En Inde, le «package GPA» enrichit plus les cliniques que les mères porteuses
Avec le vide législatif, chaque médecin se fixe ses propres règles, menant à une grande hétérogénéité des pratiques.
Le 29 janvier, une jeune femme décédait dans une clinique de New Delhi après un prélèvement d’ovocytes. Quelques jours auparavant, la Haute cour de Mumbai demandait à la police d’approfondir ses investigations sur la mort d’une adolescente de 17 ans survenue en 2010, après sa troisième ponction ovocytaire dans une clinique de la capitale économique indienne.
«Mort dans l’industrie de la naissance»: si ce n’est quelques articles publiés dans la presse indienne, ces affaires ne retiennent guère l’attention. Elles dévoilent pourtant un secteur aux nombreuses zones d’ombre. La procréation médicalement assistée, dont la gestation pour autrui (GPA), n’est soumise en Inde à aucun encadrement législatif.
Les cliniques dites «de la fertilité» se sont multipliées ces dernières années dans le pays. Il y aurait près de 3.000 établissements. Mais en l’absence de toute procédure d’enregistrement auprès des autorités, ce ne sont que des estimations. D’autant plus que ce chiffre serait en augmentation constante. Dans une étude de terrain, l’organisation féministe indienne Sama constatait que ces cliniques n’étaient plus l’apanage des grands centres urbains, mais commençaient à ouvrir leurs portes dans les zones rurales.
Toutes ne pratiquent cependant pas la GPA. Cette dernière représenterait 7% des activités de procréation assistée, après la fécondation in vitro et l’insémination intra-utérine. Mais encore une fois, il ne peut s’agir là que de suppositions. En réalité, «il n’y a aucun moyen de savoir combien de GPA sont réalisées aujourd’hui en Inde», conclut l’obstétricienne danoise Birgitte Bruun Nielsen qui effectue des recherches sur le sujet. «Il existe 3-4 études de terrain sur la GPA en Inde, mais pas d’information centralisée», précise l’universitaire Sunita Reddy, qui enseigne à la Jawaharlal Nehru University.
Certaines cliniques, qui se sont spécialisées dans la GPA, en pratiquent plusieurs par mois. Ce sont souvent les cliniques les plus médiatisées, comme celle du Dr Patel dans le Gujarat, qui est notamment connue pour sa maison des mères porteuses. Les mères porteuses y séjournent du début à la fin de la grossesse, surveillées par des soignants. Sauf cas exceptionnel, elles ne peuvent se rendre chez elles. Cet enfermement forcé est pour le docteur Patel le meilleur moyen de s’assurer de la santé des mères porteuses et des fœtus. Après plus de 700 GPA, cette gynécologue se présente comme une grande spécialiste du sujet et aime à insister sur le caractère éthique des règles qu’elle s’est donnée.
L’image de la GPA en Inde s’arrête souvent à cette clinique, surnommée l’«usine à bébés». Elle n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg, une vitrine de la GPA indienne en quelque sorte. Car dans la situation actuelle de vide législatif, chaque médecin se fixe ses propres règles, menant à une grande hétérogénéité des pratiques.
En Inde, la préférence pour un enfant «biologique» plutôt que pour l’adoption fait opter les couples infertiles pour toutes les techniques possibles de reproduction médicalement assistée, qui utilisent si ce n’est les deux, au moins un gamète des parents. Des stars indiennes, comme l’acteur de Bollywood Shahrukh Khan, ont ainsi récemment eu recours à la GPA, popularisant ainsi la pratique.
Chez les étrangers, qui sont une part non négligeable des parents commanditaires, la quasi-absence de temps d’attente et le coût comparativement faible expliquent l’attrait pour l’Inde. Les cliniques du sous-continent n’ont pas de difficulté à trouver des femmes prêtes à être mères porteuses dans l’espoir de sortir leur famille de la pauvreté.
La clinique New Life, où est décédée Yuma Sherpa fin janvier, propose un «package GPA» avec les gamètes des parents commanditaires pour 17.500 euros. Cela peut être moins dans d’autres établissements. C’est quatre fois moins cher qu’aux Etats-Unis.
