’occupent de broderie ou de couture ; les jeunes filles sont mariées ou envoyées au couvent sans leur consentement…

Paradoxalement, les femmes des milieux populaires si elles sont les plus exploitées, peuvent apparaître plus indépendantes. Prenant part à la production, elles peuvent, en ville jouir d’une certaine autonomie financière qui leur permet une plus grande liberté de mœurs : elles peuvent sortir, fréquenter les tavernes et disposer à peu près comme un homme de leur corps. Lingères servantes, blanchisseuses, revendeuses, elles s’occupent en outre du ménage, de la cuisine, des enfants et sont une figure respectée. Dans les campagnes, les femmes qui partagent les travaux des champs les plus pénibles avec les hommes sont souvent traitées en servantes, ne mangeant pas à la même table que leur mari ou que leurs fils, restant debout pour les servir… Soumises à leur père, à leur époux, à leurs fils, elles le sont aussi à leur seigneur : dans bien des campagnes le droit de cuissage persiste à la veille de 1789.

Il est évident que les femmes qui ont tous les soins du ménage à leur charge sont les premières touchées lorsque éclate une disette, une crise de cherté ; aussi n’est-il pas rare qu’elles soient à l’origine de révoltes anti-fiscales, de pillages de magasins, de « visites » chez des accapareurs…

 

« DANS CETTE COMMUNE AGITATION, LES FEMMES NE POURRAIENT-ELLES AUSSI FAIRE ENTENDRE LEUR VOIX ? »

(Pétition des femmes du Tiers état)

A la veille de la Révolution le statut juridique des femmes est très incertain : jusqu’en 1776 (1) elles ne peuvent exercer un grand nombre de métiers de com­merce ou d’artisanat en raison de privilèges de masculinité : ainsi ne peuvent-elles même pas être marchande de mode sans être couvertes par l’autorité d’un homme qui prête son nom. Mais les veuves continuent souvent de diriger l’entreprise de leur défunt mari aussi la qualité de veuve est-elle devenue presqu’un statut puisqu’elle permet d’administrer des biens personnels : un mémoire destiné à recenser les vainqueurs récompensés de la Bastille les désigne ainsi : « 870 à 900 personnes dont 16 veuves ». Les femmes n’ayant le droit d’exercer aucune fonction officielle, ne sont pas éligibles aux états généraux ; par contre le vote est lié à la propriété et non à la personne : les femmes propriétaires de fiefs, les communautés religieuses peuvent donc voter pour la noblesse ou le clergé, mais par procuration comme les mineurs. Certains métiers ne sont représentés que par des femmes : les marchandes de poisson et les fruitières seront les seules à pouvoir élire un député.

Mais dans leur immense majorité, les femmes ne bénéficient pas du droit de vote. Pourtant elles avaient déjà commencé à se manifester : à Grenoble en 1788, elles se sont opposées au départ des assemblées provinciales ; six mois plus tard, elles adressaient une lettre au roi :

« Nous ne saurions nous résoudre à donner le jour à des enfants destinés à vivre dans un pays soumis au despotisme… » Dans certaines paroisses, lorsqu’elles se présentèrent pour voter aux assemblées primaires, nul n’osa s’y opposer… Les cahiers de doléances ne font guère de place aux revendications féminines : ceux des paroisses ou des quartiers sont trop chargés, ceux des métiers leur sont le plus souvent fermés. Certaines décident donc de faire leur propre cahier : on peut citer quelques brochures originales ayant par la suite circulé dans les provinces (« Pétition des femmes du tiers état au roi », « Cahier de doléances et réclamations des femmes »…). Ils décrivent la condition féminine : « Les filles du tiers, état naissent presque toutes sans fortune. Leur éducation est très vicieuse ou très négligée… ». Comparant leur sort à celui des esclaves noirs des colonies, elles réclament leur affranchissement, le droit de rédiger leur propre cahier, celui de voter et d’être représentées par elles-mêmes « puisque les représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés, les femmes ne pourraient donc être représentées que par des femmes. »

Pour ridiculiser cette tentative de cahiers féminins, un certain nombre de faux cahiers rédigés par des hommes (Cahiers des Dames de la Halle ou des Demoiselles de Port Royal) ont circulé à la même époque.

