« Un tsunami de libido »: quand les GI ont débarqué
Propos recueillis par Philippe Coste (L’Express). Mary Louise Roberts, professeur à l’université du Wisconsin-Madison, publie aux Etats-Unis What Soldiers Do, un livre détonnant sur la sexualité des soldats américains après le Débarquement de 1944. Ses recherches offrent une vision inédite de la déferlante sexuelle qui s’est abattue sur la France de la Libération.
Les Américains avaient-ils vraiment prévu de faire de la France le grand défouloir sexuel de leurs soldats ?
Mary Louise Roberts: En épluchant la presse militaire, en particulier le magazine Stars and Stripes, on réalise que toute l’expédition américaine en Normandie a été vendue aux soldats comme une formidable opportunité sexuelle. Ailleurs, sur le front du Pacifique, il est facile de motiver les troupes, car, après tout, les Japonais nous ont attaqués. En Europe, en revanche, les Allemands représentent un ennemi différent, des Blancs difficiles à diaboliser par des stéréotypes raciaux. L’état-major américain a besoin de trouver un stimulant basique et efficace qui encourage ces jeunes hommes à débarquer sous les balles à Omaha Beach. C’est pourquoi on a sexualisé à outrance l’enjeu de la future bataille sur le sol français.
Comment a-t-on procédé ?
D’abord, la réputation libertine de votre pays est confortée par les souvenirs vécus, mais souvent très exagérés, du contingent américain venu en renfort pendant la Première Guerre mondiale, en 1917. Un dessin de Stars and Stripes montre deux GI traquant des jeunes filles dans un village. L’un d’eux dit : « Papa m’a beaucoup parlé de cet endroit ! » Le Guide pratique à l’usage des GI’s en France, en 1944, est à cet égard un chef-d’oeuvre de duplicité alléchante : « On dit que les Françaises sont faciles, alerte-t-il. Mais en fait, pas du tout ! » On ne manque pas de le mentionner tout de même… Et les soldats qui rampent sous le feu allemand le 6 juin 1944 portent tous un lot de cinq préservatifs distribué avec leurs munitions…
Finalement, que constatent-ils sur le sol français ?
Les GI, qui viennent de tous les milieux sociaux, mais pour beaucoup de zones rurales et de petites villes, sont âgés de 18 à 20 ans et, le plus souvent, inexpérimentés sexuellement. Or ils découvrent un pays où la règle de la chasteté connaît de nombreuses exceptions. A leur grande surprise, ils se rendent compte que, même en Normandie, les familles tolèrent la vie sexuelle de leurs filles, à condition que leur relation soit sérieuse et permette d’envisager le mariage. C’est réellement un choc. J’ai une lettre d’un soldat qui raconte avoir couché avec une fille alors que les parents dormaient dans la même pièce. Il se demande s’il a rêvé. Son expérience conforte l’image d’un pays dénué de morale, tel qu’a pu le décrire Joe Weston, un journaliste de Life, en 1945 : « La France est un gigantesque bordel, écrivait-il, habité par 40 millions d’hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l’amour. »
Visiblement, les Amérciains ne prennent pas la France au sérieux.
C’est effectivement l’arrière-plan politique de toute l’histoire. On connaît l’inimitié de Roosevelt envers de Gaulle et, surtout, le peu d’intérêt des Américains pour un rétablissement rapide de la souveraineté française. Le cliché d’une nation de débauchés justifie tacitement le contrôle total de la France au nom des priorités politiques et militaires américaines. Il porte les relents d’un classique discours colonial décrivant le peuple dominé comme trop lascif, primitif, indolent et irresponsable pour s’administrer lui-même.
On sait à quel point les Françaises appréciaient les GI. Qu’en pensent alors leurs concitoyens ?