Des ovules d’Indienne? De type «caucasien»?
La mère porteuse touchera 3.800 euros à l’accouchement et 1.300 euros pour ses frais au cours de la grossesse, qu’elle passera chez elle. Les 12.000 euros restants reviendront à la clinique, confirmant la remarque de la sociologue Tulsi Patel:
«Les cliniques et les docteurs sont ceux qui font le plus d’argent.»
La clinique New Life propose aussi des «packages» avec deux mères porteuses à la fois, pour multiplier les chances de grossesse. Sa directrice Sonia Arora, qui déclare implanter trois embryons à la fois, facture un supplément de 730 euros versé aux mères porteuses en cas de grossesse gémellaire. Une perte d’utérus au cours de la GPA sera indemnisée 1.100 euros. Beaucoup de cliniques ne prévoient pas ces possibilités. «Si quelque chose se passe mal, s’il y a une anormalité, il n’y a aucune sécurité», reconnaît R.S. Sharma, le directeur de la division Procréation assistée au sein du Conseil indien de la Recherche médicale.
La GPA implique aussi parfois des donneurs de gamètes, spermatozoïdes et ovocytes dans les cas où ceux des parents commanditaires ne peuvent être utilisés. Les cliniques ont recours à des ovules qui ne sont pas ceux de la mère porteuse afin d’éviter la moindre revendication biologique de cette dernière sur l’enfant. Des ponctions ovocytaires moyennant rémunération sont organisées par les cliniques ou par des banques de gamètes.
C’est à la suite des opérations de ce type que sont décédées Yuma Sherpa le 29 janvier 2014 et Sushma Pandey en 2010. Les jeunes femmes ignoraient tout du syndrome d’hyperstimulation ovarienne. Causé par les injections de gonadotrophine qui ont pour but d’entraîner l’ovulation de plusieurs ovocytes à la fois, cette réaction est potentiellement mortelle. Aucune assurance n’était prévue en cas de décès.
Ces femmes sont souvent recrutées par des agents, qui touchent une commission de la clinique. Les établissements cherchent en priorité des jeunes femmes –car les chances de voir aboutir une grossesse sont alors plus élevées– mais ayant déjà été enceintes, cela attestant de leur fertilité.
Viennent ensuite des caractéristiques physiques qui doivent correspondre aux désirs des parents commanditaires. Une ressemblance avec la mère ou une grande taille et une peau claire sont en général appréciées. Ainsi les profils dit caucasiens sont particulièrement recherchés.
A New Life Clinic, pour une GPA avec les ovules d’une Indienne, il faut ajouter 3.000 euros au 17.500 de base. Pour des ovules caucasiens, le supplément s’élève à 7.300 euros. Le site en ligne propose des donneuses géorgiennes, polonaises, ukrainiennes, d’Afrique du Sud ou encore thaïlandaises, mexicaines et indiennes.
Encore une fois, la femme dont on prélève les ovules ne recevra qu’une maigre partie de ces sommes. Officiellement 730 euros pour les Indiennes. Mais il n’avait pourtant été promis à Yuma Sherpa que 300 euros, d’après des proches de la jeune femme décédée.
Le Conseil indien de la Recherche médicale recommande de limiter les ponctions ovocytaires aux femmes ayant entre 21 ans et 35 ans, et de ne pas les répéter plus de six fois sur une même personne, en les espaçant d’au moins trois mois. Mais dans la réalité, ces consignes qui n’ont pas force de loi, ne sont pas suivies. Des adolescentes sont recrutées avant leur majorité, comme la jeune mumbaite décédée à 17 ans, alors qu’elle en était déjà à sa troisième ponction ovocytaire. Des femmes sont ponctionnées tous les deux mois.
De plus en plus de césariennes
Pour les mères porteuses, les recommandations officielles ne sont pas plus suivies. «Aujourd’hui toute femme quel que soit son âge ou le nombre d’enfants qu’elle a eu, peut être une mère porteuse», reconnaît R.S. Sharma.
