INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Égypte : cauchemar démographique

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Égypte, la natalité repart à la hausse

Le cauchemar démographique

Un million d’Égyptiens sont nés entre août et décembre 2013. La natalité est repartie à la hausse dans ce pays déjà surpeuplé. Pourtant, les autorités ont, dès les années 1960, mis en place un programme de planning familial. Son succès reste mitigé : la baisse de la fécondité se heurte à une multitude d’obstacles.

En Égypte, la surpopulation reste un problème. Le pays compte 86 millions d’habitants alors que 95 % de sa superficie reste désertique. Pourtant, depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs perçoivent la démographie comme une menace au développement socio-économique et tentent d’y remédier. À partir des années 1960, les autorités ont mis en place une véritable politique déjà reconnue comme légitime par les autorités musulmanes du pays au début des années 1950. Pourtant, le résultat apparaît aujourd’hui mitigé. La dernière estimation officielle du taux de fécondité est de 3 enfants par femme en 2008. Comment expliquer la persistance de ce niveau moyen ? De nombreuses études ont été menées sur l’évolution de la fécondité égyptienne et sur les facteurs qui ont empêché et qui empêchent toujours sa réduction et l’atteinte du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme).

L’hypothèse principale repose sur le fait que la fécondité se maintient pour plusieurs raisons, notamment :

- le contexte institutionnel,

- le traditionalisme religieux,

- la crise économique et la pauvreté,

- la situation politique,

- le rôle des femmes dans la société,

- le mariage précoce,

- la situation sanitaire.

Il s’agit donc d’examiner les facteurs qui influencent le désir (ou le non désir) d’enfants, d’observer le contexte politique dans lequel se produit la transition démographique — à savoir les effets économiques, sociaux, politiques ou religieux que peuvent avoir les institutions sur ces comportements. Il n’existe pas de transition démographique unique : chaque système de société offre les possibilités et les contraintes à l’intérieur desquelles se font les choix en matière de fécondité.

Baisse de la mortalité

La transition démographique d’une population s’analyse à partir de deux critères fondamentaux : la baisse de la mortalité et l’évolution de sa fécondité. L’Égypte a longtemps été sous-peuplée. À partir du début du XXe siècle, elle est devenue, grâce à une baisse rapide de la mortalité et à un niveau élevé de natalité, l’un des premiers pays à être considéré comme surpeuplé. Des progrès en matière de mortalité générale et infantile sont déjà enregistrés au XIXe siècle1 Résultat, le taux de mortalité général est passé de 17 ‰ au début des années 1960 à 6 ‰ au début des années 1990. Le taux de mortalité infantile s’est aussi amélioré : de 200 ‰ enregistrés au début des années 1950, il est passé à 25 ‰ en 2008.

Mais la natalité, elle, a commencé à baisser bien plus tard, entraînant une remarquable croissance de la population. Elle n’a pas cessé d’augmenter au cours du XXe siècle, en particulier à partir des années 1950 (fig. 1) : elle est passée d’environ 20 à 50 millions d’habitants en 1986 pour atteindre donc plus de 86 millions d’habitants en 2014.

Les autorités ont donc mis en place un système de planning familial. Il a eu quelques effets, mais des années 1950 au milieu des années 1980, la baisse a procédé en dents de scie. « L’Égypte n’a pas connu une transition démographique sans à-coups […]. La politique de population suivie, avec pour résultat une baisse rapide de la fécondité dans les années soixante, a été rapidement remise en question après la mort de Nasser. »2. Le démographe Philippe Fargues définit la courbe de la natalité égyptienne comme « erratique » : la baisse qui s’est produite à l’époque du président Gamal Abdel Nasser (1954-1970) serait due selon lui à la scolarisation de masse3. Sous la présidence de Anouar al-Sadate (1970-1981), les conditions de vie s’améliorent après l’ouverture économique du pays et la natalité repart. Au cours des années 1990 et jusqu’à aujourd’hui, l’indice synthétique de fécondité (ISF) est resté plutôt stable : entre 1995 et 2008, il est passé de 3,6 à 3 enfants par femme.

Parmi les facteurs qui aident à maintenir un niveau de fécondité élevé, l’âge au mariage joue un rôle fondamental. Pour les femmes, l’âge moyen au premier mariage a peu progressé, de 20 à 23 ans entre 1960 et 2008. Le mariage reste un phénomène très répandu pour les femmes, la proportion de célibataires à 45-49 ans est seulement de 1,9 %.

Progrès de la contraception

L’usage de la contraception s’est quant à lui étendu. Si en 1974, la proportion des femmes qui utilisaient une méthode de contraception (traditionnelle ou moderne) était de 26,5 %, en 2008, elle avait plus que doublé (60,3 %). L’éducation féminine a eu un effet positif dans le processus de baisse de la fécondité ; a contrario l’interprétation des effets de l’emploi des Égyptiennes sur leur fécondité est plus controversée. Le recours à l’activité est souvent une nécessité économique, surtout dans la période des fiançailles et celle qui suit le mariage. Pour comprendre les mécanismes complexes du marché du travail féminin, il faut regarder au-delà des choix individuels et observer le rôle des individus dans la société et les règles et contraintes qui gouvernent la famille et la société.

La religion joue elle aussi un rôle important dans le maintien d’une fécondité relativement élevée. Les autorités officielles, coptes et musulmanes, ont perdu de leur influence au profit d’une plus stricte interprétation de la religion, qui a conduit à une résurgence du fondamentalisme utilisé par les adversaires du régime de Hosni Moubarak. Les changements au niveau démographique ne pourront donc être complètement achevés s’il n’existe pas une réelle volonté politique de remettre en cause la définition de la famille et des rapports de genre, dans un sens plus égalitaire. Le conformisme religieux aurait pour conséquence la constance des comportements démographiques traditionnels, par exemple, par rapport à la formation des couples et à la sexualité.

Les facteurs économiques ne peuvent être ignorés. L’économie est caractérisée par des inégalités de revenus très importantes. Elle est fortement dépendante des aides de l’étranger et de plusieurs types de rentes. Nombre de ménages se trouvent en situation de pauvreté et ont recours au secteur informel pour arriver à joindre les deux bouts. Du fait de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, le pays a été très exposé aux crises économiques internationales qui ont pour conséquence des périodes de stagnation et de récession. Ces crises auraient eu une importance fondamentale dans la baisse de la fécondité, notamment chez les classes pauvres. En effet, la fécondité de ces ménages a baissé constamment dans les dernières décennies grâce à la contraception. Dans les classes moyennes et supérieures, la fécondité est restée assez stable dans la période 1988-2008.

Ces deux facteurs, religieux et économiques, affectent donc le taux de fécondité, de façon opposée. La crise économique contribue actuellement à la baisse des naissances et le facteur institutionnel concourt fortement à son maintien. Dans ce cadre s’inscrit l’immense révolte qui a secoué l’Égypte et qui a mené au départ de Hosni Moubarak après plus de trente ans de règne. Une révolution menée tout d’abord par un nombre extraordinaire de jeunes. Les moins de 30 ans représentent 61 % des Égyptiens. Ils peuvent encore jouer un grand rôle car ils représentent une ressource et une richesse pour le développement, la transition démocratique du pays et permettront d’introduire des comportements innovateurs qui vont amener à compléter la transition démographique.

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