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Birmanie : bus pour femmes
Categories: Monde : Asie, Violence

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Au pays d’Aung San Suu Kyi, les femmes sont harcelées

Si la dame de Rangoon a une image positive et forte, ses concitoyennes sont très souvent victimes de harcèlement sexuel.

Cela arrive régulièrement à Rangoon : une femme qui se rend au travail ou à l’université monte dans un bus bondé et sent soudain un homme se coller contre elle. Souvent, elle est trop effrayée pour lui dire d’arrêter et l’homme poursuit impunément ses attouchements. Une fois arrivée à destination, la femme descend rapidement du bus mais, plus tard, lorsqu’elle rencontre ses amies, elle est trop gênée pour leur parler de l’incident.

Face à ce problème bien connu de harcèlement sexuel dans les transports en commun de Rangoon, les autorités locales ont annoncé leur intention de mettre en place d’ici à la fin de l’année un service de bus réservés aux femmes. “Les bus pour femmes seront en service sur cinq lignes aux heures de pointe”, indique Hla Aung, président du Ma Hta Tha, l’organisme chargé de contrôler les lignes de bus privées de la ville. “Les bus réservés aux femmes ne sont pas une idée du Ma Hta Tha. C’est un député qui l’a soumise au Parlement et la décision a été prise par les autorités locales”, précise-t-il.

L’homme se refuse à tout commentaire sur l’ampleur du problème et souligne que seuls les conducteurs de bus savent ce qui se passe à bord de leurs véhicules. La Birmanie n’est pas le seul pays à mettre en place des moyens de transport réservés aux femmes. Au Japon, des rames de métro le sont déjà, de même qu’en Inde, où le viol collectif d’une étudiante dans un bus en décembre 2012 a provoqué une prise de conscience de l’ampleur du harcèlement subi par les femmes. La Thaïlande a elle aussi décidé de réintroduire des wagons réservés après la découverte, en juillet dernier, du corps d’une adolescente de 13 ans violée puis tuée dans un train.

Sifflets. En 2012, des femmes de Rangoon ont attiré l’attention sur ce problème en lançant la campagne “Un sifflet pour appeler à l’aide”. L’opération a consisté à distribuer des sifflets aux passagères des bus en leur demandant de les utiliser pour dissuader les agresseurs et alerter les autres passagers. Bien que les cas de harcèlement soient nombreux, on ne dispose pas de chiffres officiels, car les femmes ne les signalent pas à la police. L’impact de la campagne menée il y a deux ans est lui-même difficile à évaluer, mais il semble bien qu’elle ait eu des effets positifs.

D’abord, pour la plupart des femmes qui ont participé à cette campagne, c’était la première fois qu’elles osaient évoquer en public un problème qui les affecte dans leur vie quotidienne. Ensuite, leur action a contribué à sensibiliser l’opinion. “Les gens étaient au courant de notre campagne et, même s’ils faisaient des plaisanteries à son sujet et la tournaient en ridicule, ils en parlaient”, affirme Htar Htar, directrice de l’association Akhaya Women.

Cette campagne a débouché sur le projet actuel de mise en service de bus exclusivement pour femmes. Si certaines habitantes de Rangoon s’en réjouissent, d’autres désapprouvent ce projet. “Nous devenons les seules responsables de notre sécurité. Si des femmes ne montent pas dans les bus qui leur sont réservés, faut-il en conclure qu’elles aiment être pelotées ?” fait observer une habitante de Rangoon. D’autres s’opposent au projet pour des raisons pratiques. “Les bus [pour femmes] sont une bonne solution, mais il devrait y en avoir sur toutes les lignes, et que feront les femmes qui souhaitent voyager avec le reste de leur famille ?” fait remarquer Nant Thazin Min, coordinatrice de Colourful Girls, une association de défen

se des droits des jeunes filles de moins de 18 ans. En outre, si les bus réservés aux femmes offrent une plus grande sécurité, ils ne suffiront pas à résoudre le problème. “Le harcèlement sexuel ne se produit pas seulement dans les transports publics et dans la rue, il y en a aussi au bureau et à la maison. Certains hommes pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent aux femmes”, poursuit la militante. Le harcèlement sexuel est un problème très répandu en Birmanie, et le seul fait de s’asseoir à l’avant d’un taxi ou de marcher dans la rue expose les femmes à des risques d’agression.

Pour Htar Htar, les causes de ce phénomène sont à rechercher dans le système de valeurs de la société birmane. L’idée que les hommes ont besoin de sexe et qu’ils sont incapables de contrôler leurs désirs est profondément enracinée. “Au lieu de se mettre en colère contre les hommes, les femmes ont souvent pitié d’eux, car elles considèrent qu’ils ne sont pas capables de se maîtriser, explique Htar Htar. On apprend aux femmes à être soumises et aux hommes à être courageux.”

Aujourd’hui, elle transmet aux femmes les moyens de faire valoir leurs droits, mais, à la différence des autres associations, elle le fait par le biais de l’éducation sexuelle. “Je sensibilise les femmes à leur propre corps, aux mythes entourant le corps féminin et aux attitudes envers différents problèmes sexuels”, dit-elle.

Acquittements. Si un nombre croissant de femmes dénoncent les agressions dont elles sont victimes, le système juridique leur est généralement défavorable. “Ici, ce n’est pas la primauté du droit qui est garantie, mais la primauté des hommes”, constate la directrice d’Akhaya Women. Il est même fréquent que des plaintes déposées par des femmes victimes d’agressions sexuelles restent sans suites. En vertu du Code pénal birman, les agressions sexuelles sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à un an de prison, mais, dans les faits, le tribunal prend souvent le parti des hommes et ne condamne pas les agresseurs.

Et comme, en cas d’acquittement, la réputation de la plaignante en pâtit, beaucoup de femmes préfèrent ne pas porter plainte. La responsabilité de l’agression est d’ailleurs souvent imputée à la victime, et non à l’auteur. “Même les femmes sont nombreuses à dire que c’est la fille qui est en tort, qu’elle a été agressée à cause de son comportement ou de sa tenue. Mais le port de la robe traditionnelle birmane n’est pas une garantie contre les agressions, pas plus que les vêtements occidentaux n’y sont une invitation”, affirme Nant Thazin Min, de l’association Colourful Girls.

Yola Verbruggen

SOURCE : Bangkok Post|

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