Chine : quasiment absentes en politique, les femmes cartonnent dans le monde des affaires
S’émancipant de la société patriarcale, les Chinoises se lancent à fond dans les affaires. Publicité, immobilier, nouvelles technologies… Leur réussite est éclatante. Ne reste plus qu’à percer en politique.
Pour les Chinois, Hillary Clinton est un ovni. Une femme en politique ? C’est encore une incongruité dans la deuxième économie du monde. Aucune de celles qui « portent la moitié du ciel », comme l’a dit si joliment Mao, ne siège au comité permanent du Bureau politique, la plus haute instance du Parti communiste. Les femmes ne représentent même pas le quart des membres du Congrès national du peuple, l’équivalent du Parlement. Elles ne sont que 23 % au sein de la fonction publique et moins de 1 % dans les comités de village.
Même absence à tous les niveaux de l’Administration : aucune ambassade d’importance n’est confiée à une femme, aucun poste ministériel, aucune présidence d’université… Et le plafond de verre n’est pas près de se fissurer, car aucune loi sur la parité n’est à l’étude.
Reines des affaires
« Le confucianisme est une philosophie qui accorde toujours beaucoup plus d’importance aux hommes, note le Pr Cheng Wan, de l’université de Pékin. Pour grimper les échelons en Chine, mieux vaut être un homme d’âge mûr, qui impose forcément davantage le respect qu’une femme, a fortiori si elle est jeune. » Alors, pour s’affranchir de ce machisme millénaire, les femmes ont jeté leur dévolu sur le monde des affaires. Avec une réussite évidente.
Selon le classement Hurun des plus grosses fortunes, onze des vingt femmes les plus riches du monde sont chinoises. Et si l’on prend en compte les self-made-womans milliardaires, c’est-à-dire des femmes qui ne doivent leur réussite qu’à elles-mêmes, deux sur trois sont Chinoises. C’est beaucoup plus qu’aux États-Unis.
Zhou Qunfei est la plus célèbre – et la plus riche d’entre elles. La quarantaine flamboyante, elle est à la tête d’une fortune estimée à 6,5 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros). Zhou a été ouvrière dans une usine qui fabriquait des écrans pour téléphones mobiles avant de créer en 2003 sa propre entreprise, Lens Technology. Aujourd’hui, elle produit principalement des écrans tactiles pour téléphones mobiles, ordinateurs et appareils photo.
Ses écrans équipent près de 21 % des smartphones dans le monde. Sa patronne est pourtant restée d’une simplicité déconcertante. Entourée essentiellement de conseillères, elle fait régulièrement le tour de ses usines et dort parfois dans ses ateliers, à même le sol.
Autre femme de pouvoir, omniprésente à la télévision ou dans la presse people : Zhang Xin. Épanouie et détendue, cette fashionista détonne dans un pays où la discrétion est de mise. À 14 ans, elle habitait dans un bidonville de Hong Kong et assemblait des jouets bon marché dans les usines du delta de la rivière des Perles. En 2008, le magazine Forbes a inscrit l’ancienne ouvrière dans la liste des cent femmes les plus influentes du monde.
À moins de 50 ans, Zhang a tout réussi. Elle a quitté les dortoirs pouilleux du sud de la Chine pour décrocher un master en économie à Cambridge, avant de bâtir l’un des plus puissants empires immobiliers de Chine. Ses immeubles Soho, acronyme de small office, home office, sont désormais l’un des symboles de la capitale chinoise. Le déclic vient en 1984, lorsqu’un de ses amis d’enfance lui rend visite. « Il a bouleversé ma vie, raconte-t-elle dans sa biographie. Il parlait l’anglais et avait étudié à l’étranger. “Ta vie est vraiment épouvantable, m’a-t-il dit, tu devrais partir aux États-Unis”. » C’est finalement en Grande-Bretagne qu’elle fera le grand saut, grâce à une bourse décrochée au prix de longues nuits passées à apprendre l’anglais.
Dans un pays où l’argent a détrôné Mao, la réussite de Zhang Xin et de ses semblables témoigne de l’importance croissante des femmes d’affaires dans la société chinoise. Plus aucun secteur ne leur échappe, y compris celui très masculin des nouvelles technologies.
Le plus grand fonds d’investissement n’est pas américain. Il n’est pas implanté dans la Silicon Valley, mais à Pékin. À 46 ans, Chen Xiaohong, une ancienne bibliothécaire, finance la plupart des grandes entreprises du secteur de l’internet et des nouvelles technologies. Aux États-Unis, moins de 10 % des principaux associés des sociétés d’investissement de ce secteur sont des femmes. En Chine, elles sont 17 %. Quelque 80 % des sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies comptent au moins une femme au sein de leur conseil d’administration, contre 50 % aux États-Unis et 3 % seulement au Japon.
Exigeantes
« Par certains côtés, les Chinois ne sont pas sexistes. De nombreuses femmes sont à la tête de grandes entreprises », observe la sinologue Marie Holzman. La politique de l’enfant unique, en vigueur jusqu’à l’an dernier, n’a pas favorisé un équilibre des sexes. Aujourd’hui, la Chine manque de femmes. Dans les campagnes, les couples préfèrent toujours avoir un garçon, et, dans les villes, les jeunes femmes issues des classes moyennes et aisées préfèrent souvent le célibat à un mariage arrangé. À Pékin, on compte ainsi près d’un demi-million de femmes célibataires… Souvent par choix.
La nouvelle génération est en effet de plus en plus exigeante. Avec la politique de l’enfant unique, les jeunes femmes ont été choyées par leurs parents et sont donc plus difficiles à contenter. Comme Dai Xin, qui préfère dépenser tout son salaire en vêtements et en cosmétiques plutôt qu’en couches-culottes et en lait pour bébé. Une petite révolution dans un pays qui place la famille au cœur de la société.
Yao Jun a 39 ans. Une carrière exemplaire. Trop, peut-être. « Une femme qui gagne bien sa vie fait peur aux hommes, explique-t-elle. Les Chinois sont très machos, ils n’acceptent pas que je sois indépendante financièrement. » Yao Jun fait partie des douzhanshengfo, les « bouddhas combattants », comme on les appelle. Directrice d’une grande agence de publicité, elle incarne une véritable réussite sociale. Un phénomène récent dans une société encore très patriarcale. À preuve : l’équivalent masculin d’une « fille qui reste » – à marier – est huang jin wang lao wu, un « mec en or » !
En Chine, en effet, savoir « garder la face » est primordial dans une relation. L’homme doit avoir le beau rôle, à commencer par celui de chef de famille. C’est traditionnellement lui qui travaille et subvient aux besoins de son épouse. Mais, depuis une dizaine d’années, les jeunes Chinoises aspirent à faire des études et à travailler. Elles sont de plus en plus nombreuses dans les universités, et même majoritaires parmi ceux qui partent étudier à l’étranger. Une façon de couper le cordon familial et de s’affranchir.
Femmes des îles
Une femme aux commandes d’un pays ? Impensable en Chine continentale… mais pas à Taïwan, où Tsai Ing-wen est devenue, en mai, première femme présidente de la République de l’histoire de l’île. Cette ancienne avocate, membre du Parti démocrate progressiste, est une indépendantiste résolue, au grand dam de Pékin.
Autre femme à l’honneur : la Hongkongaise Margaret Chan, depuis dix ans directrice générale de l’OMS. Directrice de la Santé à Hong Kong pendant neuf ans, elle a été confrontée à la première flambée humaine de grippe aviaire H5N1, en 1997, et a géré avec succès l’épisode du syndrome respiratoire aigu sévère (sras), en 2003.