10 idées reçues complètement à côté de la plaque sur les femmes et le porno
Vendredi 17 avril a eu lieu à Toronto la dixième édition des Feminist Porn Awards regroupant des réalisatrices et fans du monde entier. L’occasion de se pencher sur les dix idées reçues les plus tenaces à propos des femmes et du porno.
1 Les femmes ne regardent pas de porno
Je ne m’attarderai pas sur ce point, car maintenant c’est acté : un tiers des spectateurs sont en réalité des spectatrices. Il n’y a guère que les militants anti-porno de mauvaise fois qui prétendent le contraire. Si on recoupe la plupart des études qui ont été faite sur le sujet ces dernières années, on constate que tout le monde s’accorde à peu près sur cette moyenne de 30%.
2 Les femmes qui regardent du porno regardent la même chose que les hommes (variantes : « les femmes aussi aiment le gonzo », « les femmes recherchent des tags largement aussi hard que les hommes », etc)
Premièrement, « les femmes », cela n’existe pas. Il n’existe pas « un porno pour femmes », mais une multitude pour répondre à une multitudes de fantasmes, pour une multitude de femmes et de sexualités. Si on observe les statistiques de fréquentation révélées par Pornhub, on constate qu’effectivement, la population féminine chercherait sur ce site des tags aussi hard que les hommes (vous remarquerez l’emploi du conditionnel parce que, personnellement, je n’ai toujours pas compris comment ils distinguaient les femmes des hommes sur une plateforme anonyme et gratuite, mais bon). Admettons. On rétorquera que toutes les femmes qui regardent du porno ne se rendent pas nécessairement sur ce type de plateforme. Et ce pour une simple et bonne raison : elles s’adressent aux hommes. J’en veux pour preuve les publicités qui ornent élégamment de part et d’autres chaque page, du type « Viens baiser des salopes » ou encore « rencontre des salopes de ta région ». Le public visé est clairement masculin, même si, oui, il y a des femmes qui vont dessus, c’est indéniable (souvent parce qu’elles ne savent pas où aller, d’ailleurs. Ou qu’elles ne veulent pas payer). On peut également prendre en compte l’aspect générationel de ces statistiques. Les habitudes de consommation de porno d’une génération dite « Y » qui a grandi avec internet entre les mains sont nécessairement différentes des habitudes des femmes ayant grandi avec le porno de Canal, ou n’ayant une découverte du porno que tardive.
Maintenant, tout ceci étant dit, nous avons désormais suffisamment de recul sur les sites de VOD / chaînes de télé de porno féminin et/ou féministe pour savoir que, concrètement, ce qui fait des scores d’audience chez les femmes ce n’est pas cela. Si on recoupe toutes les informations des productions qui attire une très forte audience féminine on remarque que globalement il y a une recherche de propos, éventuellement d’engagement, de diversité des pratiques, d’une plus grande palette de fantasmes basée sur autre chose que le coït et la fellation, un plus grand respect (même et surtout dans les films BDSM), une éthique, une diversité des corps, et parfois (mais pas toujours) une recherche esthétique et/ou artistique. Mais tout cela peut sembler abstrait, c’est la raison pour laquelle je posterai très prochainement une liste de ce qui existe actuellement dans le domaine.
3 Le porno féminin / féministe, c’est du porno masculin en plus soft
La veille de la cérémonie de remise des Feminist porn awards a eu lieu une projection durant laquelle le travail de quatorze réalisatrices a été présenté. Et j’ai vu des choses qui m’ont décoiffée : un tit-fucking (littéralement « baiser en enfonçant son sein »), une éjaculation faciale de lait maternel, une pénétration vaginale avec une poupée Barbie fixée sur un strap-on, une femme transgenre pénétrant un homme transgenre créant une fascinante confusion des genres, une scène hétéro hyper hot entre deux personnes réellement ensemble à la ville qui s’est terminée en éjaculation féminine, une scène lesbienne positive et stimulante entre l’actrice alternative Jiz Lee et Lyric Seal en fauteuil roulant, et surtout des orgasmes a-gogo. Non le porno féministe ce n’est pas seulement une accumulation de cunilingus ni de paillettes et de ventilateur dans les cheveux. On n’est pas dans une pub pour shampoing.
