En Syrie, des mères de famille chrétiennes prennent les armes contre Daech
Les Kurdes n’ont plus le monopole des femmes soldats. Depuis deux mois, une milice chrétienne féminine s’est insérée dans la coalition à majorité kurde qui se bat dans le nord-est de la Syrie contre l’Etat islamique.
« J’étais une femme au foyer, avec cinq enfants et la trouille des armes », raconte Simel Benyamin, 37 ans, en treillis militaire, la kalachnikov en main, une vieille paire de godasses noires aux pieds. La guerre qui se prolonge depuis presque cinq ans et la brutalité de Daech l’ont convaincue qu’il fallait prendre les armes.
Cette mère de famille fait partie d’une unité mise sur pied par la communauté syriaque, appelée les Forces féminines de défense de Bet Nahin (HSMB), une référence au territoire historiquement convoité entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate.
L’unité compte entre 200 et 300 miliciennes. Elles s’entraînent par des formations de dix jours aux tirs d’armes légères et lourdes et participe déjà aux combats.
Simel Benyamin s’est battue avec son fils de 23 ans dans la bataille de al-Hol, capturée à la mi-novembre par les Kurdes syriens. « Le courage nous a aidés, dit-elle. Nous savions que nous allions gagner. Daech a tenté une percée par les côtés, mais nous les avons repoussés. J’ai croisé mon fils lors de la bataille mais nous ne nous sommes pas parlé. »
Près d’un moulin abandonné
La bataille d’al-Hol est la première à laquelle ont participé les femmes syriaques. L’unité a ainsi rejoint les Unités de protection de la femme kurde (YPJ) qui combattent avec les Forces démocratiques syriennes, la nouvelle coalition soutenue par Washington.
Les combattantes chrétiennes s’entraînent à côté d’un moulin abandonné et entouré de champs où souffle un vent froid en ce mois de décembre.
Aujourd’hui, c’est Lucia Darwish, 20 ans, qui dirige l’exercice. Elle se destinait à une carrière sportive. La guerre a interrompu ses rêves d’adolescente. « Je voulais quitter la Syrie », dit cette aînée d’une famille de quatre enfants, « puis je me suis dit pourquoi partir alors que ma famille est en danger ? Mon père m’avait appris à tirer à la kalachnikov dès l’âge de 14-15 ans. Et puis mon cousin a été tué par Daech il y a neuf mois à Hassakeh, et découpé en morceaux… »
Sur le front, les hommes et les femmes se côtoient au combat.
« Nous irons à Raqqa et au-delà »
Plus au sud, la nuit tombante, nous rencontrons des peshmergas kurdes, cantonnées à quinze kilomètres du front dans une maison sans WC, ni chauffage au sud d’Hassakeh. L’eau pour le thé bout dans le coin d’une pièce. Les miliciennes kurdes exécutent la danse traditionnelle pour les visiteurs étrangers. Elles n’ont pas plus de 25 ans. Elles s’assoient en carré face à nous.
Nisrin, 22 ans, explique que la force des femmes réside dans leur mental plus que dans leurs capacités physiques. « Nous irons à Raqqa (NdlR, le siège de Daech en Syrie) et même au-delà« , lance-t-elle. « Mais dites aux Belges que nous sommes seuls. Vous ne nous aidez pas assez ! L’enrôlement n’est pas obligatoire pour nous, mais nous nous battons par devoir. » Le message, bien rodé, est entendu dans tout le Kurdistan syrien et irakien.
SOURCE : La Libre Belgique
Une semaine sur le front kurde, face à Daech
Les Kurdes tiennent des centaines de kilomètres de front face à Daech. Nos reporters sont allés à leur rencontre, passant le Tigre pour aller jusqu’en Rojava, une région autonome et enclavée de Syrie sous le contrôle du PKK. Un carnet de route ouvre la série qui sera publiée graduellement dans les jours qui viennent. Reportage : Christophe Lamfalussy (texte) et Olivier Papegnies (photos), envoyés spéciaux en Irak et en Syrie
La guerre contre Daech se déroule sur plusieurs fronts. L’un d’eux se trouve au nord de l’Irak et au nord-est de la Syrie, dans des régions à majorité kurde. Le front s’étend sur des centaines de kilomètres de plaines, de plateaux et de zones pétrolières.
Une attaque surprise et coordonnée de Daech, le 16 décembre, sur le front irakien avec kamikazes, voitures suicide et bulldozer pour couper les barbelés des lignes des peshmergas a réveillé ce front que l’on croyait passif. En quelques anecdotes et photos, les envoyés spéciaux de « La Libre Belgique » racontent ce voyage de sept jours sur et derrière la ligne de front, d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, jusqu’au sud de la ville de Hassakeh, en Syrie, où se mêlent arabes, chrétiens et kurdes.
