Le FN n’aime pas beaucoup les femmes. Mais il leur plaît de plus en plus
Le Front national prône une vision très conservatrice, voire rétrograde des femmes. Pourtant celles-ci votent de plus en plus pour lui. Et deux d’entre elles donnent le ton du parti.
Deux femmes règnent désormais sur le Front national depuis que Jean-Marie Le Pen a quitté, contraint et forcé, le devant de la scène : Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen.
S’il arrive fréquemment à la présidente frontiste d’insister sur le fait qu’elle est une femme « divorcée, mère de trois enfants », « moderne » et « libre », les positions et propositions de son parti sont beaucoup moins progressistes.
Dernière attaque aux droits des femmes en date : Marion Maréchal-Le Pen, candidate à la présidence de la région Paca, invitée par la Manif pour tous, a déclaré que si elle était élue, elle mettrait fin aux subventions du Planning familial. Des organismes qui sont selon elle « très politisés » et participent à « la banalisation de l’avortement ».
Le lendemain, Marine Le Pen a rappelé mollement que cette mesure ne figurait pas dans le programme du parti sans pour autant la condamner. La présidente du FN préfère ajouter une nouvelle mission à l’association :
Il faut aussi orienter le Planning familial, lui demander d’aider aussi des jeunes femmes qui, peut-être, ont envie de conserver leur enfant. »
C’est la position « officielle » du FN, réaffirmée auprès de « L’Obs » par sa vice-présidente Christine Arnautu :
Ce qu’a dit Marion a été mal interprété. Il ne s’agit pas d’interdire l’avortement. Il faut financer les associations et le Planning familial pour aider les femmes à ne pas avorter. Si on subventionne et qu’il y a toujours plus d’avortements, c’est qu’il y a un problème. »
« Avortement de confort »
Pendant la campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen avait provoqué une vive polémique en employant l’expression « avortement de confort ». Si le FN ne prône plus aujourd’hui l’abrogation de l’IVG, il l’a longtemps fait. Dans les années 70, le parti frontiste allait même jusqu’à parler de « génocide anti-français », rappelle l’historienne Valérie Igounet sur le blog « Derrière le front ». L’abrogation figurait encore dans le programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2002.
En mars dernier, le parlement européen votait, comme chaque année, sur un texte concernant l’avancée de l’égalité hommes-femmes au sein de l’Union européenne. La totalité des eurodéputés frontistes ont voté contre le paragraphe 45 qui insistait sur le fait que les femmes « doivent avoir le contrôle de leur santé et de leurs droits sexuels et reproductifs », notamment « grâce à un accès aisé à la contraception et à l’avortement ». L’eurodéputé Aymeric Chauprade (qui a quitté le FN depuis), avait alors dénoncé le texte, selon lui « un éloge de la culture de mort par le soutien explicite qu’il apporte à l’avortement, véritable arme de destruction massive contre la démographie européenne. »
« Le droit des femmes à rester chez elles »
L’opposition des élus d’extrême droite ne s’était pas uniquement concentrée sur l’IVG. Ils avaient également rejeté l’article 5, qui souligne « qu’une participation égale des femmes et des hommes au marché du travail permettrait d’augmenter de manière substantielle le potentiel économique de l’Union européenne » et l’article 21, qui invite la Commission et les États membres à « étudier la possibilité d’inclure des clauses de parité hommes-femmes dans les appels d’offres pour des marchés publics ».
Dans son programme présidentiel en 2012, Marine le Pen fustigeait « la parité », dont « les premières victimes sont les hommes blancs hétérosexuels ». La candidate proposait également un revenu pour « les mères au foyer ».
Sur ce point, plus récemment, en mars dernier, l’eurodéputé FN Dominique Martin prônait « le droit des femmes à rester chez elles ». Argument :
Ça aurait l’avantage de libérer des emplois, ça aurait l’avantage de donner une meilleure éducation à nos enfants, ça aurait l’avantage de sécuriser nos rues parce qu’ils ne traîneraient pas dans nos rues et ne seraient pas soumis à la drogue. »
Des propos qui ne sont pas sans rappeler l’esprit pétainiste selon lequel la femme doit retourner au foyer.
Les femmes votent de plus en plus FN
Mais, et c’est là tout le paradoxe, si le positionnement du FN sur les questions qui ont trait aux droits des femmes n’a pas changé avec l’arrivée de Marine le Pen à la tête du parti, les femmes votent de plus en plus pour lui.
Jusqu’à présent, elles étaient plus réticentes que les hommes à soutenir les droites extrêmes. Parmi les raisons possibles à ce phénomène la chercheuse Nonna Mayer dans le livre « Les faux semblants du Front national », cite « la diffusion de valeurs féministes dans la société, difficilement compatible avec la vision traditionnelle de la femme véhiculée par Le Pen et son parti ». En 2012, l’écart entre le vote des femmes et des hommes s’est réduit à 1,5 points contre 3 en 2007 et 6 en 2002, constate la chercheuse. Trois hypothèses possibles à cette évolution.
D’abord un « effet marine » : l’arrivée à la tête du parti de la fille de Jean-Marie Le Pen pourrait avoir touché les femmes, le facteur « sympathie » joue.
Deuxième piste évoquée par Nonna Mayer : « La religion ne jouerait plus un effet dissuasif envers le vote FN ». Les femmes catholiques pratiquantes ont plus voté que les hommes pour Marine Le Pen en 2012 alors que c’était l’inverse en 2002.
Troisième piste enfin, le « recul du féminisme » : si les électrices rejettent à 61% la vision de la femme, qui serait faite surtout pour faire des enfants et les élever, « cela ne les empêche pas de voter pour le FN, manifestement pour d’autres raisons que la place des femmes dans la société ».
En conclusion, la chercheuse modère : « Le phénomène ne s’est pas stabilisé », le contexte électoral est crucial. Mais « le radical right gender gap [nom de la théorie selon laquelle les femmes n’ont pas le même rapport aux extrêmes que les hommes, NDLR] pourrait bien se refermer de nouveau lors de l’élection présidentielle de 2017, et entamer plus profondément encore le plafond de verre électoral du FN ».
Estelle Gross