Du désamour des élites libérales pour les femmes
« Les libéraux n’aiment pas les femmes ». Le titre est percutant. Et c’est voulu. Avec son premier essai sur l’impact des politiques d’austérité sur les femmes, Aurélie Lanctôt a voulu « piquer » le gouvernement de Philippe Couillard pour lui faire prendre conscience que, derrière les écritures comptables, se cachent des femmes qui sont de plus en plus fragilisées.
D’entrée de jeu, l’auteure nuance ses propos, rappelant que les libéraux ont été des « alliés ponctuels » de la lutte des femmes en Amérique du Nord. « Cela ne change cependant rien au fait que le projet politique actuellement mis en oeuvre par les élites libérales constitue un frein brutal à l’atteinte de l’égalité réelle entre les hommes et les femmes », écrit-elle en introduction.
« [Les libéraux] promeuvent et mettent à exécution, sans le moindre scrupule, des politiques sociales et économiques qui appauvrissent les femmes, minent leur sécurité physique et matérielle et détruisent les conditions de leur autonomie. Bien sûr, ils s’en défendront farouchement, présentant même le féminisme comme l’une de leurs valeurs phares. Cela est vrai, en théorie. Mais là où ça compte, dans les faits, ils s’en lavent les mains. »
Aurélie Lanctôt en est à son deuxième café. Sur un fond de musique électronique, dans un café du boulevard Saint-Laurent, la jeune femme parle avec passion. Elle est vive, passionnée. Elle répond du tac au tac, entre deux éclats de rire malgré le sérieux du propos. Exagéré, le titre ? « Le titre se veut une façon de piquer, de dire : “ben voyons donc, si vous les aimez, si c’est important pour vous, le féminisme, qu’est-ce que vous faites ?” […] Je veux qu’ils se sentent interpellés par le fait que leur manque de sensibilité obstiné se traduit exactement comme du désamour. »
Elle a beau avoir un baccalauréat en journalisme, elle refuse de se cantonner dans ce style, préférant présenter ses idées avec un parti pris assumé. Le choix de vocabulaire pour décrire « Couillard et ses sbires » est en soi éloquent. « Il y a une charge contre l’arrogance du gouvernement libéral actuel et, en ce sens, c’est pamphlétaire. L’idée était vraiment de faire un petit livre militant. Je voulais montrer ce que le “boys’ club” est en train de faire. Forcément, il y a un parti pris là-dedans, parce que ça m’indigne de voir ça. »
Le Parti libéral n’a pas l’apanage du manque de sensibilité envers les femmes, convient-elle, rappelant que le gouvernement de Pauline Marois n’était pas tout rose. « Mais là, avec le début de l’ère Couillard, c’est plus brutal que jamais. »
Féministe
Elle n’a que 23 ans, mais cela fait tout de même quelques années qu’Aurélie Lanctôt développe sa pensée sur le féminisme dans des chroniques qu’elle tient sur différentes plateformes. Issue d’une « petite famille bourgeoise typique » de Saint-Lambert, elle a toujours été encouragée à être « curieuse intellectuellement », mais le discours « de gauche » n’était pas à l’ordre du jour familial. Les enjeux de justice sociale et d’inégalité socio-économiques qui l’interpellent aujourd’hui sont donc des sujets de préoccupation qui se sont imposés en dehors du cadre familial.
« [Mon intérêt pour les questions féministes], ça part d’une série de constats personnels à propos des inégalités salariales ou de certaines discriminations qu’on peut vivre au quotidien, ne serait-ce que le sentiment d’insécurité que les femmes peuvent éprouver dans l’espace urbain. Ça s’est mis à m’interpeller beaucoup. C’est drôle de dire que, dans une société où l’égalité de droit est chose faite, il reste encore des asymétries vraiment marquées entre les hommes et les femmes. De fil en aiguille, je me suis mise à écrire là-dessus et je me suis rendu compte que, chez les gens de ma génération, c’était des questionnements qui trouvaient un écho. »
Aurélie Lanctôt soutient avoir écrit ce livre « dans l’urgence », en partant du rapport de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), publié au printemps dernier, sur l’impact des mesures d’austérité sur les femmes. Elle voulait enfoncer le clou, marteler le message. Rien de nouveau, réellement, dans le propos. Elle fait plutôt la preuve par accumulation. Elle « met les pièces du puzzle ensemble ».
Que ce soit en santé, dans les CPE ou en éducation, la jeune auteure répertorie les impacts sur les femmes, citant au passage certaines d’entre elles qui font les frais des compressions.
Pour elle, tout le discours sur l’urgence d’équilibrer les finances publiques n’est qu’un « prétexte pour démanteler l’État social ».
Elle s’en prend également au discours des « féministes à la solde du néolibéralisme », porté par des femmes telles que Monique Jérôme-Forget, qui encourage les femmes à investir les lieux de pouvoir et à « ne pas se polariser » autour de l’austérité.
« Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont le luxe de pouvoir faire fi de l’austérité dans leur féminisme, s’emporte Aurélie Lanctôt. Peut-on encore parler de féminisme, d’égalité, quand on accepte que soit détruit ce que les femmes ont mis des décennies à construire pour être enfin libres ? »
Quel avenir ?
Du fait de son jeune âge, Aurélie Lanctôt apporte une réflexion toute personnelle sur la volonté gouvernementale de ne pas léguer une dette aux générations futures. « L’équité entre les générations est devenue un lieu commun du débat public lorsqu’il s’agit de liquider le présent. Mais quelle est au juste cette génération dont se soucient tant nos politiciens ? Sûrement pas la mienne, venue au monde quelques années avant le combat de Lucien Bouchard pour le déficit zéro, et qui entre maintenant dans la vie adulte sous les politiques d’austérité de Philippe Couillard. On finit par se dire que, ce qu’il y a de bien avec le futur, du moins celui des discours et des promesses de politiciens, c’est qu’on n’y arrive jamais. »
Et qu’en est-il des enfants dont l’avenir est hypothéqué en raison des compressions dans le système d’éducation ? demande la juriste en devenir. « On n’arrête pas de nous dire qu’il faut assurer l’avenir, sauf que là, au lieu de préparer l’avenir, on épuise les forces qui sont censées le porter. »
SOURCE : Le Devoir