INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Femmes au pouvoir en Amérique latine
Categories: Monde : Amériques

Pasolini

Femmes au pouvoir en Amérique latine, l’arbre qui cache la forêt ?

L’Amérique latine est souvent citée en exemple en ce qui concerne l’inclusion des femmes en politique. De nombreuses femmes sont arrivées à des postes clés, ces dernières années. On peut citer, parmi elles, Michelle Bachelet au Chili, Christina de Kirchner en Argentine ou encore Dilma Roussef au Brésil. De nombreux efforts ont été faits pour assurer l’égalité des genres au sein des différents pays du continent. Pourtant les discriminations restent très présentes et la violence vécues par les femmes une réalité bien souvent sous-estimée.

Une implication de plus en plus grande des femmes en politique

Les pays latino-américains ne forment pas un ensemble uniforme mais possèdent chacun leurs propre histoire et des contextes sociaux différents. Pendant de nombreuses années, les femmes se sont retrouvées au cœur des mouvements sociaux pendant les dictatures. L’exemple le plus emblématique reste celui des mères de la place de Mai en Argentine qui exigeaient de connaitre la vérité sur les disparitions forcées. A la sortie de ces dictatures sanglantes, de nombreux efforts ont été faits pour inclure les femmes dans les décisions politiques.

En Argentine, en 1991, après la junte militaire, des quotas ont été mis en place pour assurer que 30% des parlementaires soient des femmes. Aujourd’hui, ce type de quotas s’est généralisé dans de nombreux pays de la région.

Pour citer quelques chiffres, entre 2000 et 2010, le pourcentage de femmes présentes dans les parlements nationaux est passé de 13% à 20%. Au Nicaragua, par exemple, les femmes représentent 40% des membres du Parlement. Et l’arrivée de plusieurs présidentes au pouvoir, on fait de la région, le symbole de l’avancée des femmes en politique.

Mais il ne suffit pas simplement d’élire des femmes pour faire changer les mentalités et renverser les rapports de pouvoir entre les genres. Les femmes en politique font toujours l’objet de stéréotypes et de discriminations et doivent se conformer pour pouvoir faire carrière. Non seulement, la plupart des femmes qui se retrouvent à des postes de ministres sont encore cantonnées à certains domaines jugés moins importants comme le tourisme, les services sociaux, l’éducation – comme c’est aussi le cas en France et en Europe -, mais le profil de celles qui arrivent au pouvoir est similaire, souvent issues de milieux sociaux aisés.

En outre, il existe très peu de femmes indiennes ou afro-descendantes qui arrivent au pouvoir et si les quotas ont favorisé l’arrivée des femmes dans les parlements, certains postes leurs sont encore inaccessibles comme les postes de gouverneurs et de maires.

Mais des discriminations liées au genre qui restent très importantes

En Amérique latine, depuis les années 1990, les femmes ont certes pu avoir un meilleur accès à la politique mais on peut pourtant se demander comment, concrètement, cela s’est traduit au niveau de la lutte contre les inégalités liées au genre ?

On y voit de réelles avancées sur le sujet. Certains pays ont même adopté le principe d’égalité entre les hommes et les femmes au sein de leurs constitutions. De gros efforts ont été faits pour lutter contre les violences faites aux femmes, notamment en termes législatifs avec des lois beaucoup plus contraignantes.

Pourtant, certains sujets restent encore très problématiques dans les sociétés latino-américaines, particulièrement  autour des droits reproductifs et de l’accès à la contraception et à l’avortement. Michelle Bachelet au Chili s’est clairement positionnée en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps. Lors de son premier mandat, elle a permis l’adoption d’une loi autorisant la contraception d’urgence. En Uruguay, l’avortement a été légalisé l’année dernière. En Argentine ou au Costa Rica, à l’inverse, les dirigeantes ont clairement manifesté leur opposition à l’accès à ce droit.

Dans la sphère économique, les discriminations sont encore nombreuses. Les femmes sont plus sujettes à la pauvreté. Elles assument en majorité les tâches non-rémunérées telles que les tâches ménagères… Elles sont toujours employées dans des secteurs moins rémunérateurs de l’économie.

Aux discriminations liées au genre, il faut ajouter celles liées à l’origine ethnique (indienne ou afro-descendantes) et au racisme qui augmentent la vulnérabilité des femmes. La violence genrée est sans doute l’exemple le plus flagrant de ces discriminations auxquelles les latino-américaines doivent faire face.

Le féminicide, concept latino-américain, symbole des limites de l’avancée des femmes dans la région

C’est dans certains pays d’Amérique latine qu’un nouveau concept a émergé pour mieux comprendre le phénomène de la multiplication des meurtres de femmes au Mexique et au Guatemala notamment.

C’est Marcela Lagarde, ethnologue mexicaine, qui a utilisé ce terme pour la première fois en Amérique latine, afin de qualifier les meurtres qui ont lieu à Ciudad Juarez, ville tristement célèbre à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis pour son taux d’homicides. Il s’agit alors de souligner le caractère misogyne des assassinats des femmes. Selon elle, le féminicide doit être considéré comme « un génocide contre les femmes, et il a lieu lorsque les conditions historiques génèrent des pratiques sociales qui autorisent des actions violentes contre l’intégrité, la santé, la liberté et la vie des femmes et des filles». *

Au Guatemala, par exemple, le nombre de meurtres de femmes atteint des taux impressionnants, tout comme le désintérêt des forces de police pour enquêter sur ces crimes. Partout en Amérique latine, les femmes font face à la violence dans leur vie de tous les jours dans la plus grande impunité et les choses semblent bien difficiles à faire changer.

C’est donc dans cette situation paradoxale que se trouve aujourd’hui le continent. Entre, d’une part des femmes qui investissent des domaines jusque-là réservés aux hommes en politique et des lois qui essayent d’améliorer l’accès aux droits et à limiter les discriminations. Et d’autres parts, des résistances et des violences structurelles plus présentes que jamais.

L’élection de femmes à la tête d’un Etat n’est finalement pas le plus difficile, le vrai défi réside dans la capacité à changer les structures sociales qui enferment les femmes dans des positions subalternes. Et ce n’est pas la mise en place de quotas en politique – mesure certes nécessaire – qui y suffira.

SOURCE : www.opinion-internationale.com

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