Prostitution : Bribes de vies de trois femmes marocaines [1/2]
La prostitution, un tabou, et partout une pratique qui fait partie de la vie de la cité. Au mieux ignorées, au pire vilipendées, voire agressées, ces femmes ont chacune une histoire, un vécu. Pour mieux cerner ce monde à la marge de notre société, Yabiladi a choisit de vous raconter le parcours de trois femmes. Immersion.
Les préjugés sont nombreux concernant la prostitution. Pourtant la réalité des travailleuses du sexe est plus complexe, des parcours et des motivations aussi nombreux qu’il y a de prostituées. Salwa*, Dounia* et Lamia* ont accepté de témoigner à cœur ouvert. Les cicatrices sont toujours là, béantes et à fleur de peau.
Salwa, âgée de 32 ans est une belle femme, plantureuse et très avenante. Dans un français parfait, elle raconte son parcours. Elle avait commencé à se prostituer à l’âge de 18 ans, non pas par besoin, mais par envie de bien vivre. «Je voulais m’offrir de belles choses, garder un certain rythme de vie auquel je me suis habituée. J’avais juste envie de sortir, de bien m’habiller», raconte-t-elle. La jeune femme vit à Marrakech et s’est retrouvé du jour au lendemain dans le monde de la nuit.
«Tu ne vois pas les conséquences de tes actes quand tu deviens prostituée», ajoute-t-elle. Selon la jeune femme, sa dérive est due à sa naïveté, «je n’avais pas la tête sur les épaules», souligne Salwa. Aucune influence quelconque n’a déterminé son choix de vie, «j’ai commencé à me prostituer de moi-même», se remémore-t-elle. Elle considère avoir été plutôt épargnée des risques de la prostitution, puisqu’elle n’a jamais eu affaire à des hommes violents. «Quand j’entends les histoires des autres femmes, je me rends compte que j’ai vraiment eu de la chance», dit-elle.
«Au début, ma famille n’en savait rien. Mais avec «tberguig» (les ragots), ses parents ont fini par en entendre parler. «Tu ne peux pas cacher ce que tu fais éternellement. Ma famille m’a prévenue que ça allait avoir des répercussions», raconte Salwa, émue. Depuis six ans, la native de Marrakech a trouvé le courage d’arrêter. «Quand j’ai trouvé le soutien, j’ai commencé à être membre dans une association et c’est grâce à cet espoir là que je m’en suis sortie», déclare la femme de 32 ans. Sa vie d’avant pouvait lui rapporter jusqu’à 1 000 dirhams par passe «dans le meilleur des jours», sinon les tarifs variaient entre 200 dirhams à 500 dirhams. «Je suis heureuse de ne pas avoir attrapé de maladie sexuellement transmissible», se rassure-t-elle.
Larmes, précarité et violence
La voix cassée, les larmes dans l’intonation, Dounia se remémore un pan douloureux de son passé. «Mes parents m’ont mariée à 14 ans, une sorte de mariage arrangé avec un homme de 31 ans», se remémore-t-elle. Elle dépeint un homme violent, suicidaire et autodestructeur. Le premier homme de sa vie l’a brisée. «J’étais dans une famille qui était dans la précarité extrême. Je ne pouvais pas refuser de me marier. A cet âge là, je ne comprenais rien de ce que ça représentait d’être une femme», ajoute la femme de 40 ans. J’ai eu un enfant avec ce «monstre», qui est mort alors qu’il était nourrisson.
Un jour, elle apprend que son mari a violé un garçon de 12 ans. C’est à ce moment qu’elle entame une procédure de divorce. Elle fuit un homme au tempérament imprévisible, violeur récidiviste : «C’était un militaire, donc quand il revenait pour la permission il violait à tout va. Femmes, hommes, enfants il ne s’en souciait guère», raconte Dounia avec rage. Divorcée, sans aucun diplôme, dans une société qui accepte mal les femmes dans sa situation, elle doit apprendre à vivre seule. Elle commence à travailler comme femme de ménage chez des familles. «Le salaire était trop peu pour vivre», se rappelle-t-elle. Un jour, elle rencontre une femme à l’arrêt de bus, c’est elle qui m’a fait rentrer dans le monde de la prostitution», dit la native de Marrakech. «Je n’avais rien, je ne sais pas ce qui m’a pris mais je voulais juste manger à ma faim», précise-t-elle.