« LE BOULANGER, LA BOULANGÈRE… »

Dés le début de la révolution les femmes participent à l’action. Au 14 juillet, c’est « une foule de tout sexe » qui s’arme et prend d’assaut la Bastille ; au 4 août, les harangères des halles organisent un défilé qui se termine par un Te Deum à Sainte Geneviève pour fêter l’abolition des privilèges. Mais c’est en octobre que les femmes prennent l’initiative d’un mouvement populaire armé.

L’automne 89 est une période difficile : après l’enthousiasme des débuts on s’aperçoit que pour le peuple des villes les choses n’ont guère changé ; le chômage sévit, le prix du pain est plus élevé que jamais, le spectre de la disette se profile. Et pendant ce temps, à Versailles, le roi refuse de signer la Déclaration des Droits ; on raconte même que, lors d’une réception donnée au Régiment de Flandres, il aurait avec « l’Autrichienne » et les officiers, foulé aux pieds la cocarde tricolore… Le matin du 5 octobre le pain a encore augmenté : les femmes s’attroupent devant les boulangeries du quartier des Halles. Une jeune fille s’est emparée d’un tambour et bat la Générale ; très vite un cortège se forme et se rend à l’Hôtel de Ville. Il est huit heures du matin lorsqu’elles décident d’aller trouver le roi à Versailles pour qu’il renvoie ses mercenaires et vienne se mettre sous la protection des gardes nationaux. Elles forcent l’Hôtel de Ville, s’emparent des canons et vont chercher des volontaires de la Bastille pour se faire conduire à Versailles. « Elles arrêtent des voitures, les chargent de leurs canons qu’elles assujettissent avec des câbles ; elles portent de la poudre et des boulets ; les unes conduisent les chevaux, les autres assises sur les canons tiennent à la main la redoutable mèche. Elles partent des Champs-Élysées au nombre de 4 000 escortées de 4 ou 500 hommes armés de tout ce qui était tombé sous leurs mains… » (3).

A l’Assemblée nationale elles sont reçues un peu fraîchement : 15 seulement sont autorisées à entrer et forment une délégation avec Mounier pour aller voir le roi auquel on demande la signature des décrets et le retour à Paris. La réponse est très évasive. En attendant le peuple campe sur la Place d’Armes et quelques femmes vont supplier les hommes du régiment de Flandres de ne pas tirer. Le roi accepte enfin de signer la Déclaration et l’on offre à souper au peuple qui passe la nuit. On ne sait pas très bien ce qui s’est passe le lendemain matin mais les grilles du château sont forcées ; le peuple lente de pénétrer dans les appartements royaux ; les gardes tirent, on riposte (12 morts au total). Le roi accepte alors de revenir à Paris. Le retour est triomphal :

« Des femmes portant de hautes branches de peuplier ouvraient la marche. Certaines, couvertes de cocardes nationales de la tête aux pieds, demandaient ou ôtaient aux spectateurs les rubans noirs et verts (2) et les traînaient dans la boue… » (3).

 

« UN SPECTACLE D’AMAZONES… »

L’année 1790 ne voit pas de soulèvement armé important, mais de grands moments de « Fraternité » : lors des fêtes de la Fédération, le 14 juillet 1790 les femmes montrent leur confiance dans la révolution : on les voit défiler en bataillons, armées ; elles vont prêter en corps le serment civique sur l’autel de la patrie. Mme Roland décrit ainsi le spectacle à Lyon : « On voit dans différents détachements, des femmes ayant le sabre à la main, une démarche ferme et guerrière, présenter sous les vêtements de leur sexe un spectacle d’amazones et le courage de Jeanne d’Arc. »

L’année suivante la fête n’eut pas la même allure ; le roi vient d’être ramené de Varennes et on en est à rédiger une pétition : c’est madame Robert Kéralio qui l’écrit, faisant constater l’abdication de fait du roi. Sur cette pétition, pour la première fois les signatures de femmes sont acceptées. La foule qui la porte au Champ de Mars le 1er juillet reçoit pour toute réponse les coups de feu de la Garde Nationale commandée par La Fayette. La fusillade du Champ de Mars marque une première rupture dans la Révolution : c’est la fin de l’illusion lyrique de la Fraternité, de l’unité du tiers état. Pour le mouvement féminin, c’est également une rupture : pendant la première période, les femmes avaient espéré la reconnaissance de leurs droits, elles avaient écrit pour les réclamer ; à partir de 91, plus d’écrits mais des actes ; le féminisme théorique a fait son temps, il s’agit de forcer la reconnaissance du droit de cité des fem­mes, en participant activement aux luttes sociales et politiques.