4 Plus personne ne regarde de porno scénarisé
À force d’entendre cet argument, je suis parfois à deux doigts de me résigner et d’abandonner les films narratifs, considérant qu’ils font peut-être partie d’un autre temps. Heureusement, de récents succès me redonnent espoir. Cette croyance du rejet du porno scénarisé vient du fait qu’aujourd’hui les tubes (Pornhub, xvideos, Youporn, pour ne citer qu’eux) ont pris le dessus sur l’ensemble de la consommation mondiale de porno. Sur ces plateformes, la majorité des vidéos proposées sont des scènes, répertoriées par catégories et tags, sans scénarisation. De là, on en a conclu que désormais, ce que veulent les spectateurs, c’est être directement in situ, sans fioriture ni mise en scène. Sauf que, ce constat est certes valable pour le porno piraté ou pour les sites de soulagement rapide, sorte de fast food de la masturbation, mais certainement pas pour le porno payant. J’en veux pour preuve le film Marriage 2.0 de Paul Reeb. Ce film produit par la maison de production on ne peut plus mainstream Adam & Eve explose actuellement tous les scores sur la plateforme VOD américaine Gamelink et figure en tête de liste des films les plus regardés par les spectatrices. En France, les courbes Médiamétrie attestent également que lors des diffusions du film du mois sur Canal +, plus un film est scénarisé, plus importante est la courbe d’audience. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’exigence concernant la qualité de la narration a largement augmenté. Aujourd’hui on ne peut plus garder des spectateurs devant leur écran avec des films kitch, mal joués, en costume de comtesse, à l’exception peut-être des fans de porno 70’s qui éprouvent une certaine tendresse envers les maladresses du genre. Si on observe à la loupe les films scénarisés qui ont actuellement le plus de succès, on constate qu’il s’agit d’histoires réalistes dans lesquelles il est facile de se transposer. Marriage 2.0, qui relate l’évolution d’un couple qui s’essouffle, en est le parfait exemple.
5 Pour percer dans le porno, il faut avoir un physique qui correspond à ses codes
Jiz Lee vient totalement contrer cette idée. L’actrice androgyne arbore une coupe très courte, ne porte pas de maquillage, ne tourne qu’avec préservatif ET digue dentaire, et est incontestablement l’égérie alternative du moment. On la retrouve même désormais dans des productions plus mainstream tel qu’une scène réalisée par Dana Vespoli pour Evil Angel, ainsi que les nouvelles productions de l’actrice Stoya. Tout le monde se l’arrache. Sa simple présence à la cérémonie était à la limite de provoquer des malaises de fans dans la salle.
6 Pour faire un porno de qualité, il faut un budget important (ce qui n’est plus possible au regard du marché aujourd’hui)
Là encore c’est complètement faux. Cette année aux Feminist porn awards a été récompensée une nouvelle réalisatrice canadienne, The Madame, pour sa vignette Pachisi. Son style est élégant, il y a une vraie recherche esthétique, c’est excitant, et… Elle tourne tout avec un simple iphone.
7 Le porno féministe est une micro-niche
Oui, c’était vrai il y a dix ans où les réalisatrices se comptaient sur les doigts de la main, mais cela ne l’est définitivement plus. Chaque année je découvre des nouvelles venues, principalement en Amérique du Nord, en Europe, mais aussi en Australie. Cette année aux Feminist porn awards on pouvait compter pas loin d’une cinquantaine de nominations. Il ne s’agit plus seulement d’une niche, mais d’une réelle communauté en expansion. Et devinez quoi ? Alors que le porno se meure et que des maisons de productions mettent la clé sous la porte, le porno féministe, lui, ne cesse de se développer.
8 Le porno trans est forcément « pervers » ou « hard »
Oubliez tout ce que vous imaginez sur le porno trans, et tous les porno dit « shemale ». Dans Bound by borders de Tobi Hill-Meyer récompensé cette année par le « Most dazzling docu-porn » award, on peut voir des personnes transgenres telles qu’elles sont dans la vraie vie, affranchies des codes du porno, et impliquées dans des relations amoureuses. On peut penser particulièrement à une scène où Tobi, séparée depuis six mois avec sa compagne, refait l’amour pour la première fois avec elle et pleure d’émotion. Les personnes transgenres tombent amoureuses, ont chacune leurs propres fantasmes, comme tout le monde, quoi.
9 Les lesbiennes ne regardent pas de porno
C’est un argument que j’ai très longtemps entendu et qui, jusqu’à il y a une dizaine d’années, n’était pas complètement faux. La plupart des lesbiennes ne se retrouvaient absolument pas dans les scènes dites girl-girl des porno hétéro, où les actrices avec des faux-ongles genre Freddy les griffes de la nuit labouraient le vagin de leur partenaire à la moindre pénétration, ou se touchaient limite avec dégoût (car, non, breaking news, toutes les actrices ne sont pas bisexuelles). Mais depuis une petite dizaine d’années le porno lesbien connaît une ascension folle avec des sites comme Crash Pad series ou Lesbian Curves. Fini les finger-fuck où on s’enfonce à peine deux phalanges au risque d’arracher les muqueuses, désormais on n’hésite plus à mettre des gants en latex, une bonne dose de lube, et on y va franco, avec une vraie intensité tant dans les pratiques que dans l’alchimie entre les actrices à l’écran.
10 Spécial combo pour la fin : « Les femmes » + « lesbiennes » + « ne regardent pas de porno scénarisé »
S’il y a bien une réalisatrice qui va à l’encontre de toutes ces idées reçues, c’est bien Shine Louise Houston. Avec des films narratifs comme Champion avec une vraie mise en scène, elle prouve grâce à son public que l’on peut être une femme, lesbienne, aimer le porno, et les histoires.
SOURCE : Blog d’Ovidie