Le 11 décembre, atterrissage à Erbil
Quelques compagnies aériennes volent encore vers la capitale régionale du Kurdistan irakien. L’une d’elles est Austrian Airlines. L’Airbus est au tiers rempli et descend en tire-bouchons vers l’aéroport d’Erbil pour éviter de s’exposer à d’éventuels tirs de missiles. Le front avec Daech n’est en effet qu’à une quarantaine de kilomètres d’Erbil. Nous atterrissons avec une petite délégation belge, composée de membres du Comité de soutien aux chrétiens d’orient, du député Georges Dallemagne et des journalistes de RTL-TVI et du « Standaard ». L’aéroport neuf d’Erbil était destiné au tourisme. Il accueille désormais les imposants avions transporteurs de l’armée américaine, les C-17.
Le 12 décembre, voyage vers la Syrie
La route qui mène d’Erbil à la frontière turque ne comporte que deux bandes. Elle est le seul lien avec la Turquie. Des milliers de camions défilent, pleins lorsqu’ils descendent vers Bagdad, à vide lorsqu’ils remontent vers la Turquie. Ankara et Erbil ont un intérêt commun à défendre cet axe vital. La Turquie a besoin du pétrole irakien. Le Kurdistan a besoin des marchandises turques.
Peu après Dohuk, une route file vers la gauche. Elle permet d’entrer dans le Rojava syrien, la région autonome créée il y a deux ans par les Kurdes syriens avec un accord tacite de Damas. Mais arrivés à la frontière, après quatre heures de route, un problème inattendu survient. Les autorités d’Erbil refusent le passage de la délégation belge. Les relations entre Kurdes irakiens et syriens sont en effet tendues. Après deux heures d’attente et des coups de fil tous azimuts, nous sommes autorisés à franchir le fleuve qui marque la frontière, le Tigre, sur un bateau à moteur.
Sur l’autre berge attendent des minibus affrétés par le Conseil militaire syriaque, la milice chrétienne qui fait partie de la coalition soutenue désormais par les Etats-Unis, les Forces démocratiques syriennes (FDS).
Ils nous conduisent directement dans un bâtiment officiel où patiente depuis des heures la vice-présidente des Relations extérieures de l’un des trois cantons de la Rojava, celui de la Djézireh. Cette région était sous mandat français entre 1920 et 1946. Riche en pétrole, elle a été aussi convoitée par la Turquie au titre de l’ancien empire ottoman.
La vice-présidente est une femme séduisante et posée. Elle explique nos ennuis à la frontière par le fait que « les Kurdes d’Irak, avec le président Barzani, ont un œil sur la Djézireh ». Des discussions « sont en cours pour partager les richesses » pétrolières, dit-elle brièvement. Interviews et nuit à Dirik, dans un hôtel sans eau chaude, ni chauffage. Les coupures de courant sont fréquentes.
Le 13 décembre, Qamichli, la « capitale » du Rojava
A la sortie d’une messe à l’église Mar Shmouni de Dirik, nous rencontrons furtivement Rog, un Anversois de 31 ans, qui s’est enrôlé dans les forces kurdes syriennes, les YPG. Surpris par la présence des journalistes, le volontaire belge refuse toute photo et toute interview filmée. Il est à moitié copte et à moitié belge et se bat avec d’autres volontaires étrangers, venus notamment de Suède et du Canada. Il parle arabe, français, néerlandais et suit des cours de kurde. « Je compte rester entre 5 et 6 mois pour combattre », dit-il. Son groupe le happe pour aller prendre le café.
Nous partons ensuite pour Qamichli (ou Kamechli), la « capitale » des Kurdes syriens. Cette ville frontière avec la Turquie s’est bâtie le long d’une ligne de chemin de fer qui reliait autrefois Berlin à Bagdad. Le parlement est situé dans une localité avoisinante, dans un quartier totalement bouclé par les forces de sécurité, avec des chicanes, des blocs de béton et des caméras. Cela ressemble furieusement à Kaboul.
« Quand on a lancé la région autonome, c’était surtout des Kurdes qui étaient impliqués. Mais au fil du temps, toutes les autres communautés ont rejoint la Rojava », assure le président du canton de Djezireh, le Kurde Ekrem Hesso.
Accusé de noyauter les institutions régionales, le parti kurde de l’Union démocratique (PYD) est très soucieux de montrer aux étrangers que les chrétiens et autres minorités font partie du projet d’autogestion démocratique lancé par les Kurdes il y a deux ans. Mais la filiation du PYD avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dénoncée par Ankara, ne fait aucun doute : partout, on voit sur les affiches la photo du leader du PKK, Abdullah Ocalan, ainsi que son diminutif « Apo », qui veut dire « oncle » en kurde.
La différence est frappante entre les Kurdes de Syrie et d’Irak : le PYD incarne un régime séculier et autoritaire, tandis qu’au Kurdistan irakien prédomine un régime présidentiel et clanique.
Le 14 décembre, sur les lieux du triple attentat à Tall Tamer
Sur la route de Hassakeh vers le sud, nous nous arrêtons à Tall Tamer. Quatre jours auparavant, trois camions de Daech ont explosé simultanément dans cette petite localité de la région de Khaddour peuplée notamment d’Assyriens. Les attentats ont fait au moins 22 morts et des dizaines de blessés.