Ils ne peuvent rivaliser avec ces étrangers exotiques, athlétiques, bien nourris, chargés de cadeaux inestimables et assez riches pour sortir les filles au cinéma. C’est une humiliation terrible. Les Français ont vécu quatre ans dans une bulle, privés d’informations. L’arrivée des Américains leur révèle le niveau où est tombé leur pays. A la joie de la Libération succède un profond traumatisme devant le manque de respect des libérateurs à leur égard.
Comment s’explique ce manque de respect ?
Les témoignages et les lettres des soldats sont clairs : ils méprisent ces hommes qui, à leurs yeux, se sont montrés incapables de repousser les Allemands en 1940 et de libérer eux-mêmes leur pays. Ainsi, la vision des femmes tondues horrifie les Américains et confirme leur verdict : si des Françaises ont couché avec l’ennemi, c’est parce que leurs hommes, trop faibles, n’étaient pas « maîtres chez eux ». Leur vengeance sur les femmes n’en apparaît que plus minable.
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Sur Slate.fr :
« En 1945, pour les GI, la France était «un gigantesque bordel» où l’on pouvait violer les femmes »
Des soldats américains qui ont libéré la France en 1945, la mémoire collective n’a retenu que des souvenirs teintés de mélancolie; la saveur des chewing-gums ou de la première gorgée de Coca-Cola, le satiné des bas en nylon, les mots doux susurrés à l’oreille des jeunes filles avec un accent délicieusement étranger… Ces images d’Epinal cachent pourtant une réalité bien sombre, que l’historienne américaine Mary Louise Roberts révèle dans son nouveau livre What soldiers do, rapporte le quotidien allemand Die Welt.
L’armée américaine faisait miroiter un paradis terrestre à ses soldats pendant la Seconde Guerre mondiale, leur promettant que leur courage serait récompensé en nature par de lascives jeunes femmes une fois débarqués en France, au pire contre de l’argent:
«Les prix pour la “marchandise moyenne”, c’est de cette façon que le journal des GI Panther Tracks menait l’enquête à l’époque, démarraient à 150 francs; pour les services de femmes particulièrement capricieuses et de toute beauté, il fallait s’acquitter de 600 francs. Les Françaises étaient négociées entre soldats américains en tant que “cold cuts”: «tranche» –des morceaux de viande vivants, plus ou moins chers.»
Le journal de l’Armée américaine, Stars and Stripes, expliquait aux GI comment prononcer des phrases telles que «Tu es belle!» ou «Est-ce que tes parents sont à la maison?», tandis que le magazine Life présentait à l’époque la France comme «un gigantesque bordel dans lequel [vivaient] 40 millions d’hédonistes».
Comme l’explique Die Welt, les soldats américains sont vite passés aux yeux des Français du statut de libérateurs à celui d’occupants:
«Les Américains sont devenus encombrants lorsque leur argent, leurs bas en nylon et leurs cigarettes ne suffisaient plus à faire oublier l’humiliation d’être à nouveau livrés au bon vouloir d’un vainqueur.»
De nombreux viols ont été commis. Comme le rapporte le quotidien américain The New York Times, qui consacre lui aussi un article à ce sujet toujours tabou aux Etats-Unis, le maire du Havre, à l’époque, s’était plaint auprès de l’armée américaine du comportement des soldats, dénonçant «un régime de terreur», «imposé par des bandits en uniforme».
Des révélations qui ternissent une fois de plus la réputation des soldats de l’armée américaine, aujourd’hui au cœur d’un scandale depuis qu’un rapport du Pentagone a révélé que 26.000 militaires avaient été victimes d’un «contact sexuel non sollicité» en 2012. Car, comme le rappelle Atina Grossmann, auteure de Jews, Germans and Allies: Close Encounters in Occupied Germany, l’Histoire n’a retenu qu’une image très valeureuse des alliés américains:
«L’histoire standard, c’est que les Soviétiques étaient les violeurs, les Américains étaient les fraterniseurs et les Britanniques étaient les gentlemen.»
http://www.slate.fr/lien/74173/gi-france-bordel-seconde-guerre-mondiale