Les travailleurs du textile sont moins payés en Europe de l’Est qu’en Chine
Dans une dizaine de pays d’Europe de l’Est, les conditions de travail sont parfois pires qu’en Chine ou en Indonésie, selon un nouveau rapport. Le mythe du « Made in Europe » est en train de s’effriter.
Les entreprises comme H&M, Zara, Hugo Boss, Adidas et Benetton paient le salaire minimum à leurs travailleurs en Europe de l’Est et en Turquie. Ces montants sont en dessous du seuil de pauvreté défini par le Comité européen des droits sociaux.
L’alliance défendant les droits des travailleurs du textile, Clean Clothes Campaign vient de publier un rapport. Il en ressort que la Moldavie et l’Ukraine ont le salaire minimum net le plus bas avec respectivement 71 et 80 euros par mois. La Croatie connaît le salaire « le plus élevé » dans la région étudiée avec 308 euros par mois, ce qui est « bien en dessous du salaire minimum vital ».
En Chine, le salaire minimum s’élève à 175 euros, contre 196 euros en Malaisie.
« Je suis économiste de formation. Mais, en raison du manque d’offres d’emploi, je dois coudre. Là-bas [dans l’atelier], les gens travaillent comme des robots. Ils n’ont pas droit au repos. Les nerfs lâchent, les yeux sont abîmés », témoigne un travailleur bulgare sous couvert d’anonymat sur le site de la campagne.
Les travailleurs interrogés se plaignent également de ne pas pouvoir prendre de jours de congé ou même de congé maladie. Les travailleurs roumains disent être contraints de faire des heures supplémentaires pour pouvoir gagner le salaire minimum.
Certains salariés sont parfois contraints de travailler jusqu’à 200 heures par mois, révèle l’enquête. Un travailleur bulgare a même déclaré qu’il avait déjà dû travailler « jusqu’à 400 heures par mois ».
« Dans la pratique, le salaire minimum légal est souvent le plafond et non la base pour les salaires », selon Clean Clothes Campaign.
Trois millions de travailleurs concernés
Clean Clothes Campaign, composé de syndicats et d’ONG dans 16 pays européens, indique que trois millions de travailleurs sont victimes de conditions de travail épouvantables. Étant donné qu’une famille dans la région est constituée de trois personnes en moyenne, cela veut dire que 9 millions de personnes dépendent de l’industrie du vêtement et des chaussures.
« Les salaires de misère dans ce secteur ont dès lors un impact direct sur les moyens de subsistance de ces 9 millions de personnes et restreignent leurs chances de sortir de la pauvreté et de l’exclusion liée à la pauvreté », révèle le rapport.
Interdiction de tomber enceinte chez Hugo Boss
Pour les femmes, les conditions de travail sont même pires, selon les auteurs.
Outre le harcèlement sexuel perpétré par leurs employeurs, un groupe de travailleuses turques admet avoir signé « une clause leur interdisant de tomber enceintes au cours des cinq prochaines années » avec Hugo Boss.
« L’un des travailleurs interrogés a affirmé que l’une de ses collègues avait décidé de subir un avortement de peur de perdre son emploi », peut-on lire dans le rapport.
Dans bon nombre de ces pays, les femmes sont les seules sources de revenus pour la famille. Elles doivent en outre s’occuper de leurs enfants et de leurs parents. En Macédoine par exemple, de nombreuses travailleuses sont des mères célibataires. Leur manière de pouvoir payer une assurance maladie est d’avoir un contrat, peu importe le contenu de celui-ci.
« Les témoignages des femmes mettent en lumière les trois fardeaux qu’elles ressentent : être responsable de la famille en exerçant un travail rémunéré, faire le ménage et cultiver un potager pour contribuer à leurs salaires de misère », écrivent les auteurs du rapport.
La forte dépendance des femmes à leur emploi est une occasion supplémentaire pour l’employeur de contraindre les travailleuses à accepter les pires conditions de travail, concluent-ils.
Une enquête menée auprès de quatre sites de production Hugo Boss en Croatie et en Turquie montre également que les travailleurs n’ont pas le droit de mener des négociations collectives. Ils font également l’objet d’intimidation et les femmes sont harcelées sexuellement.
Dans un mail, l’entreprise « rejette les allégations mentionnées et n’en a jamais reçu les preuves. Hugo Boss collabore avec des fabricants sélectionnés avec qui des relations de confiance ont été établies pendant plusieurs années. C’est la raison pour laquelle nous connaissons bien ces entreprises. Le respect de nos normes sociales et au niveau de la sécurité fait régulièrement l’objet de contrôles indépendants menés par des consultants externes ainsi que par nos propres chefs d’équipe Hugo Boss. »
Dans la plupart de ces pays, les lois ont été mises en place pour compliquer le travail des syndicats alors que les médias diffusent des messages antisyndicats et la pression des employeurs contre les syndicats « a toujours été justifiée par la situation difficile dans le secteur et par la concurrence internationale ».
« On considère que les syndicats ruinent les entreprises […] et le gouvernement agit en faveur de la direction », affirment les auteurs de l’étude.
Le rapport met également au jour « des pratiques de vol de salaire » dans toute la région. Elles comprennent par exemple le non-octroi de jours de congé et de versements en espèce, le non-paiement des allocations sociales ainsi que l’utilisation détournée des périodes d’essai et des programmes d’apprentissage. Les minorités, les réfugiés et les immigrants sont aussi victimes de discriminations salariales.
Recommandations
Clean Clothes Campaign demande aux gouvernements et aux institutions européennes « d’augmenter le salaire minimum à au moins 60 % du salaire national moyen et de responsabiliser les multinationales dans leurs actions au sein de la chaîne d’approvisionnement et de garantir que les marques respectent les droits de l’Homme et des travailleurs ».
Hugo Boss Allemagne a rejeté les accusations énoncées dans l’étude dans un e-mail envoyé à EurActiv :
« Les normes sociales d’Hugo Boss se fondent sur la convention de l’Organisation internationale du travail et sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme et contiennent de nombreuses mesures en vue de garantir un salaire minimum, des horaires de travail réglementés, la santé et la sécurité sur le lieu de travail ainsi que l’interdiction du travail des enfants.
On ne peut ni parler de pratiques illégales envers nos travailleurs ni de salaire de misère, étant donné que nous veillons strictement à ce que nos partenaires respectent au moins le salaire minimum légal, comme cela se fait d’habitude dans l’ensemble de l’industrie. »
Euratex, la confédération européenne représentant les industries du textile et des vêtements au niveau des institutions européennes, a expliqué à EurActiv dans un communiqué :
« Il semble que l’enquête de Clean Clothes Campaign ne mette en avant que sur l’industrie des vêtements et non sur l’industrie textile. Parmi les marques mentionnées, bon nombre d’entre elles sont principalement des détaillants (comme H&M).J’aimerais souligner que seulement 4 États membres de l’UE font partie des principaux pays cités dans le rapport (Bulgarie, Croatie, Roumanie, Slovaquie). La Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine, Moldavie, la Turquie et l’Ukraine ne sont pas membres de l’UE. Ces pays ne sont donc pas régis par les règles/principes de l’UE et les partenaires sociaux de l’UE ne sont pas représentés dans le dialogue social européen. »
SOURCE : www.euractiv.fr