« J’étais à la maison, explique un habitant. Je dormais. Il était 17 h 30. J’ai été réveillé par le bruit. Des morceaux de fer et de béton sont tombés sur le toit de ma maison. Tout s’est passé en moins d’une seconde. »
Tout est laminé en trois endroits de Tall Tamer. Les terroristes ont visé le marché et un dépôt de légumes. Un cabinet médical a été soufflé. Le docteur et son patient ont péri. Sur des centaines de mètres, les vitrines sont brisées.
De source policière, les explosifs étaient enfouis dans trois cargaisons de sucre que les habitants attendaient impatiemment. « Ce sont des gens de la région qui ont fait cela, utilisés par Daech , assure un policier . Les transporteurs étaient des gens connus. C’est pour cela qu’ils ont passé si facilement les contrôles. Des caméras ont repéré des visages. L’enquête est en cours. » Daech a revendiqué cet attentat dont on a si peu parlé dans les médias occidentaux. Ce serait une mesure de rétorsion contre l’avancée des forces kurdes au sud de Hassakeh. Tall Tamer n’a jamais été prise par Daech, mais entre février et mai de cette année, l’Etat islamique avait capturé 14 des 35 villages assyriens situés au sud de la ville. Nous allons ensuite à Hassakeh, puis plus au sud, à une dizaine de kilomètres du front, où nous attendent, la nuit tombante, des femmes soldats peshmergas.
Le 15 décembre, Sinjar, ville dévastée en Irak
La route du retour est longue et parsemée, côté syrien, de vétustes pompes d’extraction de pétrole. Le Tigre refranchi, cette fois-ci sans formalités, une route récemment bitumée part sur la droite vers Sinjar, la ville yézidie libérée le 13 novembre dernier après seize mois d’occupation par Daech.
La route est ouverte par un pick-up des forces spéciales kurdes, équipé d’une mitrailleuse. Au fur et à mesure que les monts Sinjar apparaissent à l’horizon, la circulation se réduit à une peau de chagrin. Mais à Sinjar, c’est le choc : tout est détruit, en grande partie par les frappes de la coalition internationale. Il n’y a pas un seul habitant mais seulement des peshmergas irakiens et des miliciens du PKK qui s’ignorent superbement.
Les peshmergas ont installé une ligne de front avec des postes d’observation tous les 200 m. Au Sud, à l’Est et à l’Ouest, se trouvent des positions de Daech. Les Kurdes sont solidement installés sur cette route capitale qui relie Mossoul à Raqqa, la « capitale » de Daech, mais ils sont retranchés dans une impasse dont la seule voie de sortie est le Nord.
Le général Zajm Ali, ancien ministre de la Défense, nous rejoint dans une maison sur la ligne de front. Il est déterminé. « Daech, ce sont les ennemis du monde et de l’humanité, dit-il. C’est ensemble qu’il faut les vaincre. C’est ici qu’il faut les combattre car sinon ils viendront en Europe. D’ailleurs ils sont déjà à Paris et à Bruxelles. » Retour à Dohuk dans la nuit. Sur certains tronçons, notre chauffeur roule à 120 km/h tous phares éteints pour éviter d’être repérés par Daech.
Le 16 décembre, l’autre front, à Al-Koch
Al-Koch est un village chrétien, adossé à la montagne, qui n’a jamais été occupé par Daech. Mais la ligne de front n’est qu’à une vingtaine de kilomètres. Nous poussons jusqu’aux dernières positions, cette fois-ci escortés d’une section antiterroriste des peshmergas. Ceux-ci sont mieux équipés qu’à Sinjar. On distingue des fusils d’assaut américains M4 au lieu des habituelles Kalachnikovs. Un mercenaire néo-zélandais se distingue par sa barbe rousse et un écusson « Major League Sniper » . Il affirme avoir échappé à un attentat que s’apprêtait à commettre sur lui une femme portant une ceinture d’explosifs sous sa jilbab.
La ligne de front est calme. Sur des kilomètres, les peshmergas ont surélevé la terre fertile de cette région pour constituer une digue contre les attaques suicides. Les postes d’observation croulent sous les sacs de sable. Une bande d’une trentaine de mètres est balayée par des spots pour les attaques de nuit, dont Daech est si friand. Nous quittons la ligne de front vers 16 heures pour retourner à Erbil. Dans la soirée, nous apprenons que Daech a lancé vers 16 heures, plus au sud d’Al-Koch, une attaque en plusieurs points avec des kamikazes, trois voitures suicides et tiré au mortier sur un camp à Bashiqa où l’armée turque forme une milice arabe fidèle à l’ancien gouverneur de Mossoul. Les combats ont duré près de dix-sept heures et des avions américains, britanniques et français sont intervenus.
En temps de guerre, le calme est toujours trompeur.
SOURCE : La Libre Belgique