A partir de ce moment, la descente aux enfers : «J’ai commencé à boire, à fumer, je suis même devenue accro au haschich. J’avais tout juste 16 ans. Je ne connaissais rien de la vie», murmure-t-elle. Quelques fois elle faisait du racolage dans des grandes avenues, mais la plupart du temps, elle avait ses habitudes dans un café à Marrakech, où les prostituées allaient pour trouver des clients. «Les forces de l’ordre ont entendu parler de cet endroit, depuis il n’existe plus», informe-t-elle. Son travail lui permettait d’avoir maximum 250 dirhams par passe, «quelques fois mes clients ne me donnaient que 100 dirhams, en prétextant n’avoir que ça sur eux», précise-t-elle.
«J’ai 40 ans maintenant, j’ai arrêté depuis cinq ans. J’ai trouvé l’aide nécessaire pour m’en sortir, ma fille a 15 ans à présent, je veux lui offrir le meilleur avenir», dit-elle convaincue. Le déclic est arrivé quand une intervenante de l’association de lutte contre le sida lui a parlé des risques qu’elle encourait à avoir des rapports non-protégés. «Je ne supportais plus de sortir, je ne voulais plus qu’on me touche de peur d’attraper une MST (maladie sexuellement transmissible)», ajoute-t-elle.
Mère de famille et sœur ainée
La troisième femme à partager son histoire est encore dans le milieu de la prostitution à ce jour. La précarité et le fait d’avoir un père qui est décédé alors qu’elle était très jeune l’a poussée dans la voie de la prostitution. «Je suis l’ainée de ma fratrie, donc j’étais obligée de subvenir aux besoins de ma famille», raconte-t-elle. «J’avais 13 ans quand je me suis mariée, et 15 ans quand j’ai divorcé», ajoute-t-elle.
Adolescente et éperdument amoureuse, elle croyait facilement aux promesses que lui faisaient les hommes dans sa vie. «J’ai eu deux enfants de deux hommes différents. Ma famille m’a jetée dehors», dit Lamia très émue. Obligée de travailler pour pouvoir payer son loyer et ses dépenses quotidiennes. La femme de 41 ans devient travailleuse de sexe. «J’ai rencontré une entremetteuse, elle prenait l’argent qu’on ramenait et elle le distribuait comme elle voulait», se souvient Lamia. «Puis, j’ai rencontré une autre femme, j’allais avec elle sur le boulevard et on racolait les clients dans la rue», explique-t-elle.
Comme Lamia, Dounia dérive dans les addictions : cigarettes, alcool puis hachich. «Ma famille m’ont pris mes enfants, ils savaient que j’avais du mal à trouver qui pouvait les garder. Du jour au lendemain je me suis retrouvée seule», avoue la femme de 41 ans, la voix brisée après avoir aspiré une bouffée de sa cigarette.
«J’ai travaillé comme femme de ménage, éboueuse, mais les horaires et les salaires ne me convenaient pas. J’avais trop de bouches à nourrir», déclare-t-elle.
«J’aimerai m’en sortir, mais j’ai arrêté mes études très jeune, à l’âge de 7 ans», regrette Dounia. Les tarifs varient entre 200 à 250 dirhams la passe. «Les études jouent un rôle primordial de nos jours, pour pouvoir s’en sortir», clame-t-elle.
Prostitution : Bribes de vies de trois femmes marocaines [2/2]
La prostitution, un tabou, et partout une pratique qui fait partie de la vie de la cité. Au mieux ignorées, au pire vilipendées, voire agressées, ces femmes ont chacune une histoire, un vécu. Dans cette deuxième partie du dossier, nous insisterons sur un aspect particulier du métier : celui de la violence, des viols. Détails.