« N’ONT-ILS PAS VIOLÉ LE PRINCIPE D’ÉGALITE DES LOIS ? » (Condorcet)

Durant cette première période de la Révolution, les femmes qui participaient au mouvement révolutionnaire tentaient parallèlement de se faire reconnaître par l’Assemblée. En 1789, plusieurs brochures rédigées par des femmes inconnues sont portées à la chambre : « Motions adressées à l’Assemblée nationale en faveur du sexe », « vues législatives sur les femmes »… Elles y réclament le droit au travail et celui de disposer d’elles-mêmes. Leur voix rencontre peu d’écho mais un écho de poids : c’est en effet, un célèbre philosophe, Condorcet qui va se montrer le plus ardent défenseur des droits de la femme à l’Assemblée ; pour cet ancien élève des jésuites, il ne peut y avoir de véritable démocratie lorsqu’il y a discrimination :

« Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. »

Dans une série d’opuscules, Condorcet s’efforce de détruire tous les préjugés des antiféministes : la fragilité naturelle de la femme n’est pas une raison :

« Pourquoi des êtres exposés à des grossesses et à des indispositions passagères ne pourraient-ils pas exercer des droits dont on n’a jamais imaginé de priver les gens qui ont la goutte tous les hivers ou qui s’enrhument facilement ? » De même il dénonce le préjugé selon lequel les femmes n’auraient pas le même type de raisonnement que les hommes : « On a dit qu’elles obéissaient plutôt à leur sentiment qu’à leur conscience. Cette observation ne prouve rien : ce n’est pas la nature, c’est l’éducation, c’est l’existence sociale qui cause cette différence… »

Si l’on refuse aux femmes le droit de cité parce qu’elles ne sont pas éclairées, qu’elles n’ont reçu aucune éducation, la logique voudrait qu’on le refuse également à la majorité des travailleurs pour des raisons analogues et Condorcet conclut que dans ce cas seule une « élite » serait appelée à gouverner, rétablissant ainsi une nouvelle aristocratie.

En dépit de ces analyses rigoureuses, les réformes qu’il propose à la Constituante sont assez timides (il ne réclame même pas le droit à l’éligibilité) ; encore sont elles refusées.

 

« CE SEXE, AUTREFOIS MÉPRISABLE ET RESPECTE, AUJOURD’HUI RESPECTABLE ET MÉPRISE. »

(Olympe de Gouges)

C’est en 1791 que paraît le texte te plus important pour le mouvement féministe : les « Droits de la Femme et de La Citoyenne » dû à la plume d’une femme de lettres, Olympe de Gouges (ce nom est un pseudonyme ; elle s’appelait en réalité Marie Aubry, née Gouzes). Ce texte est une déclaration en 17 articles, calquée sur le modèle de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 : un certain nombre d’articles sont identiques, le mot homme étant simplement remplacé par le mot femme. Quelques-uns subissent des modifications, ainsi l’article IV :

« La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie que l’homme lui impose perpétuellement ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. »

Elle réclame donc pour les. femmes l’égalité la plus absolue des droits civils et politiques, la liberté d’expression étant garante de ces droits :

Art. 10 : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »

A cette série de droits politiques, Mme de Gouges ajoute une autre revendication, celle de la liberté sexuelle :

« Toute citoyenne peut dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité. » Aussi propose-t-elle en conclusion, de remplacer le mariage par un contrat social de l’homme et de la femme, incluant la possibilité du divorce.

Le postambule se termine par ces mots :

« A la lecture de ce bizarre écrit je vois s’élever contre moi les tartuffes, les bégueules, le clergé et toute sa séquelle infernale. » Cette « Déclaration » portée à l’Assemblée peut avant la ratification de la Constitution ne reçut aucune réponse… Olympe de Gouges ne se contentait pas d’écrire, elle participa à l’action. Elle fit plusieurs tentatives d’interventions à la chambre a la tête de cortèges féministes… Elle y fut mal reçue. En 93, elle se rangea du côté des Girondins et se proposa comme défenseur du roi ; après avoir attaqué Robespierre dans une série de pamphlets, et tenté d’apposer des affiches dans Paris pour proposer un référendum sur la constitution, elle fut incarcérée et exécutée le 3 novembre 1793. L’article 10 de sa déclaration était prémonitoire…

SOCIETÉS FRATERNELLES ET CLUBS FEMININS

Dès 1790, les femmes tentent de s’organiser. Mme Etta Palm fonde l’une des premières sociétés féminines : « La Société patriote et de bienfaisance des Amies de la Vérité » et propose aux femmes d’en créer dans tous les départements ; elles seraient chargées de l’éducation des enfants et des soins sociaux. Les premières qui se créent en province sont très modérées.

