Un collectif manifestait jeudi à l’hôpital Tenon pour s’inquiéter de l’accès à l’avortement dans la capitale.
«Non à la casse de l’hôpital.» Jeudi 3 octobre au matin, une trentaine de manifestants investissent le hall de l’hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de Paris. Le collectif Tenon, regroupant habitants et associations du quartier, et quelques membres du personnel, protestent avec des pancartes, en silence. Motif de leur mobilisation : les conditions ne seraient pas réunies selon eux pour permettre une prise en charge correcte des femmes désirant recourir à l’avortement.
Le Centre d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) devait fermer il y a deux ans et avait déjà fait l’objet d’une mobilisation pour obtenir son maintien. Avec à la clé de nouveaux locaux et des personnels à temps complet. Les locaux sont toujours en travaux et les manifestants déplorent surtout le manque d’effectifs : une infirmière assurerait ainsi à elle seule depuis le 1er septembre le fonctionnement du centre, contrairement aux engagements de la direction. Qui a appelé des CRS en renfort pour maîtriser et faire sortir du bâtiment les fauteurs de trouble. Une première, affirment les manifestants, choqués.
Dans leurs rangs, celles qui se sont baptisées les «salopes sont de retour», en référence au manifeste des 343, paru en 1971. Qui sont-elles ? Des femmes qui, dans les années 1970, ont pratiqué des avortements clandestins. Claudine, Anne, Brigitte en ont fait partie. Elles ont des photos de la valise qui recueillait leur matériel en guise de preuve et d’étendard. «Face au manque de moyens, devons-nous revenir à la pratique illégale des avortements ?», s’inquiètent-elles alors qu’aujourd’hui, près d’un quart des IVG est réalisé en Ile-de-France, selon un rapport de l’Agence régionale de santé de juillet 2012.
La direction a finalement reçu une délégation, et exposé ses engagements, en matière de personnel et de calendrier. L’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) affirme ainsi qu’il y aura désormais deux infirmières ainsi qu’une conseillère conjugale, toutes à temps plein. La direction a donné rendez-vous aux collectifs le 4 novembre. La fin des travaux et l’ouverture du nouveau CIVG est prévue pour le 22 octobre.
Goulots d’étranglement
Tenon n’est pas le seul hôpital francilien qui cristallise les inquiétudes sur l’accès des femmes à l’IVG. «Saint-Antoine a disparu, transféré sur Tenon et Trousseau, il y a eu Juvisy, Broussais, Saint-Vincent-de-Paul qui a été remplacé par Port-Royal», égrène Maya Surduts, militante du Collectif national des droits des femmes. «Et ce gouvernement mène la même politique en matière de santé que le précédent», déplore-t-elle.
Fatima Lalem, adjointe du maire Bertrand Delanoë (PS), chargée de l’égalité hommes-femmes, reconnaît qu’il y a des «goulots d’étranglement, des points noirs parmi les structures hospitalières, où ça ne bouge pas». Et le cas de Tenon en est une «illustration parfaite», nécessitant des «rappels à l’ordre», affirme-t-elle. Il y a aussi la maternité des Lilas [qui ne fait pas partie de l’AP-HP, NDLR]. «On ne peut pas accepter qu’il y ait un recul, un désengagement, de grands pôles qui centralisent cette pratique, prévient-elle. Sous peine de nuire à l’accueil et à la qualité.»
«Tension sur l’offre de soins»
«Les femmes ont le droit de choisir», tonne Josée Pepin, du collectif Tenon. «Les trois possibilités doivent être offertes : IVG instrumentale avec anesthésie locale, IVG avec anesthésie générale, ou IVG médicamenteuse. Et elles n’ont pas à subir de délai trop important», s’alarme-t-elle, alors qu’en moyenne, une femme souhaitant passer par l’hôpital public parisien pour recourir à une IVG doit attendre quinze jours pour être prise en charge. «Nous, on ne veut pas d’une usine.»
L’AP-HP reconnaît des «problèmes sur la région, une tension sur l’offre de soins». Mais estime qu’il n’y a pas de dysfonctionnements sur ses seize structures hospitalières qui comptent un CIVG en Ile-de-France. «Nous avons effectué 12 460 avortements en 2012, il y en avait eu 11 889 en 2009. Et dans tous nos centres il y a le choix entre l’IVG médicamenteuse ou instrumentale, mais pas toujours le choix de la méthode d’anesthésie», relève Elisabeth Carricaburu, chef du département périnatalité à l’AP-HP.
«L’avortement, c’est la variable d’ajustement»
Isabelle Louis, directrice de la fédération Ile-de-France du planning familial, n’est pas de cet avis : l’avortement reste selon elle «la variable d’ajustement des hôpitaux». «La tarification à l’acte ne le rend pas rentable : il a été revalorisé de 200 à 300 euros récemment, mais une fausse couche, soit le même procédé par aspiration, est tarifée à 900 euros», pointe-t-elle.
Même analyse du côté de Malika Melou, responsable de la planification à la mairie de Paris, et praticienne au centre de régulation des naissances à l’hôpital Saint-Louis. «Même si on a fait du chemin, et que le taux d’IVG est stable depuis dix ans, ça reste un tabou, et les praticiens ne bénéficient pas d’une reconnaissance suffisante.» Et de conclure : «Il faut que les associations continuent de surveiller cette activité à la loupe.»
Laura FERNANDEZ RODRIGUEZ 4 octobre 2013 à 12:19
SOURCE : Libération