Alors que les femmes sont d’abord perçues comme des victimes de la violence, C. Cardi et G. Pruvost montrent qu’elles peuvent en être les auteures. « Hors cadre », minorée ou invisibilisée, la violence des femmes est indissociable de son image, et atteste de la dimension sexuée de la notion de violence.
Recension de Coline Cardi et Geneviève Pruvost (dir.), 2012, Penser la violence des femmes, La Découverte. Préface d’Arlette Farge. 440 p.,
La violence des femmes a longtemps été un point aveugle des recherches de sciences sociales sur les violences, à quelques rares exceptions près. Le lien entre « femmes » d’une part, et « violence », d’autre part, reste majoritairement envisagé sous l’angle de la victimisation des femmes. Le double défi relevé par les coordinatrices de l’ouvrage « Penser la violence des femmes », Geneviève Pruvost et Coline Cardi, est de réunir un grand nombre de travaux particuliers sur la violence des femmes, au sein de champs et de disciplines variées, tout en proposant dans une longue introduction un cadre théorique et analytique pour penser la violence des femmes. Les articles réunis dans la suite de l’ouvrage déclinent et illustrent ces différentes mises en récit selon quatre grands axes : les violences politiques ; le privé et le politique ; le traitement institutionnel de la violence des femmes ; les figurations et défigurations des femmes violentes.
La violence, ses récits et ses sources
Le véritable point fort de cet ouvrage est en effet de ne pas se limiter à une collection de travaux divers concernant des espaces et des époques différentes, à partir de perspectives sociologiques, historiques, anthropologiques ou littéraires, mais de les inclure dans un cadre théorique solide et original, créant de fait un objet de recherches inédit. Car penser la violence des femmes, c’est à la fois penser son existence, sa possibilité même, en dehors des schémas naturalisant qui l’exclut d’emblée, mais aussi penser le processus de son invisibilisation historique au sein des différentes recherches sur les violences. Dès lors, pour « exhumer, dénaturaliser, contextualiser, historiciser, repolitiser la violence des femmes », les auteures proposent une définition performative de la violence : celle-ci « n’est pas dissociable d’une opération de qualification ». La préface propose donc une classification des « grands récits » de la violence des femmes et des processus menant à leur invisibilisation, à partir des travaux existants mais aussi des travaux inexistants : des formes de violences féminines qui n’ont pas été étudiées ou qui ont été niées, invisibilisées, telles les violences politiques perpétrées par des femmes. L’ouvrage comporte ainsi plusieurs articles qui établissent la participation des femmes aux violences politiques, dans des contextes aussi variés que le Paris pré- et post-révolutionnaire (Clara Chevalier, Jean-Clément Martin) ; la Commune (Quentin Duelermoz) ; le Liban et la Palestine contemporaines (Sonia Dayan-Herzbrun) ; les luttes armées du Pérou et de l’Irlande du Nord (Camille Boutron, Maritza Felices-Luna) ; le génocide rwandais (Violaine Baraduc).
Ces violences ignorées sont qualifiées, au sein d’un premier « grand récit », de « hors cadre » : elles font l’objet d’un non-récit, d’un déni. Ce déni peut mener à leur oubli pur et simple, ou à un constat artificiel de leur nouveauté lorsqu’enfin le regard politique et médiatique se porte sur ces violences. C’est par exemple le cas de la participation des femmes aux violences urbaines et aux différentes formes de délinquance, que certains considèrent comme étant un phénomène récent. David Niget propose ainsi une « généalogie » de la panique morale engendrée par la prétendue « apparition » de la violence des filles : il montre que, contrairement aux titres alarmistes de la presse du XXIe siècle, la violence des filles, notamment issues des quartiers populaires, est loin de constituer une nouveauté et qu’elle a régulièrement fait l’objet de l’attention médiatique et scientifique depuis l’industrialisation au XIXe siècle et l’apparition de la notion de délinquance juvénile. La moindre présence de la violence des filles dans les archives relève selon lui du traitement différentiel des violences commises par les filles et les garçons et en particulier de l’absence de maisons de correction pour filles, celles-ci étant confiées au soin des institutions religieuses. La violence délinquante des filles est aussi mise en évidence par Dominique Duprez qui présente les résultats d’une enquête sur les filles impliquées dans des activités criminelles au Brésil : cette participation des filles n’est presque jamais évoquée par la littérature spécialisée alors que les filles représentent près d’un sixième des mineur.e.s présenté.e.s à la justice.
