En Algérie, le burkini est «une négociation entre la femme et la société»
Loin de la polémique qui a secoué les plages françaises, le burkini rencontre un beau succès sur l’autre rive de la Méditerranée.
C’est une polémique qui a secoué l’été français, assombri par l’attentat de Nice le 14 juillet. Faut-il bannir le burkini des plages de l’Hexagone? Des élus municipaux du sud de la France, à Cannes, Nice ou Mandelieu, ont déjà fait ce choix. Aussi appelé hidjab, le burkini est un justaucorps en lycra assorti d’un pantalon, d’une petite robe et d’une cagoule recouvrant la tête et le cou. Les décrets municipaux interdisent son port au motif d’un risque de trouble à l’ordre public et d’atteinte à la laïcité. Un débat difficile, comme l’explique Henri Tincq sur Slate.fr.
«Sans doute enfin faut-il s’interroger sur la progression de cet islam « salafiste », même dans sa variable « piétiste » ou non-violente, qui entend s’ériger en « contre-société » moderne, contester les valeurs et les mœurs du monde occidental et démocratique. Un islam radical qui déteste les principes d’une liberté confondue systématiquement avec la licence et qui fait mine d’ignorer, ou de ne pas comprendre, les aspirations et les campagnes en faveur de l’émancipation et de l’égalité des femmes», écrit Henri Tincq, tout en dénonçant l’hystérisation du débat religieux en France, «symptôme d’une société française malade de l’islam».
Bikini contre burkini
De l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie, le burkini soulève également des questions, mais pas les mêmes. En terre d’islam, ce maillot de bain qui laisse la femme voilée rencontre un grand succès. «Il suffit de se promener le long du littoral algérois pour constater que la plupart des femmes algériennes boudent le maillot de bain. La tendance générale est à la « pudeur », de sorte que l’on voit de plus en plus de femmes vêtues d’un burkini», rapporte le site Algérie Focus.
Le magazine Jeune Afrique expliquait en août 2015 que la vogue du burkini sur les plages algériennes témoignait de l’islamisation de la société, tout en étant le symbole du fossé qui sépare l’Algérie rurale et les grandes villes où les tenues des femmes sur les plages sont bien plus mixtes.
«Une négociation entre la femme et la société»
«Les plages maghrébines subissent les changements profonds qui bouleversent les sociétés de la région, tiraillées entre modernité et traditions, libertés individuelles et interdictions religieuses, ouverture sur le monde et repli sur soi», analysait Jeune Afrique.
Pour Fatima Oussedik, professeur de sociologie à l’université d’Alger, qui s’est confié à Alégrie Focus:
«La question qui se pose ici est celle de la présence du corps féminin dans l’espace public (…) À la plage, on constate une négociation entre la femme et la société qui passe par le costume. En d’autres termes, ce qu’on observe sur les plages algériennes, c’est un lent mouvement de réintroduction du corps féminin dans l’espace public, un mouvement qu’il ne faut pas brusquer», conclut-elle.
SOURCE : www.slateafrique.com
Le burkini ne fait guère de vagues en Afrique du nord
Le débat lancé cet été en France sur le burkini rencontre peu d’écho en Afrique du nord, où ce costume de bain islamique a trouvé sa place sur des plages où les tenues sont de plus en plus pudiques.
A Zeralda, station balnéaire à l’ouest d’Alger, rares sont désormais les femmes qui osent se mettre en maillot, surtout en bikini, sur les plages publiques.
Hakima, professeur de mathématiques d’une quarantaine d’années, nage en burkini puis s’entoure d’un large paréo en sortant de l’eau. « C’est plus décent. Le maillot intégral est la solution pour les musulmanes pratiquantes qui aiment la mer », explique-t-elle.
Mais certaines se couvrent à contrecœur, comme Manel Brahimi, étudiante en biologie: « J’adore nager mais si je porte un maillot de bain normal, on me regarde comme une martienne ».
Siham, 24 ans, s’est également résignée à porter, au-dessus de son maillot une pièce, un short cycliste afin d' »éviter les regards ».
