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Sicile : ouvrières roumaines
Categories: Monde : Europe, Violence

« Séquestration, violence sexuelle »: Les esclaves roumaines en Sicile

En Sicile, une main-d’œuvre bon marché venue des pays de l’Est subit les abus de certains exploitants locaux.

Depuis le mois de mai dernier, la magistrate Valentina Botti ne se déplace plus sans son escorte policière. Une protection rapprochée mise en place depuis que son véhicule a été bloqué par deux hommes, qui l’ont ensuite menacée. Une tentative d’intimidation évidente contre la juge sicilienne qui enquête notamment, depuis plusieurs années, sur l’exploitation des ouvrières roumaines dans les serres de Vittoria, en province de Raguse.

« Séquestration, violence sexuelle, esclavage, ce sont les trois crimes principaux que nous avons pu vérifier au cours de nos enquêtes« , affirme-t-elle. « Nous parlons ici de milliers de femmes roumaines qui potentiellement pourraient être victimes d’abus sérieux. »

Dans les campagnes, autour de Vittoria, les serres s’étendent à perte de vue. Un système d’agriculture intensive qui a vu le jour dans les années 70 et permet à des milliers de petits exploitants d’exporter leurs fruits et légumes dans toute l’Europe, tout au long de l’année. Le secret de cette réussite : une main-d’œuvre très bon marché. « Jusqu’à la fin des années 90, ils ont utilisé de la main d’œuvre tunisienne explique Giuseppe Scifo, syndicaliste local de la CGIL (la Confédération générale italienne du travail), mais depuis une dizaine d’années, ils préfèrent utiliser des ouvriers des pays de l’Est, surtout des Roumains. »

Abus sexuels et omerta

« Sur la totalité des Roumains qui travaillent ici, soixante pour cent sont des femmes« , explique Ausilia Cosentini de l’association Proxima. « Au moins 5000 femmes, toutes originaires de Botosani en Moldavie travaillent ici. Et même si les plaintes officielles sont peu nombreuses, les cas de violences sexuelles sont fréquents. Elles gagnent entre dix et quinze euros par jour et sont logées par le patron. Il arrive que ce dernier considère que si ces femmes travaillent pour lui dans les serres en journée, la nuit, il a aussi le droit de demander des ‘services’ disons particuliers. »

Luana est l’une des femmes recueillies dans le centre d’accueil de l’association Proxima. Veuve avec deux enfants en bas âge, elle travaillait dans l’une des serres perdues de la campagne sicilienne. Son patron lui a proposé de conduire ses enfants à l’école chaque matin. Une générosité qui n’était pas dénuée de tout intérêt. Il l’appelle souvent en pleine nuit et si elle refuse de se soumettre, il la menace. « Je ne les conduirai plus à l’école, et je vous supprime l’eau potable à toi et aux enfants. Ici, il fait chaud et l’eau que nous utilisons dans les serres n’est pas potable, donc choisis… » Ce témoignage a été recueilli par une chercheuse de l’Université de Palerme, Alessandra Sciurba. « En général, elles sont conscientes de ce qui les attend. Mais elles le font pour le bien de leur famille », dit-elle.

Des avortements en série

En Italie, la ville de Vittoria, un peu plus de 60 000 habitants, détient aussi le triste record des demandes d’avortement par rapport à la population. Les jeunes Roumaines arrivent à l’hôpital local, toujours accompagnées par des hommes, souvent des Italiens. « Elles restent assises, le regard fixe, et ce sont toujours les hommes qui parlent à leur place », raconte l’une des infirmières interviewée par le journaliste italien Antonello Mangano.

Mais à Raguse, huit gynécologues sur dix sont objecteurs de conscience et refusent de pratiquer les avortements. « A cause de la liste d’attente, de nombreuses femmes dépassent le terme des trois mois, elles sont alors obligées de retourner en Roumanie pour accoucher ou de s’adresser à des personnes qui pratiquent illégalement l’interruption de grossesse. »

Depuis deux ans, le phénomène de l’exploitation sexuelle des femmes roumaines dans les serres de Sicile, des ouvrières qui permettent à l’Europe entière de manger des tomates en hiver, a plusieurs fois été dénoncé. La préfecture a augmenté les contrôles mais Ausilia Consentini affirme que dans les serres rien n’a vraiment changé.

SOURCE : www.lalibre.be

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