INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Un genre de renoncement
Categories: Débats & Critiques

la classe de Mme Baillarjon vers 1929 à Chamoux

Trouvé sur le blog de Christophe Darmangeat.

 

Un genre de renoncement

Nous vivons décidément une époque formidable.

Après une violente campagne contre la loi dite du « mariage pour tous », les obscurantistes de tout poil ont lancé l’offensive contre le prétendu enseignement d’une « théorie du genre », appelant non sans succès les parents à retirer certains jours leur progéniture de l’école. Qui se ressemble s’assemble ; cette campagne a bénéficié des forces conjointes des intégristes catholiques et musulmans, avec à la baguette une disciple du nazillon Soral. Et comme Dieu est amour, il l’est aussi de la trique et du fouet : le combat spirituel fut assorti d’une série de menaces bien senties à l’encontre des parents d’élèves, en particulier de la FCPE, qui avaient eu le courage de s’opposer à ces menées.

On allait donc à l’école de Satan, habiller (ou plutôt déguiser, que Dieu ait pitié de nous) des petits garçons en filles, des petites filles en garçons, parler à tous ces innocents esprits de sexualité et leur apprendre (sic) à se masturber.

Ces fantasmes ont, bien sûr, immédiatement été démentis par les autorités. Non sans que la droite y aille de sa petite calomnie faux-derche, condamnant les rumeurs tout en accusant le gouvernement de contribuer, par son action, à leur existence.

Il est cependant frappant de constater à quel point, même parmi ceux qui s’opposent à ces réactionnaires, bien peu s’élèvent contre le fait que la société déguise massivement, chaque jour et partout, les garçons en garçons, et les filles en filles. Même si l’on en conteste parfois les manifestations les plus outrancières, le marquage sexuel par les vêtements, dès le plus jeune âge, est banal. Il est admis comme une chose allant de soi… et qui fournit une partie du terreau sur lequel prospèrent les préjugés les plus crasses.

Quant à la pudibonderie qui entoure le sexe, de la connaissance duquel il faudrait à toute force préserver les enfants, elle a pour revers le déchaînement de pornographie dont le capitalisme a fait une authentique industrie. Qu’on dise donc que dans une société enfin émancipée, les organes sexuels seront considérés exactement au même titre que la bouche ou les oreilles, le plaisir sexuel au même titre que la gastronomie ou la musique, et que cette attitude est la seule voie pour mettre fin à un certain nombre de calamités. Au demeurant, dans toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs (et dans bien d’autres), les enfants savaient dès leur plus jeune âge ce qu’étaient le sexe et les rapports sexuels, chez les animaux comme chez les adultes. À ce que l’on sache, sur ce plan au moins, elles n’ont pas pour autant fabriqué des générations de névrosés ou d’obsédés – la nôtre ne peut pas forcément en dire autant.

Mais cette affaire, a aussi, une fois de plus, démontré la pusillanimité de gouvernement dit de ce gauche, même sur de simples questions de société. Vincent Peillon, à l’Assemblée Nationale, a en effet cru devoir se justifier en déclarant que si l’école plaide pour l’égalité des sexes, il n’était pas question qu’on y enseigne la théorie du genre (sic).

De nombreux commentateurs (à commencer par sa collègue Najat Vallaut-Belkacem) ont relevé qu’il n’existe aucune c. Le genre est un domaine d’étude, qui s’emploie à montrer comment la société façonne des rôles sexués dans lesquels elle enferme les individus avec plus ou moins de rigueur. En reprenant à son compte le vocable de « théorie du genre », Peillon a offert une concession aussi gratuite qu’inutile à ses adversaires.

Plus fondamentalement, que veut dire l’égalité des sexes, sinon la disparition des genres ?

Soit on en tient pour l’idée que la société doit être organisée selon le principe d’une séparation plus ou moins rigoureuse des sexes, ainsi que l’on fait toutes les sociétés humaines du passé. Cette séparation a pu, dans certaines rares sociétés, se faire de manière relativement équilibrée. Mais qui peut croire que ceux qui, aujourd’hui, prétendent que l’égalité des sexes passe par une telle séparation militent réellement pour l’égalité, et non, en réalité contre elle, à la manière dont les défenseurs de la ségrégation raciale brandissaient hypocritement le slogan « séparés mais égaux » ?  Si la différenciation des rôles sociaux dévolus à chaque sexe n’a pas entraîné de manière systématique l’oppression des femmes, inversement, l’oppression des femmes s’est toujours édifiée sur la base de cette différenciation.

Soit on donne au mot d’ordre d’égalité des sexes le seul sens véritable qu’il puisse avoir : celui consistant à dire que les individus doivent, à tous égards, pouvoir mener la même vie sociale quel que soit leur sexe biologique ; qu’il ne doit exister aucun lieu, aucune carrière, aucun comportement, interdit ou réservé à un sexe plutôt qu’à un autre, dans la loi (c’est à peu près le cas aujourd’hui en France) comme dans les faits (on en est encore très loin). Alors, il faut appeler un chat un chat, et cela la disparition des genres. Et il faut le dire, l’expliquer et le répéter le plus clairement possible, aux enfants comme aux adultes.

Au passage, on peut remarquer à quel point le sexisme est bien plus prégnant et ancré dans nos sociétés que le racisme – bien que les deux idéologies soient, officiellement, tout autant condamnées l’une que l’autre. L’idée que les Noirs et les Blancs, par exemple, devraient rester socialement différents, ne pas occuper les mêmes métiers, faire les mêmes études, jouer les mêmes rôles sociaux, choque beaucoup de monde, et c’est heureux. Mais l’idée que les hommes et les femmes devraient eux aussi occuper indifféremment les mêmes places sociales et s’adonner aux mêmes activités ; autrement dit, que les individus devraient pouvoir vivre leur vie sans que la société leur impose quoi que ce soit en raison de leur sexe, cette idée là est largement moins acceptée. Voyez-vous, la société en deviendrait triste, monotone et uniforme. Eh bien, c’est là que le bât blesse, et c’est là qu’il faut porter le fer.

Les adversaires de l’émancipation des femmes, eux, ne se trompent pas de combat. Tous militent d’une manière ou d’une autre pour le maintien et l’approfondissement de la différenciation sociale des sexes. Les islamistes tunisiens, refusant le terme d’égalité, voulaient inscrire dans la constitution qu’hommes et femmes sont complémentaires. Dalil Boubakeur, le dirigeant du CFCM, déclarait hier à la radio qu’il avait été rassuré par les autorités françaises sur un point fondamental : on n’allait pas enseigner aux enfants que c’est la société qui assigne leur rôle aux hommes et aux femmes, puisque cette assignation est l’oeuvre de Dieu. Quant à la mouvance intégriste chrétienne mobilisée depuis la campagne contre le mariage pour tous, elle aussi pilonne le clou de la préservation de différence sociale entre hommes femmes, pilier de la Sainte Famille Éternelle et de toute civilisation (amen).

Face à ces idées d’un autre âge, il faut opposer la dernière des fermetés, et affirmer haut et fort que l’égalité des sexes, c’est la disparition des genres ; que tus les gens de progrès doivent le comprendre, et le défendre ; que la société de l’avenir sera celle d’individus libres, sur lesquels ne pèsera aucune contrainte liée à leur couleur de peau, à leur lieu de naissance, à leur patrimoine biologique – et, ajouterai-je, à leur compte en banque. Toute concession, tout recul sur ce terrain n’est pas de la bonne tactique, mais de la faiblesse, qui prépare les défaites futures.

 

SOURCE : http://cdarmangeat.blogspot.fr

 

 

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