INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Québec : printemps étudiant et sexisme

Printemps érable 2012

Retour sur le printemps étudiant de 2012 – Un sexisme difficile à évacuer

Dans Le Devoir des écrivains du mercredi 20 novembre, un article de Martine Delvaux revient sur les dérapages sexistes dans la lutte étudiante de 2012. On y apprend ainsi que le mouvement étudiant n’a pas été épargné par le sexisme et même qu’il aurait été un lieu propice aux cas d’agressions sexuelles.

J’aimerais ici apporter quelques nuances et points de recul vis-à-vis d’un mouvement étudiant qui a parfois de la difficulté à voir la mesure de ses apprentissages. De fait, s’il est question dans l’article de la situation des femmes dans la grève, il aurait été bon d’adopter une perspective plus large et plus juste.

Avant tout, il est important de rappeler une chose : non, la grève n’a pas été une entité autonome flottant au-dessus de la société, mais comme tout mouvement social, elle s’est inscrite dans un contexte social précis, soit celui d’une société où les comportements sexistes sont monnaie courante. Ainsi, reprocher au mouvement étudiant son absence de pureté sur la question du féminisme n’a rien d’une révélation, mais illustre justement qu’il s’est agi d’un mouvement social important qui a rassemblé des personnes plus ou moins conscientisées à la cause féministe et non simplement un cercle militant déjà bien au fait de ces problématiques. C’est même ce qui a fait la force de ce mouvement : sa capacité à rejoindre une large frange de la population et à diffuser des positions non habituelles.

«Reconduction du sexisme»

Or, justement, ce qui est dérangeant dans cet article, c’est qu’il ne s’interroge pas sur les apports du mouvement étudiant à l’égard du féminisme, mais en reste simplement à un constat empirique, à savoir que la grève s’est inscrite dans un tout social et a par là même été le lieu de la « reconduction du sexisme ».

Pourtant, en tant que mouvement social porteur de valeurs progressistes, la grève étudiante a aussi été le lieu d’un apprentissage du féminisme. Les assemblées générales ont par exemple souvent constitué un lieu exemplaire de débats et de réflexions sur la question du féminisme à travers des interrogations sur la mise en place de l’alternance homme-femme et la féminisation des textes. Des études ont été produites sur l’impact important qu’une hausse des droits de scolarité aurait sur les femmes, et des prises de position féministes ont été adoptées. Des « comités-femmes » ont vu le jour au sein d’associations étudiantes qui, jusque-là, n’avaient pas développé de réflexions à ce sujet.

Ainsi, de nombreux étudiants et étudiantes ont été confrontés à des questions qui peut-être auparavant ne les avaient pas effleurés. Des femmes se sont politisées et ont osé prendre la parole publiquement, que ce soit dans les assemblées ou dans la rue, et continuent de s’impliquer aujourd’hui. Ceci est un gain indéniable. Évacuer l’ensemble de ces avancées, ce n’est pas rendre compte de la progression des idées féministes pendant la grève. Et de façon plus large, cela tend à réduire les mouvements sociaux à la simple reproduction de la société existante sans mettre de l’avant leur potentiel progressiste et de changements sociaux, sans montrer les gains de l’engagement social et politique.

Parce que, rappelons-le-nous, la grève n’a pas simplement touché un milieu militant déjà au fait des questions féministes, mais aussi des milieux moins politisés, des milieux où parler de féminisme n’était pas le bienvenu.

 

Blandine Parchemal – Doctorante en philosophie à l’Université de Montréal

SOURCE : Le Devoir

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