Au Tadjikistan, les femmes s’emparent du travail abandonné par les hommes
En bleu de travail, Marjona Abdoulloeva examine attentivement le châssis d’une Opel garée devant un centre de formation géré par l’Etat au Tadjikistan, un pays conservateur d’Asie Centrale où la récession du voisin russe a été durement ressentie.
A 20 ans, la jeune fille espère devenir la première femme à obtenir un diplôme de garagiste dans ce centre de formation professionnelle de Douchanbé, capitale d’un pays dont la bonne santé économique dépend en majorité des transferts d’argent envoyés par les hommes partis tenter leur chance en Russie.
Plus d’un million de Tadjiks, sur une population totale de 8,5 millions d’habitants, travaillent à l’étranger selon les économistes, 90% ayant choisi la Russie comme pays d’accueil. Mais les transferts d’argent ont baissé de deux tiers depuis 2014 avec le début d’une crise économique dont la Russie commence à peine à se remettre.
En 2015, ces transferts ont baissé à 1,28 milliard de dollars contre 3,8 milliards en 2014, quand ils comptaient pour près de la moitié du PIB du Tadjikistan, selon les chiffres de la banque centrale de Russie.
Conséquence : beaucoup de femmes ont quitté leur foyer pour trouver de nouvelles sources de revenus afin de subvenir aux besoins de leur foyer.
Pour certaines d’entre elles, comme Marjona, cette décision allait de soit. « Réparer les voitures est considéré comme un travail d’hommes mais je me moque de ce que mes amis pensent de mes choix », explique-t-elle.
« Le travail que vous faites doit vous intéresser. Je veux réussir ma propre vie », ajoute-t-elle avec conviction.
Ces nouvelles nécessités ont contribué à l’essor des centres de formation. Selon Choukhroullo Salomov, le directeur d’un de ces établissements où les frais d’inscription vont traditionnellement de 13 à 20 dollars par mois, « environ 60% » des élèves sont des femmes ».
« Beaucoup d’entre elles s’engagent dans des professions typiquement masculines, réussissent leurs formations et ne regardent pas en arrière », déclare-t-il à l’AFP.
– « Pas assez de travail » –
Si la pauvreté a considérablement diminué au cours de la dernière décennie, le pays a encore des difficultés à créer des emplois.
« Sur les 130.000 jeunes qui finissent leurs études chaque année, plus de 60.000 rejoignent les rangs des chômeurs », souligne à l’AFP Saïmouddine Doustov, un analyste tadjik basé à Moscou.
Une tendance qui pourrait pousser des femmes comme Marjona Abdoulloeva à suivre les hommes en Russie, bien que ce ne soit pas sans risque.
« Les jeunes femmes qui émigrent sont souvent victimes de la suspicion de la société tadjike si elles trouvent du travail à l’étranger, parce que certaines femmes migrantes tombent dans la prostitution », explique Alla Kouvatova, qui étudie les problématique de genre au Tadjikistan.
Selon elle, les femmes occupant des emplois traditionnellement dévolus aux hommes ne sont en outre pas très bien vues.
Dans son adresse à la Nation en décembre, le président Emomali Rakhmon a d’ailleurs déploré que les femmes occupent « de plus en plus souvent un travail lourd et physique », appelant les entreprises du secteur tertiaire à embaucher plus de femmes.
– Pas de femmes au volant –
S’il est une profession qui a pu absorber le surplus de main-d’oeuvre du pays, c’est celle de chauffeur de taxi. Mais peu de femmes ont trouvé leur place dans cette profession.
« Behind the Wheel », un documentaire court-métrage de la Britannique Elise Laker tourné en 2013 et primé dans différents festivals en Europe, raconte l’histoire d’une femme ayant quitté cette profession après avoir été la cible de nombreuses moqueries de ses clients masculins, et qui choisit de devenir réparatrice de pneus –un métier où les interactions avec la clientèle sont moins nombreuses.
« Sur les milliers de chauffeurs de taxi dans les grandes villes, très peu sont des femmes », estime Saïmouddine Doustov.
Mais en dépit des ternes perspectives d’emplois, peu de femmes diplômées des centres de formation de Douchanbé regrettent leur choix.
Zarina Nabieva, 47 ans, suit, elle, une formation de plombier et affirme que ses nouvelles compétences lui ont déjà permis de mettre un peu d’argent de côté.
« Nous ne cherchons pas à prendre la place de qui que ce soit », déclare-t-elle. « Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour notre bien-être et celui de notre famille ».