INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Trans’ en prison
Categories: Général

gus bofa 1883-1968 04La double peine des femmes trans’ en prison

Insultes, moqueries lors des fouilles, maquillage prohibé, refus de soin… Catalina, Natalia et Hafida, ex-détenues, racontent le quotidien difficile de femmes trans’ en prison.

« Je n’aurais jamais imaginé que j’allais atterrir en prison ». Installée bien au chaud au fond d’un bar PMU du 18e arrondissement, Catalina*, les cheveux teints d’un blond peroxydé, stylo bic en main, fait un croquis de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

Originaire d’une grande ville du centre de l’Argentine, cette latina d’une quarantaine d’années, « travailleuse du sexe », a passé presque un an de sa vie derrière les barreaux. Des mois de « calvaire » dont elle garde encore les séquelles psychologiques : des pleurs incontrôlables, la peur d’une porte verrouillée…

« La prison, c’est ce qu’il y a de pire, lâche-t-elle à plusieurs reprises en espagnol, et rien n’est fait pour les personnes transgenres. »

Car, au-delà d’un français très approximatif, Catalina est trans’ et séropositive au VIH et au VHC (le virus de l’hépatite C) : une double, voire une triple peine, quand on est placée en détention.

Bâtiment D3

Condamnée pour « exhibition sexuelle », puis incarcérée en décembre 2012, Catalina raconte avoir été placée dans un quartier spécifique « à part » pour les trans’ et les homos. « Un quartier ‘protégé’, dédié de façon générale aux personnes susceptibles d’être fragilisées en détention », assure le ministère de la Justice et l’administration pénitentiaire… Mais situé au cœur de la maison d’arrêt pour hommes, au quatrième étage du bâtiment D3 – nom qui, en espagnol, résonne comme « détresse ».

« On m’a remis des vêtements, des produits d’hygiène et un rasoir pour homme », poursuit l’ex-détenue, sur le moment désemparée. Le tout sous le regard de surveillants – et non de surveillantes – alors qu’en théorie, selon le ministère, des mesures existent pour que « l’apparence physique de la personne détenue concernée [soit] prise en compte pour déterminer le sexe du personnel pénitentiaire chargé de la mise en œuvre de la mesure ».

Cette scène Natalia, 35 ans, détenue 14 mois à Fleury-Mérogis, entre 2013 et 2014, pour proxénétisme et Hafida*, en liberté conditionnelle après dix mois de détention pour récidive de défaut de permis, l’ont aussi vécue au moment de leur incarcération. Le plus souvent, sans vraiment comprendre ce qui leur arrivait. « On m’a d’abord mise quelques semaines dans la prison pour femmes, confie Hafida, la vingtaine, qui vit de la débrouille depuis qu’elle a quitté le domicile de ses parents à 13 ans. Puis, on m’a transférée au D3, sans que je sache pourquoi ». Natalia, elle aussi originaire d’Argentine, tient son explication :

«Pour te placer, ils vérifient que tu es bien opérée ».

Cette opération dite de « réassignation sexuelle », permet officiellement de changer d’état civil. Aucune des trois femmes, ne l’a pour l’instant subit.

Des brimades et des embrouilles

Dans leur « quartier spécifique », Catalina, Natalia et Hafida se sont très vite senties isolées et abandonnées. « On était coupées du monde et on nous faisait comprendre qu’on était à part », regrette Hafida. Aujourd’hui, elles mettent en cause des conditions de détention qu’elles jugent discriminantes par rapport aux autres détenus, comme l’interdiction d’avoir accès aux terrains de sport, et ce, en raison de leur transidentité.

« En 10 mois, je n’ai jamais touché la terre ferme », raconte Hafida. Avec Natalia, son ancienne voisine de cellule, elles décrivent, en guise de promenade, une pièce « à part », « sale », « recouverte de crottes et de cadavres de pigeons » et aussi spacieuse que la salle principale du traiteur chinois dans lequel nous poursuivons la conversation. Amélie Morineau, ancienne bénévole à Fleury-Mérogis du Genepi, l’asso étudiante qui travaille sur la réinsertion des détenus, confirme : « c’est une pièce de 30m2 dont on a retiré le toit».

A Fleury, le quotidien de ces femmes trans’ a aussi été ponctué de commentaires transphobes, d’insultes et de brimades.

« Les gardiens savent que tu es trans’, explique Natalia. Mais ils t’appellent “Monsieur” et ne respectent pas ton genre ».

« C’était des moqueries tous les jours, une infirmière qui te dit que tu es malade et qu’il faut revenir à la raison, un surveillant qui fait exprès que tu croises un autre détenu pour voir comment tu te fais insulter, etc », soutient Hafida, pas vraiment de nature à se laisser marcher sur les pieds. Lors de sa détention, dans les couloirs ou lors des transferts, elle s’embrouille régulièrement avec les autres détenus et là encore, les insultes graveleuses fusent.

Au bon vouloir de l’administration

Impossible également de cantiner du maquillage, des produits de beauté ou un fer à lisser, poursuit la jeune femme. « Pour me maquiller, j’utilisais les crayons de couleur des ateliers de dessins », se souvient, elle, Catalina. L’accès à certains ateliers, les vêtements de femmes, les soins spécifiques et les traitements hormonaux leur ont aussi été accordés (ou pas) au bon vouloir de l’administration.

