Les 9 mensonges à propos du porno féministe
Les 4, 5, et 6 avril ont eu lieu à Toronto les Feminist porn awards qui récompensent les réalisatrices féministes du monde entier, suivis du Feminist Porn Conference, organisé au sein de l’Université de Toronto. L’occasion de se pencher sur les âneries et mensonges entendus à propos du porno féministe. Mais qu’est-ce que c’est au juste ?
– « Porno féminin et porno féministe, c’est la même chose »
Oui et non. Historiquement, oui. Les pionnières du porno féminin sont toutes des militantes féministes. Le terme pornographie féminine est donc d’une certaine manière adéquat. Je l’emploie moi-même souvent. Cependant, au fil des années, certains studios / labels / diffuseurs ont compris qu’il y avait potentiellement de l’argent à se faire avec un public en voie de féminisation. C’est ainsi que l’on a vu des pornos qui n’avaient strictement rien de féministes, parfois réalisés par des hommes, ou par d’anciennes actrices qui se contentaient de signer leur nom sur la jaquette, être étiquetés « porno féminin ». Quelques studios américains ont d’ailleurs décidé de se lancer sur ce marché de niche, pensant satisfaire une audience féminine en produisant des navets esthétisants tournés sans préservatif et où les couples aux physiques caricaturaux enchaînent les mêmes positions que dans les autres pornos mais au ralenti. Bref, le même sexisme mais version soporifique. C’est la récupération spectaculaire, au sens de Guy Debord, d’un mouvement de libération.
– « Le porno féministe est une invention récente, créé par l’industrie du X pour attirer un public féminin »
Non. La pornographie féminine a été créée par d’anciennes actrices, militantes pour les droits des travailleuses du sexe, et désireuses de mieux représenter les sexualités féminines à l’écran. Le premier film s’inscrivant dans cette mouvance est « Deep inside Annie Sprinkle » (1981). En 1984, Candida Royalle a fondé Femme production, le premier studio de pornographie féminine. Le phénomène n’est donc pas nouveau, bien qu’il ait fallu attendre 1997 pour qu’il arrive en Europe, lorsque Lars Von Trier a décidé de produire des films tels que Constance, Pink Prison, et All About Anna.
– « Le porno féministe est exclusivement américain »
Le porno féministe, bien qu’il soit américain à l’origine, est en pleine voie d’expansion. La majorité des réalisatrices sont effectivement américaines. Mais on en trouve en Australie, Grande-Bretagne, Allemagne, Canada, Espagne, en Suède, et, cocorico, en France.
– « Il y a certains pornos réalisés par des hommes qui plaisent aux femmes et qui peuvent se revendiquer « porno féminin« »
Ah non, certainement pas. Effectivement, 30% des spectateurs de vidéos pornographiques sont actuellement des femmes, et ce à quoi elles ont accès n’a généralement rien de féministe. Ce qui ne les empêchent pas, pour certaines, de s’exciter devant. J’ai déjà rencontré des femmes affirmant se masturber devant des scènes d’une grande violence où l’actrice est sodomisée jusqu’à la glotte, se prend des paires de baffes, et se fait recouvrir de sperme. Le tout sans préservatif, sinon ce ne serait pas drôle. Soit, chacune a le droit de fantasmer sur ce qu’elle veut et personne n’a à en juger. De là à prétendre que ces films peuvent revendiquer leur statut de « porno féminin » sous prétexte qu’ils plaisent à certaines femmes, il ne faut peut-être pas charrier.
Dans un tout autre genre, j’ai déjà entendu (plus dans la bouche d’hommes que de femmes, d’ailleurs) que les vignettes soft et esthétiques, telles que celles d’Andrew Blake où les actrices secouent leur cheveux comme dans une pub pour shampoing, pouvaient également être considérées comme du « porno féminin ». Non, ce n’est pas non plus l’idée. Le porno féministe ne se contente pas de vouloir plaire à un public féminin. Il est aussi chargé de revendications, et souhaitent déconstruire les stéréotypes.