Pour replacer les violences féminines dans leur contexte historique et montrer leur réalité, Coline Cardi et Geneviève Pruvost proposent de réexaminer systématiquement les sources policières et judicaires d’enregistrement de ces violences, et ce malgré le fait que les instances d’enregistrement des violences sont dépendantes du regard politique porté sur elles : des violences qui ne peuvent exister ne feront pas l’objet d’un enregistrement, ce qui conduit à les considérer a posteriori comme inexistantes.
Le sexe est d’ailleurs l’un des principaux facteurs de la perception plus ou moins grande de la dangerosité d’une personne et de la gravité de ses actes, ainsi que le montre Maxime Lelièvre et Thomas Léonard à propos des procès en comparution immédiate : les femmes y sont presque systématiquement moins condamnées que les hommes, à situation égale. L’inexistence statistique de la violence des femmes implique d’ailleurs sa non-prise en charge par les instances de traitement de la violence : c’est par exemple le cas, développé par Vanessa Watremez, des violences conjugales commises dans des couples lesbiens, qui sont exclues des protocoles de prise en charge des violences conjugales.
Dans leur introduction, les directrices de l’ouvrage ne cachent pas le rôle qu’a pu avoir le mouvement féministe dans cette invisibilisation de la violence des femmes puisque, « du point de vue politique et juridique, il a paru plus important, pour ne pas dire plus urgent, de faire reconnaître les femmes, de par la violence subie, comme victimes de la domination masculine. » L’inévitable hiérarchisation des luttes qui s’en est ensuivie a participé au retard des recherches sur la violence des femmes, mais aussi à la mise en place de politiques publiques de prise en charge de ces violences.
Une violence minorée et naturalisée
La violence des femmes ne peut pas toujours être passée sous silence, et un autre processus de mise en récit, prenant acte de son existence, s’impose alors. Dans ce cas, la violence des femmes est minorée, ou intégrée à une lecture qui permet de la normaliser, de la réintégrer à un cadre théorique rassurant. Les auteures soulignent deux formes antagonistes de mise sous tutelle de la violence des femmes : soit elle est intégrée à une lecture naturalisante du genre, et pensée comme le propre du féminin qu’il convient de civiliser ; soit elle est pensée comme subordonnée à celle des hommes et comme renforçant finalement la domination masculine. La naturalisation de la violence des femmes se décline sous plusieurs formes : culturaliste ; biologisante ; psychologisante. Ces lectures renvoient par exemple les femmes criminelles à une forme d’hystérie qui induit un traitement singulier de la violence des femmes : la mise sous contrôle de leur corps et de leur sexualité, considérés comme responsables de leurs déviances. De ce fait, c’est l’institution médico-psychiatrique qui est le plus souvent chargé du traitement de la violence des femmes, lorsqu’elle est reconnue, alors que les hommes sont soumis aux instances de répression « classiques » : police, justice, prison.