« J’étais la seule à avoir accès aux hormones, j’ai toujours eu accès à un médecin, mais la majorité n’avait pas cette chance », confie Natalia. Arrivée en 2006 à Paris après sept ans de prostitution à Buenos Aires, la jeune femme a très vite compris les codes de l’institution carcérale à la différence de certaines de ces anciennes co-détenues qui ne parlaient pas un mot de français.

« J’ai aussi été privilégiée par rapport aux autres, livre Catalina, mais parce que je respectais les règles ». Elle bénéficie d’un suivi médical qu’elle juge « correct ». En revanche, malgré ses demandes répétées, Catalina n’a jamais pu consulter un hépatologue ou d’un endocrinologue et donc se voir prodiguer les soins qu’elle réclamait. En décembre 2013, Catalina sort d’ailleurs très affaiblie de Fleury-Mérogis. Elle est transférée à la Pitié Salpêtrière où on lui diagnostique un cancer lymphatique. « J’avais la foi et je savais que j’allais guérir », poursuit-elle. Mais le refus de soins aurait pu lui être fatal…

« C’est pire à Fresnes »

Ont-elles observé des évolutions dans leur prise en charge par l’administration de Fleury ? En juin 2010, un avis du Contrôleur général des lieux de privation de libertés, préconisait déjà de garantir un certain nombre de droits à l’information, à l’accès aux soins, ou à la dignité des personnes trans’ incarcérées pour améliorer leur prise en charge et leurs conditions de détention. « Par le passé, il y a eu des problèmes notamment lors des fouilles aléatoires en cellule. Mais aujourd’hui l’administration pénitentiaire porte quand même une attention particulière à ces personnes. Une cantine spéciale a été mise en place », observe, de son côté, la bénévole du Génépi contactée par Streetpress.

Selon Olivier Pedro-Jose, le porte-parole adjoint du ministère de la Justice, la prise en charge est aujourd’hui « individualisée grâce à une identification au cas par cas des difficultés éventuelles rencontrées par chaque personne détenue ». « Les agents qui opèrent dans le quartier où se trouvent des détenus transgenres sont volontaires et dédiés à ce secteur. Ils répondent à un appel d’offre lorsqu’un poste se libère et sont préalablement reçus par la direction pour un entretien », affirme encore le ministère. Mais entre la théorie et la pratique carcérale, il y a souvent un gros fossé. Et les anciennes détenues ont des avis fort contrastés. Natalia est la plus optimiste.

« On a quand même eu accès à une promenade, aux associations qui nous rendent visite, aux cours de français ou à des ateliers de peinture. Les choses ont un peu avancé à Fleury pour les trans’ et on sait que c’est pire à Fresnes. »

En liberté avec un bracelet électronique à la cheville depuis juin dernier, Hafida est plus catégorique, notamment envers le personnel de la maison d’arrêt : « en un an, rien n’a changé ». Giovanna Rincon, directrice d’Acceptes-T, une association trans’ habilitée pour apporter un soutien social et psychologique aux détenues transgenres de Fleury-Mérogis s’interroge également sur leurs conditions de détention : « Avant la création d’un quartier adapté, il faudrait peut-être une reconnaissance des spécificités en matière de genre et de santé », propose-t-elle.

Faut-il maintenir un quartier spécifique pour les détenues trans’ non opérées ou qui n’ont pas obtenu leur changement d’état civil ? Ou faut-il une incarcération d’office dans le quartier des femmes ? Le ministère, contacté par StreetPress, campe sur le critère de l’opération « irréversible » :

« L’administration pénitentiaire (…) tient compte des modifications physiques irréversibles liées au processus de réassignation sexuelle médicale pour déterminer l’affectation en quartier femmes, sans attendre la prise en compte de cette modification à l’état civil. »

En revanche, pour Natalia la solution est peut-être du côté de son pays natal : « là-bas, quand tu n’es pas opérée mais que tu as les documents d’identité conformes à ton genre [ndlr, une formalité pour les trans’ depuis la loi de 2012 qui permet la modification de l’état civil par simple déclaration], on te met avec les femmes ». Sollicitées par Streetpress pour avoir de plus amples informations, l’administration pénitentiaire et la direction de Fleur-Mérogis nous ont renvoyés vers les réponses du ministère de la Justice.

Entre Boulogne et Pôle emploi

La peine purgée, Natalia, Catalina et Hafida tentent désormais de se reconstruire. « Sortir de prison, c’est une chose. Revenir à la réalité en est une autre », philosophe Natalia. Le jour où elle a quitté Fleury, elle raconte même s’être perdu gare du Nord, complètement désorientée. Elle enchaîne : « Depuis que je suis dehors, tout va mal. J’ai de nouveau des problèmes, je n’ai aucune alternative à part la prostitution », souffle la jeune femme, bénévole chez Emmaüs depuis sa sortie de prison.

Comme son amie, Catalina essaye de prendre les devants pour faciliter sa réinsertion, et même si « c’est difficile ». Sa vie oscille désormais entre Pôle emploi, où elle suit une formation pour devenir auxiliaire de vie, des cours de français, et le bois de Boulogne, sa seule source de revenus depuis qu’elle est arrivée à Paris en 2007. Elle espère prochainement rendre visite à sa famille en Argentine qu’elle n’a pas vue depuis trois ans. Hafida, elle, s’est inscrite à l’auto-école et recherche un emploi. Son stage chez Kookaï ne lui plaît pas vraiment. Fan de voitures, elle s’accroche à son rêve de gamine : devenir pilote de Formule 1.

*Les prénoms ont été modifiés.

SOURCE : www.streetpress.com

Comments are closed.