Jusqu’à six embryons sont transférés à la fois, multipliant les risques pour la mère porteuse. Les césariennes sont massivement pratiquées lors de l’accouchement «car les parents commanditaires veulent être là le jour de la naissance. On organise donc la césarienne en accord avec les billets d’avion. Et aussi, car il ne doit y avoir absolument aucun problème avec le bébé lors de l’accouchement», explique l’obstétricienne Birgitte Bruun Nielsen. Quant aux soins post-partum, ils sont faibles, voire inexistants, les mères porteuses rentrant chez elles dès que possible après l’accouchement.
«Il y a un problème de consentement informé. En raison de l’illétrisme de certaines mères porteuses, leur niveau de compréhension et donc de consentement à la GPA est faible», regrette l’obstétricienne danoise.
En l’absence d’encadrement législatif, les contrats entre les différentes parties sont laissés à la discrétion des cliniques et l’information n’est pas également répartie.
En 2008, le feu médiatique de l’affaire du bébé Manji avait pourtant accéléré la rédaction d’un projet de loi. Des trois mères de cette petite fille née sous GPA –la mère porteuse, la mère biologique ayant fourni l’ovule et la mère commanditaire– aucune ne voulait de l’enfant. Le couple de commanditaires japonais ayant divorcé au cours de la grossesse, la mère ne voulait plus du nouveau-né. Manji a finalement été récupérée par son père commanditaire, qui était aussi son père biologique, après plusieurs semaines d’un véritable casse-tête administratif.
Mais ce projet de loi finalisé en 2009, puis retouché en 2010, semble depuis avoir été oublié dans les couloirs du Parlement. «Ce n’est pas considéré comme une priorité. Et tant que cela ne sera pas dans l’agenda officiel, la loi ne sera pas votée. Peut-être le sera-t-elle dans un an, ou deux, mais rien n’est moins certain», analyse le juriste Rajeev Dhavan qui a participé à la rédaction du projet de loi.
Aucune loi
Le texte ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Des organisations féministes lui reprochent notamment d’apporter finalement peu de protection aux mères porteuses. Pourtant, «il faut que cette loi passe, cela fait quinze ans que l’on y travaille», s’impatiente R.S. Sharma. Mais en attendant qu’une lucarne se dégage dans l’agenda parlementaire, le directeur de la division Procréation assistée tente de convaincre les pays étrangers de reconnaître les enfants nés sous GPA en Inde. En voyage en France l’été dernier, sa principale préoccupation était que les enfants avec des parents commanditaires français soient reconnus par la France.
Depuis l’automne 2013, l’Inde demande un visa médical aux couples se rendant en Inde pour y réaliser une GPA. Pour l’obtenir, une lettre de l’ambassade certifiant que l’enfant sera bien reconnu dans le pays des parents commanditaires est nécessaire.
Les cliniques contactées confirment que l’ambassade française ne délivre pas ces attestations, «à moins peut-être d’avoir un contact particulier au sein de l’ambassade». Mais des sources au sein de l’ambassade expliquent qu’il est arrivé par le passé que des parents avec des visas de tourisme se présentent avec un enfant né par GPA, en demandant des papiers pour le nouveau-né. Il est encore trop tôt pour savoir si la nouvelle directive concernant le visa médical sera respectée par toutes les cliniques et si des cas similaires se reproduiront.
Il en est de même pour une autre directive du ministère de l’Intérieur indien qui prévoit de réserver la GPA aux couples hétérosexuels. Une décision qui exclut les couples homosexuels et les parents seuls qui jusqu’alors avaient recours à la GPA en Inde.
Ce sont là les seuls encadrements étatiques existants pour l’heure. Mais savoir s’ils seront suivis sur le terrain ne sera pas aisé. Tant qu’aucune loi ne régira ce secteur et qu’aucune instance ne sera chargée de contrôler son application, la partie immergée de la GPA indienne ne sera perceptible que par intermittence, à l’occasion de drames comme celui du décès de Yuma Sherpa.
Hélène Ferrarini
SOURCE : Slate.fr