INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Critique du féminisme universitaire

pascal douryPublié ailleurs est une chronique dans laquelle nous vous présentons des articles déjà parus dans d’autres médias, mais que nous trouvons néanmoins pertinents à republier. Celui-ci provient de la section Montreal Sisterhood du fanzine Casse Sociale de mai 2015, édité par RASH-Montréal.

Le Montreal Sisterhood est un collectif composé de femmes provenant d’une diversité de milieux, ayant des parcours et expériences très différentes l’une de l’autre. Notre objectif est de politiser les femmes de nos scènes contre-culturelles tout en assurant une présence féministe dans le milieu antifasciste et les contre-cultures. Nous sommes féministes radicales, mais nos réflexions politiques ne sont pas toutes au même niveau et nous ne sommes pas toutes d’accord sur certains sujets. Toutefois, nous avons toutes un point en commun : nous voulons attaquer les démonstrations concrètes du sexisme dans notre quotidien et ce par une diversité de moyens. Étant confrontée à des réalités différentes, nous croyons que c’est cette diversité qui fait la force de notre groupe.

Lorsque nous avons créé le collectif, il y a maintenant 5 ans, nous nous sommes vite rendu compte que les autres groupes féministes évoluent davantage dans le milieu académique. Même si nous ne sommes pas issus de ce milieu, nous avons fait des soirées de réseautage afin de créer des liens entre nous. Mais nous avons observé rapidement qu’il y avait parfois un fossé flagrant entre nous et les autres. Nous avons différentes façons de lutter, de s’exprimer, de réfléchir ou même de militer. Nos stratégies de luttes doivent s’inspirer l’une des autres et être complémentaire, pas le contraire.

Cette réflexion a commencé lorsque des membres du groupe, qui sont aussi étudiantes, ont exprimées le fait qu’elles ne se retrouvent pas souvent dans le féminisme universitaire. En effet, celui-ci est peu accessible et gagnerait davantage à être ancré dans la réalité plutôt que dans la théorie.

Pour nous, être féministe, ce n’est pas forcément de connaître des auteur.e.s, ni des théories, ce n’est pas étudier en études féministes, mais plutôt de simplement reconnaître l’oppression patriarcale et désirer abattre celle-ci. Depuis des années déjà, nous sentons un rapport de pouvoir entre les féministes ayant beaucoup de connaissances théoriques s’organisant en milieu universitaire et les autres. Il arrive que nous sentions une pression, qu’on s’attend de toutes les féministes qu’elles maîtrisent des concepts qui ne sont pas accessibles à toutes, on s’attend à ce qu’on ne fasse pas d’erreur, et que l’on réponde à un modèle spécifique de féminisme. Sinon le mouvement féministe au complet risque de te ramasser. Les critiques fusent de tous les bords, la compétition est forte. Pour avoir des alliées, certaines ont l’impression de devoir devenir ce qu’elles ne sont pas, de devoir tout connaître pour pouvoir participer à des discussions sans avoir honte de ses opinions ou de ses idées. Les rapports de domination sont tellement ancrés que certaines féministes ne se sentent pas confortable dans certains endroits, activités, etc.

Par ailleurs, le fait de posséder des savoirs théoriques et d’étudier à l’université est en soi une forme de privilège. Les féministes universitaires oublient souvent qu’en ce sens elles sont privilégiées et que leur langage, leurs théories sont le résultat de leur place dans la société et des rapports de classes qui y subsistent. Les discussions et le militantisme qu’elles prônent ne sont donc pas accessibles à toutes, les lectures qu’elles font, les écrits qu’elles produisent sont réservés aux personnes de leur classe. Dans cette optique, elles reproduisent une forme d’élitisme au sein même des milieux féministes. Nous croyons tout de même qu’il est important de diffuser les savoirs et nous ne remettons pas en question le partage de connaissances, mais plutôt les façons de le faire. Cet élitisme dont nous parlons se réfère à une intellectualisation des concepts et des vécus.

Le milieu universitaire est particulier. Des femmes majoritairement blanches, aisées financièrement, hétérosexuelles, travaillent sur des sujets tels que les femmes immigrantes, les femmes marginalisées, les femmes en situation précaire, etc. Trop peu d’entre elles vivent la réalité et les conditions matérielles du croisement des oppressions de leurs « sujets ». Il est facile du haut de cette position avantageuse, voire privilégiée de pouvoir critiquer les façons de faire des autres. En plus d’avoir des rapports de pouvoir marqués par les connaissances, plusieurs professeures ou chargées de cours ont des relations privilégiées avec des étudiant.e.s et ne reconnaissent que très peu ce même rapport de pouvoir qui est habituellement dénoncé.

Il est important de reconnaître la diversité, il est important d’être solidaires. Même si nous avons des postulats communs, nos moyens d’action ne sont pas les mêmes et il est important de les respecter. Il faut cesser ces relations compétitives, il faut cesser de chercher chez nos camarades féministes des failles qui pourraient prouver qu’elles ne sont pas « tight ». Nous avons réalisé que pour nous, ce qui est le plus important, ce n’est pas de pouvoir réciter la théorie infaillible parfaitement mais d’être capable d’appliquer les actions concrètes qui découlent des explications théoriques dans notre quotidien. Soyons solidaires, embrassons la différence, car c’est en travaillant ensemble que nous pourrons créer un réel rapport de force.

SOURCE : https://durerealite.wordpress.com

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