Mais au début ce sont surtout les sociétés fraternelles mixtes qui se multiplient. La plus célèbre est celle présidée par les Robert-Kéralio, la « société fraternelle des patriotes des deux sexes », fréquentée par Danton, Tallien, Hébert. Mme Kéralio rédige un journal ouvertement républicain : « le Journal de l’Etat et du Citoyen ». Entre 1790 et 1791, un grand nombre de ces sociétés se créent en province et les Robert proposent de les fédérer sous les auspices des Cordeliers ; toutefois, leurs prises de position républicaines les font tomber sous le coup de la loi interdisant les activités politiques aux clubs, au lendemain de la fusillade du Champ de Mars (juillet 91). A partir de 1792, on assiste surtout à la création de clubs exclusivement féminins : les premiers qui se fondent en province prennent des positions nettement jacobines ; c’est le cas des « Amies de la Constitution de Dijon », des clubs féminins de Lyon et Besançon. Paris suit et voit en mai 1793 la création d’une « Société des Républicaines Révolutionnaires » sur un programme sans culotte avancé ; il suffit pour y entrer d’être âgée de 18 ans et parrainée par deux membres ; la présidente est élue tous les mois.

« VIEILLARDS, FEMMES ET ENFANTS, NUL N’EST SANS MOYENS »

Ces clubs ne sont pas de simples tribunes de discussions mais un moyen pour les femmes de mener une action collective. L’une de leurs premières tâches est l’éducation civique des enfants. Elles font apprendre aux jeunes des pages du contrat social, la « Déclaration des Droits » ainsi que des textes révolutionnaires. Elles publient des brochures, des catéchismes laïcs à destination des enfants ; elles réclament le droit à l’éducation et la possibilité de choisir les instituteurs.

Elles se chargent de l’Assistance publique, des soins aux malades et aux blessés. Les religieuses étant en fuite ou en exil, elles réclament à Besançon la laïcisation de l’hôpital. Elles s’occupent des secours aux prisonniers et aux nécessiteux : à Dijon, elles créent un établissement de filature destiné a accueillir 300 femmes sans travail.

A partir du 20 avril 1792 et de l’appel à « la Patrie en danger », elles participent activement a l’effort de guerre ; les clubs sont transformés en ateliers de Charpie, de confection de chaussures et de vêtements pour l’armée ; elles fabriquent du salpêtre. A Besançon, elles créent une troupe de théâtre pour se procurer de l’argent et acheter des matières premières. Les résultats sont surprenants :

« Elles ont déjà fait passer à différents bataillons 434 chemises, 336 paires de souliers, 30 habits et beaucoup plus de vestes et de culottes, 239 paires de guêtres, 137 paires de bas, nombre de mouchoirs, cols, bonnets, sacs de peau, gants et quelques fusils… » (4).

Enfin, elles tentent de se battre sur deux plans : contre les ennemis de l’intérieur (recherche des suspects, lutte contre les accapareurs) et contre les ennemis de l’extérieur en partant à l’armée.

« LE SORT DE LA PATRIE NE SAURAIT NOUS ÊTRE INDIFFERENT »

Dès l’appel de 1792, des femmes s’arment de piques et demandent à être volontaires. A Paris, une certaine Pauline Léon vient lire une pétition réclamant pour les femmes le droit de s’armer et de s’exercer sur le Champ de Mars au maniement des armes. Quelques jours plus tard, Théroigne de Méricourt (célèbre pour avoir été accusée par les émigrés d’une tentative de meurtre sur Marie Antoinette et avoir été incarcérée plusieurs mois à Vienne) (5) vient porter une pétition portant 300 signatures pour réclamer la formation d’un régiment d’amazones. Les membres de l’Assemblée refusent :

« Gardons-nous d’intervertir l’ordre de la nature. Elle n’a point destiné les femmes à donner la mort ; leurs mains délicates ne sont point faites pour manier le fer, ni pour agiter des piques homicides. »

Théroigne tente alors de former seule son bataillon et mène une propagande active parmi les femmes du faubourg Saint-Antoine : « Armons-nous car nous en avons le droit ! Les hommes prétendent-ils seuls avoir des droits à la gloire ? Nous aussi nous voulons notre couronne civique et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux, puisque les effets du despotisme s’appesantissaient encore plus lourdement sur nos têtes que sur les leurs. » Son bataillon ne fut jamais créé mais il y eut tout de même des femmes parmi les soldats : une trentaine furent enrôlées aux côtés de leur mari ou après avoir participé à des heurts de frontière (c’est le cas des sœurs flamandes De Fernig).

