Pourquoi les femmes votent de plus en plus FN ?
La semaine dernière, les élus Front national au Parlement européen renouvelaient leur opposition à l’égalité femme-homme. Pourtant, la part féminine de leur électorat ne cesse d’augmenter. Le mouvement Osez le féminisme (OLF) déconstruit ce paradoxe inquiétant.
“Récemment, Jean-Marie Le Pen a traité Claude Bartolone de ‘vraie vulve’. Nous, on ne trouve pas ce mot péjoratif, mais lui, oui.” Sourires jaunes dans l’assistance qui fait face à Anne-Cécile Mailfert, porte-parole de l’association Osez le féminisme (OLF), au centre Hubertine-Auclert. Coincé dans une petite impasse du XVIIIe arrondissement de Paris, le “Bâtiment ressource des inégalités hommes femmes d’Île-de-France” accueillait la réunion mensuelle de l’association. A la veille des départementales, et au lendemain du vote d’opposition à la parité des frontistes au Parlement européen, OLF souhaitait faire le point sur la relation entre le FN et les femmes.
Depuis l’arrivée de Marine Le Pen, le traditionnel écart du nombre de votes masculins et féminins pour son parti est passé depuis 2012 de six à deux points seulement. L’époque où les femmes étaient moins enclines que les hommes à accorder leur confiance aux frontistes est révolue. Une situation qui inquiète les féministes. Entre rappel historique de la genèse de l’extrême droite, et exploration de la diversité de ses différentes mouvances (les Caryatides, les Antigones, les Belles et rebelles, etc.), Anne Cécile Mailfert et Claire Serre-Combe ont égrené toutes les attaques sexistes du FN, passées et actuelles. Négation de la notion de viol conjugal, remise en question du remboursement de l’avortement, valorisation du statut d’épouse et de mère au foyer, refus de la parité, polémiques autour de la ‘théorie du genre’… La liste est sans fin.
La cause féministe récupérée
“Ils reproduisent un discours qui est une récupération fine de nos revendications” déplore Claire Serre-Combe. L’historienne Florence Montreynaud, présente dans la salle, est d’accord, et c’est bien ce qui l’inquiète. “Ils nous ont confisqué tous nos mots“, regrette-t-elle. Engagée dans les mouvements des femmes depuis 1970, elle voit maintenant la cause féministe manipulée à des fins nationalistes.
Un des grands combats des militantes présentes est notamment d’être contre l’obligation de dissimuler le corps chez les catholiques comme chez les musulmans. Elle refuse qu’il soit réduit à un objet de désir et que l’agression sexuelle soit une fatalité. Elles s’opposent également à toutes formes de marchandisation du corps. Les adhérents du Front national ? “Ils sont contre certaines femmes voilées. Les bonnes sœurs ne les ont jamais dérangés“, rappelle Anne-Cécile Mailfert. Comme le montre une vidéo produite par le Front national de la Jeunesse, le viol est surtout pour eux un problème d’insécurité lié à l’immigration, un forfait commis par l’étranger dans la rue.
En réalité, les statistiques montrent que dans 80 % des cas, le violeur fait partie de l’entourage proche de la victime. Claire Serre-Combe précise aussi qu’ils rejettent la GPA surtout parce qu’ “ils l’associent principalement aux couples gays”. Quant à la prostitution, c’est l’idée de la régularisation des prostituées sans papiers en cas d’abolition du système qui les effraie. Et de citer Marine Le Pen pour qui, malgré tout, il est “stupide” de pénaliser le client puisque cela reste “le plus vieux métier du monde“.
Le paradoxe du constat dressé par les portes paroles d’OLF et l’assemblée qui leur répond paraît incroyable : un parti clairement hostile à la cause des femmes recueille de plus en plus leurs votes. “Il y a un vrai paradoxe” admet Sylvain Crépon, maître de conférences en science politique à l’université François-Rabelais de Tours. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’extrême droite, il confirme “une absence de changement dans le programme du Front national depuis sa création. Il n’y a rien qui concerne l’égalité homme-femme, tout est axé sur la famille. La femme y est renvoyée à son statut de mère.” Il s’accorde avec Nonna Mayer, enseignante en sciences politiques à l’IEP de Paris, sur le fait que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti a complètement modifié la situation ;
“Jean Marie Le Pen avait un discours violent et sexiste. Le choix de ses mots n’était pas anodin. Il aimait évoquer “ce monde islamique qui ‘pénètre lentement l’Europe’, ces immigrés qui ‘demain coucheront avec votre femme ; votre fille, votre fils’, etc. Ces formulations hérissaient le poil des femmes. Sa fille, elle, insiste sur son image de femme moderne, divorcée, qui sait articuler son rôle de mère, d’avocate, et de leader politique, sans les outrances du père” énonce-t-elle.
Un contexte propice
Et si par le passé les électrices votaient moins pour l’extrême droite, les circonstances ont depuis évolué en faveur de cette mouvance. Nonna Mayer estime que “le changement tient notamment à la crise économique. Avant, c’était chez les ouvriers, un monde majoritairement masculin, le plus exposé au chômage, que Le Pen faisait ses meilleurs scores. Aujourd’hui sa fille progresse aussi au sein d’un prolétariat du commerce et des services précarisé, majoritairement féminin, type caissière de supermarché, en révolte contre leurs conditions de travail . Son score y atteint 30 % à la présidentielle de 2012”.
Quant à savoir ce qu’il en sera du vote à venir lors des départementales, difficile à dire. Car comme l’indique Sylvain Crépon : “Le profil sociologique des abstentionnistes est assez proche de celui du FN, qui est souvent un électorat peu politisé.” Tout reposera donc sur le niveau de mobilisation en ce dimanche 22 mars.
Pour Nonna Mayer “Il est trop tôt pour dire si le phénomène va durer. C’est une période de transition. Et il ne faut pas non plus exagérer le succès de Marine Le Pen auprès des électrices. Le niveau d’études reste déterminant. Chez les actives cadres supérieurs et bac +, qui ont percé le plafond de verre, le vote FN reste deux fois moins fréquent que chez les hommes.”
Un risque sous)-estimé
Face à cette situation, Osez le féminisme a décidé de lancer une campagne pour tenter de sensibiliser l’opinion. Pour l’association, l’enjeu de dimanche n’est pas suffisamment pris au sérieux. Responsable de l’attribution d’une grande partie des aides sociales, qui représente environ la moitié de leur budget, les départements sont des garants de plusieurs droits qui concernent directement ces mêmes femmes précaires. L’attribution du RSA, le financement d’associations solidaires, des crèches et des plannings familiaux en font partie. Impossible pour elles de baisser les bras quand la population féminine représente 53 % des votants.
SOURCE : www.lesinrocks.com