La justice marocaine innocente deux ados accusées d’homosexualité
Après plus d’un mois de procédure et un écho international, le verdict est enfin tombé. Les deux filles mineures arrêtées pour « homosexualité » à Marrakech le 28 octobre ont été libérées et innocentées.
« Elles sont innocentes ! » Ce cri de libération poussé il y a quelques heures par l’Union Féministe Libre sonne également comme un cri de victoire. La première affaire d’homosexualité féminine portée devant le tribunal de grande instance de Marrakech s’est soldée sans aucune condamnation. Selon certains, la mobilisation internationale y est pour beaucoup.
Sanaa et Hajar sont deux adolescentes marocaines de 16 et 17 ans. Fin octobre, elles avaient été jetées en prison à cause d’un baiser : un proche les aurait surprises en train de s’enlacer et de s’embrasser sur un toit de Marrakech, et photographiées. Dénoncées, les deux jeunes filles avaient ensuite été livrées à la police par leur propre famille. Selon l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), Sanaa et Hajar auraient même été « sévèrement battues et privées de nourriture » puis forcées de signer des aveux sous la contrainte. Leur emprisonnement dure une semaine, durant laquelle ni Sanaa ni Hajar n’ont le droit de voir leurs parents bien qu’elles soient mineures.
Emballement médiatique sur fond de COP22
Du côté des associations de défense des Droits de l’Homme, on s’agite pour dénoncer tant le caractère absurde de l’arrestation que les conditions de détention. L’affaire réactive la lutte contre l’article 489 du Code Civil marocain qui inscrit les homos comme des criminels risquant jusqu’à trois ans de prison ferme et 1.200 dirhams d’amende. L’arrestation de deux mineures fait le tour des médias, les réseaux sociaux s’emparent du combat derrière le hashtag #FreeTheGirls, une pétition en ligne réclamant leur libération réunit 100.000 signatures et des personnalités prennent publiquement la défense des jeunes filles à l’instar de Leïla Slimani, récemment récompensée du prestigieux prix Goncourt. Du côté de Human Rights Watch, on demande aux autorités marocaines d’ »arrêter de poursuivre les gens pour des actes privés consentants. » Mais la polémique tombe mal pour le Maroc alors que les caméras du monde entier sont braquées sur le pays hôte de la COP22.
Les deux jeunes filles sont finalement remises en liberté provisoire le 3 novembre, avant leur procès à huis clos prévu le 25 du mois. Le jour J, l’avocat Youssef Chehbi parle d’une « bonne ambiance » puisque « les familles des deux jeunes filles ont même pris le petit déjeuner ensemble ». Selon lui, Sanaa et Hanar « risquent un blâme ou un avertissement mais devraient s’en sortir sans inscription au casier judiciaire » car « tout le monde était témoin de l’absurdité de la situation. »
« Ce procès montre que les autorités marocaines devraient abolir l’article 489 »
Le verdict prononcé ce matin par le tribunal de Marrakech confirme cette tendance puisque les filles ont été innocentées et échappent donc aux trois années de prison encourues. Or ces dernières avaient nié les faits lors de leur procès, plaidant que leur relation était uniquement amicale… Pour les ONG, la bataille n’est donc pas encore gagnée. A Libération, Omar Arbib d’AMDH parle d’un verdict « surréaliste et inachevé » au cours duquel le « tribunal n’a pas eu le courage de dire que les deux filles sont innocentées pour homosexualité ». Citée par Telquel, la directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch a rappelé la nécessité de mettre fin à l’homophobie d’état qui règne au Maroc :
Nous espérons que ce verdict est la fin d’une épreuve que ces jeunes filles n’auraient jamais dû vivre. Ce procès montre une fois de plus que les autorités marocaines devraient abolir l’article 489 qui criminalise les relations homosexuelles.
Selon le Collectif Aswat qui défend les minorités sexuelles au Maroc, 19 cas de poursuites similaires ont été enregistrées à Casablanca en l’espace de trois mois, entre janvier et mars 2016.