Elles furent mêlées à de durs combats : la jeune Anne Quatre Sols qui n’avait que 16 ans conduisait des chevaux d’artillerie et participa aux sièges de Liège, Aix-la-Chapelle, Namur… Ce n’était qu’une simple tolérance : dès 93, la Convention accuse les femmes de détruire le moral des troupes et prend un décret le 30 avril 1793 : toutes les femmes inutiles au service des armées (qui ne sont ni blanchisseuses, ni vivandières) sont renvoyées dans leur foyer avec la somme de 5 sous pour regagner leur domicile. Belle récompense pour celles qui avaient tout abandonné et pris trop au sérieux l’appel à la défense de la Patrie en danger !

LES « RÉPUBLICAINES  RÉVOLUTIONNAIRES »

En ce printemps 1793, la République est un fait acquis, le roi a été guillotiné mais pas plus qu’auparavant les femmes ne peuvent participer à la vie publique : exclues de l’armée, elles ne siègent pas à la Convention, n’ont pas voix délibérative au club des Jacobins ; elles s’attirent les sarcasmes lorsqu’elles réclament le droit de vote dans les assemblées primaires… Elles se battront donc sur le seul terrain qui leur reste : la lutte contre les ennemis de l’intérieur, contre la vie chère, contre les accapareurs.

Les actions les plus spectaculaires sont menées à Paris par la Société des Républicains Révolutionnaires, animée par Pauline Léon et Claire Lacombe. Elles sont une aile marchante de la sans culotterie parisienne et jouent un rôle d’autant plus important que les hom­mes les plus actifs partent successivement pour le front extérieur.

Dés leurs débuts, les républicaines révolutionnaires se font connaître : en mai 1793, « elles font la police dans le jardin des Tuileries et dans les corridors de la Convention Nationale. Elles se chargent de la visite des cocardes et arrêtent les gens qui leur paraissent suspects… »

Elles sont très liées avec les Cordeliers et les « enragés » de la Commune Insurrectionnelle » Jacques Roux, Varlet, Leclerc. Le 19 mai 1793, elles portent avec eux à la Convention une pétition réclamant l’arrestation des suspects, la création de tribunaux révolutionnaires, la mise en accusation de Brissot et des Girondins, la formation d’une milice révolutionnaire dans chaque ville et l’extermination des accapareurs.

Portant pétition sur pétition à la Convention, aux Jacobins, elles contribuent largement à la chute de la Gironde, en juin 93. Ce sont elles qui élèvent un véritable culte à Marat après son assassinat par Charlotte Corday. Leur ami Leclerc devient le nouveau rédacteur de « l’Ami du Peuple ».

Mais dès août 93, elles se heurtent à Robespierre et au Comité de Salut Public qui mène la guerre aux « enragés ». Avec eux, elles réclament la possibilité pour les sans culottes de contrôler les actes de la Convention, les députés n’étant que les mandataires du peuple ; elles exigent des mesures immédiates et efficaces contre les suspects et les accapareurs, la taxation des denrées. On leur refuse la parole ; elles exigent alors une loi claire sur la responsabilité des ministres et ridiculisent Robespierre en l’appelant Monsieur Robespierre. Elles sont mises en accusation avec Leclerc aux Jacobins ; de la prison de Bicêtre où il a été incarcéré, seul Jacques Roux prend leur défense.

« ESPÈCES D’AVENTURIERES, DE FILLES EMANCIPÉES, DE GRENADIERS FEMELLES… » (Fabre d’Églantine)

Le 2 octobre, elles mènent sous la direction de Claire Lacombe une dernière députation à la Convention : elles viennent expliquer aux députés que pour faire exécuter le décret de taxation des denrées, il est indispensable de faire des visites domiciliaires sans lesquelles les commerçants continueraient à pratiquer le marché noir avec leur parents et amis ; elles proposent que ces visites soient faites par les sans culottes d’une autre section afin d’éviter l’indulgence. L’accueil fut des plus froids. Elles commençaient à devenir dangereuses pour le Comité de Salut Public : leurs exigences de démocratie populaire cadraient mal avec la dictature du Comité.

