Les « Amazones du Dahomey », des femmes-soldats dans l’Afrique précoloniale
Dans l’ancien Royaume de Dahomey, aujourd’hui le Bénin, une armée de guerrières défie tous les clichés sur les femmes. Plus fortes et plus vaillantes que les hommes, elles ne reculent devant rien. Ni l’ennemi, ni la mort. Elles se nomment les Mino, les colons leur donnent le nom d’Amazones.
« Vaincre ou mourir », tel est leur adage. Crane rasé, coiffé d’un bonnet blanc orné de caïmans bleus, elles ont la démarche virile et le regard noir. Dans un combat au corps à corps, leur domaine d’excellence, aucun homme ne résiste. Elles ne prétendent pas les égaler, les hommes, elles les surpassent. « Elles », ce sont les « Mino » (« nos mères », en langue fon), surnommées les « Amazones du Dahomey » par les européens, en référence au mythe des femmes guerrières de l’antiquité. Une armée de femme unique au monde au XVIIIe siècle.
Les historiens peinent à dater précisément leur origine, mais c’est surtout à partir du XIXe siècle, sous le règne du roi Gézo, que le corps militaire se structure pour devenir l’unité d’élite féminine du roi, lui jurant fidélité jusqu’à la mort.
Une vie entière consacrée à la défense du roi
Éduquées au combat, elles vouent leur vie entière à la défense du roi et de son royaume. Pas question, donc, de tomber enceinte ou d’avoir des relations intimes. Elles font vœux de virginité. Une fois formées, elles sont réparties selon leurs spécialités : on distingue les fusilières, les archères, les faucheuses, – connues pour leur « rasoir gigantesque », les artilleuses, et enfin les chasseresses, commando d’élite dont les membres sont sélectionnés parmi les meilleures tueuses.
En service un jour sur deux, les guerrières subissent un entrainement physique quotidien très dur. Aptes à résister à la douleur, elles excellent dans le maniement des armes : « Alors qu’un soldat dahoméen met en moyenne 50 secondes pour recharger sa carabine après avoir fait feu, une « Amazone » réalise l’opération en trente secondes », rapporte l’explorateur J. Foa.
Des féministes avant l’heure
Se considérant plus fortes et plus courageuses que les hommes, elles prônent un renversement des valeurs et de la division du travail, revendiquant une forme de sur-féminisme avant l’heure :
Connues pour leur férocité légendaire, elles se montrent sanguinaires, n’hésitant pas à brandir les têtes ou autres organes fraîchement coupés de leurs adversaires. La première fois que les soldats français y sont confrontés, le 26 octobre 1892, ils n’en croient pas leurs yeux.
Première rencontre avec l’armée coloniale
La France a déclaré la guerre au Royaume de Dahomey (Royaume du Danhomè, en langue fon), deux ans plus tôt. Le casus belli officiel est un incident diplomatique, agrémenté d’accusations d’« incivilités » de la part de la population autochtone (cannibalisme, polygamie…). En réalité, la France souhaite surtout agrandir sa domination coloniale en Afrique-Équatoriale française.
Ce 26 octobre 1892, les soldats français marchent sur le Royaume du Danhomè. Lorsqu’ils parviennent à 50 km d’Abomey, après avoir décimé les premiers rangs de l’armée régulière envoyée par le roi Gézo, ils sont bloqués par une toute autre armée, équipée de carabines et d’armes blanches : une armée de femmes.
Les combats durent quatre heures, mais l’acharnement des guerrières n’aura pas raison de l’armement français, nettement supérieur. « Les balles Lebel, rapporte un soldat, font des blessures de balles explosives. Les arbres les plus gros n’ont même pas pu servir d’abri à nos ennemis ». Les guerrières voient fondre leurs effectifs, mais préfèrent mourir que de céder face à l’ennemi.
Le conditionnement, plus fort que les préjugés
Le général Alfred Dodds, à la tête des 3 000 soldats français, décrira cette journée comme « la plus meurtrière » de sa campagne. Le 17 novembre 1892, Abomey est prise par les Français. La défaite danhomèenne signe la fin des « Amazones », et avec elles, la fin du Royaume.
« Née pour servir les desseins d’un État libre, l’organisation des femmes-soldats ne survit pas à la disparition de la liberté », conclut Hélène d’Almeida-Topor, auteure de Les Amazones, une armée de femmes dans l’Afrique précoloniale, consacré à cette armée de femmes. Ces héroïnes n’ont pas laissé d’héritage féministe dans la société béninoise, mais leur existence « démontre que dans n’importe quel contexte, en l’occurrence dans une société polygame et patriarcale, un conditionnement bien conduit l’emporte sur tous les préjugés culturels et sociaux », souligne l’historienne