Salwa, Dounia et Lamia ont dévoilé une réalité difficile du métier de prostituée : la violence à laquelle elles font face au quotidien. Les trois femmes sont unanimes. Beaucoup de travailleuses de sexe se sont fait violer étant plus jeunes. Quelques unes, par un membre de la famille : un frère, le père. Dounia raconte : «J’ai une amie à moi qui se faisait violer par son frère quand il était sous l’effet du karkoubi (pyschotrope, ndlr)», confie-t-elle. Salwa aussi se rappelle : «Plusieurs amies à moi me l’ont dit. Certaines ont subi le harcèlement de la part de leur père, de leurs frères». Dounia quant à elle, a été victime du viol conjugal au tout début, puis certains clients n’hésitaient pas à la frapper, abuser d’elle pour finir par ne pas la payer : «Chaque nuit et son lot de surprises (…) j’ai souvent eu des bleus partout», raconte la femme de 40 ans.
Considérer son corps comme un objet
Docteur Mohamed Fouad Benchekroun, psychanalyste, psychiatre et psychologue a livré à Yabiladi son avis sur ce qui amène les jeunes femmes à dévier dans la prostitution. Selon lui, chaque cas est différent. «Le première dérive est d’ordre économique, la plupart des femmes qui vont vers ce type de conduites ont des problèmes financiers», explique-t-il. «Il existe plusieurs cas de figure, certaines filles n’ont pas de jouissance avec leur partenaire. Elles vivent leur corps comme un objet, une marchandise», détaille le psychiatre. «Les familles sont souvent au courant. Les prostituées agissent avec la complicité de leurs proches. Mais par contre, ils n’en parlent pas entre eux. Le plus important c’est de ramener l’argent et c’est tout», ajoute-t-il.
Il explique en outre que certaines femmes qui choisissent cette voie, peuvent le faire aussi par amour, pour leur homme, «avec qui elles se sentent réellement aimée, elles sont prêtes à lui ramener tout ce dont il a besoin et ce qu’il demande», explique-t-il.
Un dernier cas, et celui-ci est «exceptionnel», des femmes qui le font «par quête de plaisir impossible. Elles cherchent en permanence une jouissance à laquelle elles me peuvent pas accéder», précise le médecin. «Vous avez le dernier cas de figure, des filles qui ont fait l’objet d’abus pédophiliques, avec une culpabilité inconsciente. Elles se sentent responsables de ce qui leur est arrivé, et elles vont dans la dérive pour se déculpabiliser. Elles se disent ce n’est pas de ma faute, mon corps n’est qu’un objet», conclut le docteur Benchekroun.
Les trois femmes qui ont témoigné ont chacune une histoire. Salwa et Dounia ont pu s’en sortir. Elles se sont toutes les deux engagées dans l’associatif pour pouvoir aider les femmes prostituées à s’en sortir. «Je veux juste apporter mon soutien à ces femmes-là. J’ai une rage au fond de moi qui me pousse», s’insurge Salwa. Elle avait un refuge : «J’ai arrêté mes études jeune, mais j’ai gardé la passion pour la littérature, la lecture. Ça m’a permis de m’évader», confie la femme de 32 ans. «J’ai gagné le respect des gens à présent. Je ne veux pas le perdre», ajoute-t-elle. Dounia est aussi animée par une flamme puissante, elle veut se donner à cent pour cent : «Je veux faire de mon mieux pour aider», dit-elle.
Lamia, quant à elle est dans le milieu «depuis aussi loin que je puisse m’en rappeler», confie-t-elle. Ses fils ont 16 et 19 ans. «Ils sont au courant de ce que je fais, je ne peux pas leur cacher», avoue-t-elle. «Je souhaite vraiment me sortir de cette spirale infernale», ajoute la femme de 41 ans. Elle a commencé à postuler dans certaines associations pour pouvoir avoir un travail d’encadrante. «J’attends leur réponse avec impatience», conclut-elle pleine d’espoir.
SOURCE : www.yabiladi.com