Une campagne de calomnies s’abat alors sur elles. On les accuse de tous les vices, on exploite le moindre incident : fin octobre elles sont attaquées par les poissardes des halles hostiles à la taxation. La Convention laisse faire, et soutient au contraire les poissardes. Fabre d’Eglantine attaque :

« Il y a déjà eu du trouble pour la cocarde ; vous avez décrété que les femmes la porteraient, On demande aujourd’hui le bonnet rouge ; on ne s’en tiendra pas là bientôt vous verrez des files de femmes aller au pain comme on marche à la tranchée… J’ai bien observé que ces Sociétés ne sont pas composées de mères de famille, des sœurs occupées de leurs frères et sœurs en bas âge, mais d’espèces d’aventurières, de chevaliers errants, de filles émancipées, de grenadiers femelles… »

Trois questions sont alors posées aux députés :

1) Les rassemblements de femmes à Paris doivent-ils être permis ?

2) Les femmes peuvent-elles exercer les droits politiques et prendre une part active aux affaires du gouvernement ?

3) Peuvent-elles délibérer, réunies en associations politiques ou sociétés populaires ?

Aux trois questions les conventionnels répondent non. Un décret est pris interdisant les clubs et sociétés populaires de femmes en novembre 93, prélude à un contrôle plus étroit des sociétés populaires tout court.

Les plus célèbres des « républicaines révolutionnaires » sont arrêtées. Claire Lacombe est incarcérée au Luxembourg en avril 1794, tandis que Jacques Roux se suicide dans sa cellule… Les Montagnards peuvent alors assigner à la femme le rôle qu’ils souhaitent : celui d’« ornement des fêtes patriotiques » (Saint-Just). On les choisit laides et vertueuses pour représenter la déesse Raison.

« UNE FEMME EST UN VÊTEMENT » (Dufourny [conventionnel])

Après Thermidor, c’est la liquidation de la Révolution. Les dernières manifestations féminines qui sont aussi les dernières manifestations populaires sont celles du premier Prairial an III : « On ne voyait que des groupes presque tous composés de femmes qui promettaient une insurrection pour le lendemain ». Elles sont vite musclées. Le soir même la Convention (thermidorienne) prend un décret obligeant toutes les femmes à se retirer chez elles, faute de quoi toutes les femmes trouvées en groupe supérieur à 5, une heure après l’affichage, seraient dispersées par la force armée et arrêtées. Peu de temps après, le port de la cocarde leur est interdit. Le Code Civil n’est pas loin…

Pour les femmes, le bilan de la Révolution est mince :

– elles ne sont plus exclues de la succession ;

– le divorce est proclamé (il sera supprimé en 1916) ;

– le droit à l’instruction leur est reconnu. On crée des écoles primaires pour garçons avec instituteurs et des écoles primaires pour filles avec institutrices, ces dernières étant toutefois moins payées que leurs collègues masculins (1 000 livres par an pour les femmes et 1 200 pour les hommes).

C’est tout.

Monique BAUDOIN.

(1) Date de suppression des jurandes et corporations.

(2) Emblème de la reine.

(3) Journal des Révolutions de Paris.

(4) Rapport de la Convention, avril 1793.

(5) Théroigne de Méricourt, de son nom véritable Anne Thérouagne, citoyenne luxembourgeoise installée à Partis, créa un salon fréquenté par Barnave, Romme, etc. Assistante assidue des séances de l’Assemblée, elle fut accusée d’avoir mené les journées d’octobre. Arrêtée par les immigrés à la frontières belge, elle fut incarcérée à Vienne puis relâchée. Fêtée par les Jacobins, elle se rangea du côté de la Gironde. En 1794, elle fut enfermée dans un asile, sa raison étant « dérangée ».

 

Bibliographie :

Michelet, Les Femmes de la Révolution ;

L. Lacour, Les Origines du féminisme contemporain ;

P. M. Duhet, Les Femmes et la Révolution (Archives Julliard).

 

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Monique BAUDOIN, « Les femmes dans la Révolution française », Le Peuple français, n°9, janvier-mars 1973, p. 24-28

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