Sur les plages de Rabat, les baigneuses se trempent aussi dans les tenues les plus disparates, du bermuda au bas de survêtement en passant par le legging, le short en jean, ou même le suggestif tee-shirt mouillé.
Mais rares sont celles arborant un burkini proprement dit, ce costume de bain créé en Australie dont le prix moyen (au moins 500 dirhams, 50 euros) le met hors de portée pour la majorité d’entre elles.
« Ce phénomène est surtout le fait des MRE (les Marocains résidant à l’étranger). Ils ont importé cette mode cette année lors de leur vacances sur les plages marocaines », en particulier dans le nord du pays, plus conservateur, souligne Miloud, un retraité.
Fadel, un quadragénaire, y voit avant tout « une histoire de gros sous » qui « fait les affaires des boutiques de mode islamique ». « Mais la plupart des gens ici s’en foutent », souligne-t-il.
Réservée aux femmes
De ce fait, la polémique créée en France par l’interdiction du burkini par plusieurs communes du sud, comme Nice ou Cannes, paraît décalée.
« Ce débat n’intéresse pas en Tunisie », indique le sociologue Abdessatar Sahbani. « Le port du burkini, qui a évolué d’une façon considérable depuis la révolution (de 2011), n’a pas provoqué de problèmes sur les plages… Et cet été les Tunisiens sont surtout préoccupés par la situation économique et sécuritaire ».
L’évolution des moeurs a ouvert la voie aux plages privées réservées aux seules femmes et enfants. Comme le « Marina club » ouvert à l’est d’Alger par l’entrepreneur Riadh Bourayou.
Bien que son prix d’entrée soit élevé, les clientes, voilées ou non, se bousculent autour de la piscine, où se côtoient bikinis, maillots échancrés ou burkinis loin des regards masculins. Seules des femmes, étudiantes pour la plupart, y sont employées comme serveuses ou maîtres nageuses.
« C’est un havre de paix, un endroit discret pour une femme musulmane », se réjouit Ouahiba Chatouri, une hôtesse de l’air à la retraite voilée heureuse de porter son maillot deux pièces en toute tranquillité.
Un peu plus loin, un mur sépare sur la plage ces baigneuses de celles portant le voile intégral.
Ces dernières « en fait n’apprécient pas qu’il y ait de jeunes garçons », affirme une cliente, étonnée que l’on puisse comparer le regard d’un gamin de 7 ou 8 ans à celui d’un adulte.
En bikini ‘par principe’
Début août, un article de la presse arabophone algérienne avait provoqué un tollé sur les réseaux sociaux en assimilant les femmes en bikini à des débauchées. La journaliste y affirmait que « certaines plages d’Alger se sont transformées en points noirs, interdites de fait aux familles, à cause de la nudité et de la mixité ».
Or, jusqu’aux années 1990, la mixité et les maillots de bain étaient la règle sur les plages d’Algérie, où la baignade habillée était l’exception le long de ses 1.600 km de côtes.
« Au lieu d’avoir une mixité sociale sur les plages comme cela avait toujours été le cas, des murs sont érigés entre celles qui peuvent se permettre une plage payante et bronzer comme elles le veulent et celles qui, par conviction ou par obligation, nagent dans une tenue décrétée décente par la société », regrette Saida, une enseignante d’anglais.
Près d’elle, Katia Ouahid, est en bikini « par principe ».
« J’ai pris du poids avec mes grossesses mais je refuse le diktat de la société. Quand les islamistes interdisaient aux femmes d’aller à la plage, on n’a pas cédé. On partait en famille et avec des amis et on se mettait en maillot », rappelle Katia, la cinquantaine.
Amina, l’une de ses amies, regrette aussi que « la société ait énormément régressé sur le plan des libertés individuelles ». « Il ne manque plus que l’on placarde à l’entrée: +plage familiale, tenue décente exigée+ », s’insurge-t-elle, en se disant « nostalgique » des grandes plages où les filles étaient en maillots aux couleurs chatoyantes.
SOURCE : La Dépêche du Midi