– « Le porno féministe, ça ne correspond à rien de concret »
Que les choses soient claires : le porno féministe n’est pas un concept approximatif et fumeux. C’est un mouvement, artistique et politique. Il est peuplé de gens, principalement des femmes mais aussi des transgenres et des hommes, qui revendiquent appartenir à ce mouvement et s’y impliquent. Beaucoup écrivent en parallèle des articles et livres, participent à des conférences, organisent des lectures, happenings, festivals, et manifestations. Ces personnes militent en général pour les droits des travailleur(se)s du sexe, contre l’homophobie, pour la reconnaissance des transgenres, pour le safe sex et, par conséquent, pour l’utilisation des divers moyens de protection sur les tournages.
– « Affirmer qu’il existe un porno féminin, c’est enfermer les femmes dans un stéréotype »
Ah, voilà l’attaque classique tant entendue, faisant croire qu’en fait ce n’est pas le porno classique qui serait générateur de stéréotypes, mais que ce seraient nous, les vilaines réalisatrices féministes, qui enfermeraient les femmes dans un cliché. On croit rêver. C’est le discours d’un James Deen ou d’une Stoya, qui ont tourné dans des centaines de gonzos on ne peut plus normatifs, et qui accusent les féministes d’empêcher les femmes de découvrir leur « vraie » sexualité (traduction : la sexualité où la femme a pour rôle unique de sucer, de se faire pénétrer, et éventuellement de faire comme si elle jouissait pour satisfaire l’ego de celui qui la culbute). En fait cette histoire de « vraie » sexualité féminine basée sur le coït, c’est un peu Freud version moderne.
– « Oui mais à l’écran, un film féministe ne se distingue pas d’un porno classique »
C’est sans doute parce que vous n’en avez pas regardés beaucoup. Un film féministe se distingue par plusieurs critères :
– Une femme doit être à l’origine du projet, et impliquée dans la réalisation, l’écriture, et/ou éventuellement dans la production.
– Les règles de safe sexe doivent être respectées, et les conditions de travail des « performeurs » également.
– Peu importent les pratiques, la jouissance féminine doit être représentée. Ce doit être d’ailleurs le coeur du projet. Ô surprise, cette jouissance n’est, la majorité du temps, pas générée par un coït.
– Toutes les beautés peuvent être représentées. On ne se limite pas à l’actrice mince, blanche, et imberbe, de 20 ans.
– Les rôles assignés à chaque genre peuvent être brisés, les stéréotypes doivent être détruits.
– « Le porno féministe représente une sexualité réductrice pleine d’interdits »
Il n’y a pas un seul porno féministe, il y en a pour tous les goûts. Il y a Shine louise Houston et James Darling qui réalisent du porno queer. Il y a Tristan Taormino qui se consacre à l’éducation sexuelle pour couples. Il y a Madison Young qui se met en scène soumise. Il y a Pandora Blake qui donne des fessées. Il y a l’acteur Wolf Hudson à qui cela ne pose pas de problème d’être filmé en talons hauts. Il y a Courtney Trouble et ses Lesbian curves. Il y a Tobi Hill-Meyer, femme transgenre, qui revendique avec son Doing it ourselves le droit pour les trans de mettre en scène leur propre sexualité. Il y a, dans un style plus hétéro, Erika Lust qui soigne énormément son image. Il y a des vignettes comme celles des suédoises de Dirty Diaries, ou celles de la française Lucie Blush. Il y a les australiennes qui bravent les lois anti-pornographie en tournant des films dans leur pays. Il y a Jennifer Lyonbell, Anna Brownfield et moi qui scénarisons énormément nos films. Et il y a toutes celles que j’oublie.
– « Le porno féministe exclue les hommes »
Non, les pornographes féministes n’ont aucune envie de couper les testicules des hommes et de s’en faire des boucles d’oreilles. Elles estiment que la plupart des porno sont excluants, de part la pauvreté des pratiques représentées, et de part les beautés souvent caricaturales. Au contraire, au lieu d’exclure, elles accueillent tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans la plupart des pornos, hommes compris.
Ovidie
SOURCE : http://www.metronews.fr/blog/ovidie