Une autre façon de priver les femmes de la responsabilité de leurs actes de violence consiste à les penser comme un contrecoup de la violence des hommes et de la domination masculine. Les femmes arabes kamikazes étudiées par Sonia Dayan-Herzbrun sont ainsi vues comme les instruments – nécessairement dominés – du fanatisme des hommes alors que les femmes d’Action directe évoquées par Fanny Bugnon sont des amoureuses, victimes de leurs sentiments… Sous un autre angle, les violences commises par des femmes au sein du couple sont aussi souvent considérées comme une conséquence des violences du conjoint. Clothilde Lebas montre à propos des femmes algériennes en situation de rupture familiale qu’elles ne sont pas que des victimes de la violence de leurs maris : elles sont parfois aussi auteures de violences, y compris physiques, contre ces mêmes maris, leurs enfants et retournent aussi souvent la violence contre elles-mêmes. Cette (ré)appropriation de la violence ne peut être envisagée uniquement sous l’angle de la réaction, ce qui priverait une fois de plus ces femmes de leur capacité d’agir. Clothilde Lebas nous suggère au contraire d’envisager ces accès de violences, certes démesurés et excessifs, comme une porte ouverte sur des « lieux du possible » où le pouvoir peut être reconquis. La violence des femmes au sein de la famille est aussi l’objet de l’article de Nehara Feldman qui s’intéresse aux violences quasi-quotidiennes des mères contre leurs enfants au sein d’un village malien.
Un trouble dans l’ordre du genre ?
Une troisième forme de mise en récit renverse l’ordre des sexes et conduit selon les cas à la domination des hommes par les femmes, sur le modèle mythifié des Amazones, ou à une indifférenciation des sexes. Cette troisième façon de traiter la violence des femmes se trouve souvent dans les domaines artistiques et fictionnels, puisque la réalité laisse rarement la place à une violence susceptible de renverser ou de subvertir les rapports de pouvoir entre les sexes. L’article d’Eric Fassin évoque par exemple les figures modernes d’Amazones proposées par le cinéma, du Scum manifesto de Valérie Solanas au Baise-Moi de Virginie Despentes. Celui de Raphaëlle Guidée s’intéresse à la violence politique des femmes dans la littérature et montre à quel point la possibilité même de cette violence bouleverse les catégories de genre.
La violence des femmes n’induit pas nécessairement un renversement de la domination mais peut participer d’un mouvement vers l’égalité, notamment par le biais de l’accès des femmes aux professions qui font usage de la violence (police, armée, etc.). Aussi, l’accès à la violence peut constituer un premier pas vers l’accès au pouvoir politique, comme le montre Dominique Godineau à propos de l’insurrection de mai 1795. L’introduction souligne le paradoxe d’une revendication féministe d’accès à la violence pour les femmes, à l’opposé d’un idéal de non-violence souvent mis en avant par les mouvements féministes. Coline Cardi et Geneviève Pruvost montrent que penser la violence des femmes constitue un enjeu distinct de la revendication de son exercice. Il est ainsi indispensable de reconnaître l’existence de cette violence et de l’étudier afin de mettre fin à son invisibilisation récurrente qui participe à la construction de la différence des sexes. Penser la violence des femmes permet ainsi de remettre en cause les rapports de genre.
En conclusion de leur remarquable introduction, Geneviève Pruvost et Coline Cardi s’interrogent sur la pertinence du genre comme outil d’analyse de la violence. Elles en montrent la nécessité pour repenser les frontières entre violences légitimes et illégitimes, violences visibles et ignorées et finalement entre public et privé. Ainsi, l’ensemble de l’ouvrage constitue un outil essentiel pour penser le genre d’une part, et la violence d’autre part, en proposant à la fois un cadre théorique à la violence des femmes et un grand nombre d’exemples des recherches encore trop rares sur le sujet.
par Alice Debauche , le 14 octobre
SOURCE : www.laviedesidees.fr
«Les femmes tuent mieux»
Sur « Le Matin » :
http://www.lematin.ch/societe/femmes-tuent-mieux/story/25689911
Les femmes commettent bien moins de meurtres que les hommes. Mais quand elles passent à l’acte elles sont plus créatives, selon une experte autrichienne.
Psychiatre, psychothérapeute et experte lors de procès, le Dr Sigrun Rossmanith vient de publier en allemand un ouvrage se demandant si les femmes sont de meilleures tueuses que les hommes. Or après avoir épluché quelque 3000 cas, l’Autrichienne de 61 ans ne se contente pas de la question. Elle y répond par l’affirmative. Ses explications.
Votre livre est intitulé: «Les femmes sont-elles de meilleures meurtrières?» Quelle est la réponse?
