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Porno en crise
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Relatos salvajes 02

PornHub, Youporn, Xhamster… Pourquoi vous devriez payer pour le porno que vous consommez

Selon ses propres statistiques, la plateforme Pornhub  a généré à elle toute seule plus de 78 milliards de vidéos visionnées rien que durant l’année 2014. Alors que la pornographie n’a jamais été autant accessible et regardée que ces six dernières années, plus personne ne paie pour du porno.

Pourtant le milieu du X n’a jamais été autant en difficulté. S’il a été d’abord frappé de plein fouet par la crise, comme beaucoup d’autres secteurs, force est de constater que le moribond a été achevé par l’arrivée des plateformes de streaming gratuite hébergeuses de contenus piratés. En dix ans, les salaires des actrices ont chuté de moitié, les tournages se sont raréfiés, de nombreuses maisons de production ont mis la clé sous la porte. Comme dans toutes les crises, ce sont d’abord les travailleurs qui trinquent, en particulier les femmes. Outre la diminution de leurs revenus, les actrices pouvaient encore, en bataillant un peu, exiger le port du préservatif (en France) et refuser certaines pratiques jugées trop « hard  ». Aujourd’hui, beaucoup de françaises partent enchaîner les tournages à Prague et Budapest, ou pensent trouver le salut aux Etats-Unis où le diamètre moyen de dilatation exigé s’est quelque peu élargi au fur et à mesure des années. Quant à celles qui ont raccroché les gants, c’est un nouvel enfer qui commence. Depuis l’apparition des tubes, de nombreuses anciennes actrices voient leur vie passé ressurgir. Il suffit qu’une personne de leur entourage, à leur travail, à la sortie de l’école de leurs enfants, dans leur voisinage, tombe sur une vidéo et en seulement quelques clics leur vie peut devenir un enfer. On rétorquera que ces sites mettent à disposition des formulaires DMCA pour retirer les vidéos non libres de droit. Sauf que concrètement ils ne les retirent qu’au petit bonheur la chance. J’en sais quelque chose.

Le porno gratuit ne peut être éthique

Il n’y a pas besoin d’avoir fait Math Spé pour comprendre le fonctionnement. Avant l’arrivée des tubes, le milieu du X était constitué principalement de petits artisans. Ces petits artisans (globalement la plupart des boîtes de production sont des TPE ou équivalent étranger) ne peuvent rémunérer décemment les actrices si plus personne ne paie pour leur contenu. Résultat les salaires baissent, et les nanas se retrouvent obliger de faire n’importe quoi (genre faire une scène avec plusieurs mecs pour 250 euros qui va circuler à bloc sur internet. Si, si, ça existe.). Ou encore de combler le manque à gagner en passant leur journée derrière leur webcam pour quelque chose comme 50 centimes la minute connectée avec un internaute à se mettre un gode dans la minette ou plutôt ailleurs.

Face à ce pillage de contenus ainsi qu’à l’hécatombe financière qui s’est abattue sur cette industrie, certains ont décidé de réagir. C’est le cas par exemple du collectif #PayForYourPorn qui revendique l’idée que seul une pornographie payante et payée peut être réalisée dans un cadre éthique. Plutôt un hashtag qu’un collectif physique, #PayForYourPorn est soutenu par des femmes de cette industrie. Ce sont elles les premières concernées, il est donc logique qu’elles tirent le signal d’alarme.

Mais d’autres ont perdu leurs illusions depuis longtemps et savent pertinemment qu’il ne sert plus à rien de lutter contre le contenu gratuit. Alors foutu pour foutu, autant essayer de trouver « la moins pire » des solutions. L’actrice Stoya par exemple, une des figures les plus célèbres du X américain, encourage sur son blog ses fans à télécharger ses vidéos sur des torrents plutôt que sur les tubes qu’elle rend responsables de l’agonie de l’industrie pour adultes. Il faut savoir que les tubes les plus importants, dont Youporn, Porhub, Tube8 et autres, appartiennent tous à une seule et même multinationale du nom de Manwin (rebaptisée Mindgeek) qui a essentiellement créé sont empire sur le piratage. La compagnie a racheté certains studios de production tel que Digital playground en 2011, dont Stoya a été contract girl de 2007 à 2014. Elle a assisté de l’intérieur à la période de transition et est devenue une des plus virulentes opposantes au monopole de Manwin :

«  Arrêtez-vous un instant sur ce nom : Manwin. Man. Win. Ce nom est l’image-même du patriarcat.  »

Dans Vice elle écrit : «  Plus j’observe cette société, et plus elle me semble être l’incarnation d’un capitalisme qui a mal tourné. En plus du piratage et de l’arrestation du propriétaire pour fraude fiscale, ils ont commencé à embaucher des stagiaires non rémunérés pour remplacer des employés chassés comme des mal-propres. La structure de leur entreprise est opaque. Le manque de respect avec lequel ils traitent leur personnel déteint sur la qualité du produit. »

Misère culturelle, misère sexuelle

Mais au-delà des conséquences sur les femmes oeuvrant dans ce milieu dont je sais que la plupart des gens n’ont strictement que faire (parce qu’après tout elles l’ont bien cherché les salopes, elles n’avaient qu’à faire autre chose, c’est le revers de la médaille, et autres âneries que j’ai entendues ou lues mille fois), je me permets d’attirer votre attention sur le contenu en lui-même. J’entends souvent que « le porno c’est tout le temps la même chose« , que « le porno ne se renouvelle pas« … Il y a quelques mois, je m’étais étranglée en lisant un article intitulé L’impossible porno pour femme (et l’auteure n’a d’ailleurs pas compris que je m’en agace. Elle a juste nié le travail et le combat de dizaines de nanas dans le monde entier qui s’arrachent depuis plusieurs années à proposer un contenu féministe, mais c’est tout c’est pas grave, pas de quoi s’agacer hein). Sauf que sortez un peu de Porhub, allez respirez un peu le bon air ailleurs, au lieu de  raconter n’importe quoi. De la diversité, des films plus « arty », plus féministes ou pas du tout, sexuellement plus variés, même parfois spécifiquement éducatifs, ou juste qualitativement plus chiadés, il y en a. Mais pas en frontpage des Tubes entre « Milf », « Anal », et « Teen ». Ah non, ça c’est sur. Il va vous falloir faire un minimum d’effort de recherches, et surtout de remettre en question votre mode de consommation.

Ovidie

SOURCE : www.metronews.fr/blog/ovidie

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