Oui, de mon point de vue. Car leurs meurtres sont souvent plus inventifs, créatifs, sophistiqués. Elles doivent développer des stratagèmes pour compenser une moindre force physique, en s’organisant par exemple pour que la victime se retrouve sans défense.
Avez-vous des exemples?
J’aime raconter le cas de cette épouse asiatique infidèle qui avait embrassé fougueusement son amant. Tout en lui glissant une capsule de cyanure dans la bouche et en le forçant à l’avaler… Je ne suis pas certaine qu’un homme aurait eu l’idée de mêler ainsi l’amour et la mort.
Contrairement aux hommes, dites-vous, les femmes ne tuent pas des inconnus.
Il existe des crimes crapuleux, par exemple de toxicomanes en quête d’argent. Mais c’est extrêmement rare. Les femmes tuent à l’intérieur d’une relation. La victime est un conjoint, un amant, un ami. Ou leur enfant.
Est-ce que l’infanticide est une spécialité féminine?
En partie seulement. Juste après la naissance, oui. A ce moment-là, ce ne sont presque que des femmes qui tuent leur nouveau-né, par exemple après un déni de grossesse. Ensuite les chiffres montrent que ce n’est plus vrai: il existant autant de cas d’infanticides masculins que féminins. Mais demeure une autre différence: lors de déchirements conjugaux, il arrive que des pères tuent leurs enfants avant de retourner l’arme contre eux-mêmes. Des mères aussi. Mais elles sont davantage à survivre, à «manquer» leur suicide.
Quand des femmes tuent leur conjoint, est-ce parce qu’elles ont subi des violences?
Ça arrive, bien sûr, mais c’est aussi un cliché persistant: les femmes passant à l’acte seraient toutes d’abord des victimes de violence conjugale. C’est faux. Dans des couples, certaines maltraitent leur conjoint, le frappent, le tuent ou le font tuer. Celles-là n’ont rien de pauvres martyres.
La préméditation est-elle plus fréquente pour les meurtres féminins?
Je ne crois pas. Par contre, les fantasmes meurtriers et la préparation peuvent être plus longs, parfois des mois, voire des années. Les femmes sont souvent plus patientes. Et elles se taisent, elles ne lâchent pas de menaces sous la colère, du genre: «Je vais te tuer!»
Si les femmes tuent mieux et savent dissimuler leurs plans, doit-on comprendre qu’il y a plein de meurtrières qui n’ont jamais été inquiétées?
On ne le sait pas. Mais disons que, personnellement, je préférerais être la cible de la vengeance d’un homme que de celle d’une femme…
On a tous en tête l’image de l’empoisonneuse. Est-ce une réalité?
Statistiquement, les femmes soignent, donnent des médicaments et font davantage la cuisine. Toutes choses qui peuvent être utilisées pour empoisonner. Pourtant l’empoisonnement n’est plus spécifiquement féminin. En partie certainement du fait des progrès de la médecine légale, capable de détecter une grande variété de substances. Les chiffres montrent que les femmes tuent surtout au couteau. En Europe, en tout cas. Aux Etats-Unis, l’arme à feu occupe la première place.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux meurtrières?
J’ai travaillé plus de quinze ans comme experte psychiatre lors de procès. J’ai vu beaucoup de choses démentant cette idée – en partie véhiculée par les féministes – que les femmes seraient plus douces, paisibles, aimantes. Bref: meilleures. Je voulais mettre en lumière ce côté sombre qui me semble plus humain que masculin.
Si les femmes sont aussi sanguinaires que les hommes, pourquoi commettent-elles dix fois moins de meurtres?
Elles sont moins dans la démonstration de l’agressivité et certainement meilleures en gestion de conflit. Mais je crois surtout qu’elles retournent une grande part d’agressivité contre elles-mêmes. Ce qui se traduit par davantage de prises de médicaments, par plus de suicides et tentatives de suicide. Reste que je pense que le potentiel de mort est équitablement réparti entre les sexes.
«Sind Frauen die besseren Mörder?» de Sigrun Rossmanith Amalthea Signum Verlag (en allemand)